4.2. Eduquer par les langues cultures.

Nous empruntons ce titre à R. Galisson 406 car il dit avec force le rôle inédit que peut jouer l’enseignement – apprentissage de langue étrangère et qui nous semble prolonger naturellement celui que nous lui avons attribué jusque là. Outil de secondarisation de l’objet linguistique puis de la pratique langagière il participe à la construction par l’individu de son langage. A ce titre, il contribue à le faire émerger comme sujet non dans une activité narcissique mais dans un processus de rencontre avec l’autre : il ne saurait y avoir de sujet sans intersubjectivité. La mise en perspective de ses propres valeurs par l’apprenant lui-même à la faveur de l’identification des valeurs de l’autre s’inscrit dans le même mouvement et vient affirmer la fonction éducative de l’enseignement – apprentissage des langues étrangères :

‘« Comprendre les valeurs qui nous agissent et qui agissent les autres constitue une avancée décisive dans la connaissance du monde ». 407

Nous ajouterions volontiers que c’est une avancée décisive dans sa capacité à agir sur lui. En inscrivant de la sorte l’accès à la culture de l’autre dans une dynamique générale de l’apprentissage de langue étrangère qui, du linguistique au langagier, est fondée sur la capacité à faire du nouveau en objectivant du soi dans un rapport à l’autre, nous nous inscrivons clairement dans une démarche interculturelle. Cette orientation présente alors, dans le champ éducationnel, l’immense intérêt de ne pas compartimenter, segmenter les apprentissages des langues étrangères entre elles, de ne pas isoler l’apprentissage des langues étrangères de l’apprentissage de la langue première, ni d’isoler cet ensemble des autres apprentissages scolaires. L’apprentissage de langue étrangère se trouve intégré dans un vaste dispositif éducatif reposant essentiellement sur l’expérience de l’altérité. Les écarts entre son « je » et l’autre, travaillés par sa conscience active produiront chez l’apprenant une transformation dans son rapport à la culture de l’autre mais également à sa propre culture. Ces écarts pourront être grands ou petits, ces écarts pourront être sur le terrain des comportements sociaux ou des conceptions du monde, ils pourront être internes à une même communauté linguistique ou coïncider avec une frontière linguistique, ils seront traités dans une même démarche par le sujet. Ce qui, ici, différencie l’apprentissage de langue étrangère des autres, ce qui lui confère un pouvoir fédérateur des autres apprentissages, c’est que l’écart est donné comme consubstantiel. Il est le principal facteur différenciateur. Si on peut avoir l’illusion de parler le même langage et de partager la même culture que l’autre parce qu’on parle la même langue et qu’on partage le même environnement social, le contact avec l’alloglotte pose d’emblée radicalement la question de l’altérité. La conscience des pratiques sociales héritées peut naître alors de l’analyse de pratiques extérieures. Mais la démarche ne garantit pas contre une propension égocentrique à considérer que ses propres pratiques sociales sont représentatives de sa communauté et contre l’idée qu’il y aurait un modèle global et unique correspondant à la communauté de l’autre. C’est parce qu’il prendra en compte le « déjà-là » culturel de chaque individu, comme il l’avait fait pour la culture langagière, que l’enseignement – apprentissage de langue étrangère s’insérera de façon cohérente dans un projet éducatif global mais avec un rôle phare : faire acquérir un « savoir être ».

Notes
406.

Galisson, R. Didactologie : de l’éducation aux langues – cultures à l’éducation par les langues – cultures.

407.

Ibid. p. 504.