5. Où notre auteur va être mis en demeure de s’expliquer…

Où notre auteur va être mis en demeure de s’expliquer sur ses propres catégories par un interlocuteur qui brûle de porter le fer car il a bien perçu que dissocier l’apprentissage de la réception en langue étrangère de la production c’est mettre à mal le noyau dur de sa pratique.

- En quoi cela est-il répréhensible ?

- Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, ce n’est pas répréhensible mais c’est tout simplement contraire à la logique qui régit les rapports humains, on commence par comprendre avant de s’exprimer et on comprend beaucoup plus qu’on ne produit.

- Et comprendre exige de décoder aussi les courbes mélodiques de l’hispanophone !

- Absolument et c’est certainement mettre la charrue avant les bœufs que d’entraîner l’élève à produire avant de l’entraîner à recevoir. C’est dans cette phase qu’il va se trouver en mesure de repérer les écarts entre son système et celui qu’il apprend.

- Et pourquoi pas les deux à la fois ?

- Ah, alors que nos points de vue se rapprochaient, vous abordez un thème dont vous connaissez parfaitement la conflictivité.

- Vous avez été d’un tel dogmatisme, dans votre première partie, sur la question de la séparation de la compréhension et de l’expression que j’ai hâte d’en découdre avec vous sur cette question.

- Nous aurons cette explication. Pour l’heure, reconnaissez qu’il n’est pas indifférent que celui qui apprend une langue soit entraîné à repérer si l’alloglotte qui lui parle est en train de le saluer ou de lui poser une question, d’affirmer quelque chose ou de le prier de faire quelque chose, de lui donner un conseil ou de lui interdire de faire quelque chose.

- Je reconnais dans votre propos quelques items du Portfolio européen des langues 423 .

- Parfaitement, on les trouve dans les premiers niveaux de la compétence « écouter ».

- On peut penser que celui qui se prête à un test de ce type s’appuiera autant sur des indices morphosyntaxiques et lexicaux que sur la courbe mélodique pour savoir si on lui pose une question ou si on lui donne un conseil.

- Certainement, et c’est la raison pour laquelle avant d’en venir au test d’évaluation où l’apprenant fait feu de tout bois, il convient de lui donner le maximum d’outils dans chacun des domaines concernés.

- Et donc en compréhension, un exercice comparable à celui que vous préconisiez en production pourrait faire l’affaire.

- Imaginez que la même phrase soit prononcée par un(e) hispanophone avec des intentions communicatives différentes et que l’on mette des élèves français en ateliers pour tenter d’isoler les indices qui permettent de trancher.

- Et pourquoi ce dispositif collectif ?

- Pour que chacun se construise ses repères mais également profite de ceux des autres.

- Vos propositions pratiques aboutissent à une véritable dilution de ce que nous appelons communément l’objectif linguistique et je souhaiterais que l’on abordât d’autres aspects de l’apprentissage linguistique car si cette orientation que je qualifierai de lâche, ne me semble pas tirer trop à conséquence en matière phonétique, je crains qu’elle ne soit ravageuse en d’autres domaines.

- Je vous remercie d’avoir dit « lâche » plutôt que laxiste.

- Reconnaissez que je fais de gros efforts pour tenter de vous suivre.

- Je le reconnais mais je vois à vos derniers propos que votre hiérarchie des compétences linguistiques et donc des apprentissages n’a pas varié et que vous voulez bien m’autoriser à me livrer à mes phantasmes éducatifs tant que cela ne concerne que les manifestations sonores de la langue.

- Non, vous vous trompez, je ne nie pas que cet apprentissage puisse avoir un impact sur le rapport qu’entretient l’élève avec la réalité physique, sensible, de la langue et donc avec lui-même mais du point de vue de l’institution scolaire : on manque cruellement d’éléments tangibles pour organiser des progressions, et a fortiori pour évaluer cela.

- Je vois bien que les propositions qui visent à transformer le savoir linguistique et le savoir-faire linguistique jusqu’alors considérés comme des fins en outils au service de la réussite de l’acte langagier trouve un écho mais il vous semble que vous êtes en train de lâcher la proie pour l’ombre.

- C’est très exactement l’impression que je ressens et je me dis que lorsque nous en serons par exemple à la morphologie, cette logique qui consiste à s’appuyer sur ce que sait faire l’apprenant, sur son cheminement à lui, va faire voler en éclat le bel ordonnancement de la progression spiralée qui va du simple au complexe en reprenant sans cesse les mêmes choses et en les complexifiant à force de productions dûment contrôlées.

Notes
423.

Conseil de l’Europe, Portfolio européen des langues, pour jeunes et adultes, p. 10.