9. Où la conversation verse sur l’apprentissage lexico-sémantique…

Où la conversation verse sur l’apprentissage lexico-sémantique et devrait permettre à notre auteur de montrer qu’aborder la langue à apprendre par ses usages exige de redéfinir les tâches d’apprentissage, ce qui ébranle sévèrement l’objectif linguistique traditionnel. Son interlocuteur le suivra-t-il jusque-là ?

Et une fois encore, il nous faudra distinguer selon que l’on parlera du lexique en compréhension écrite ou orale ou du lexique en production écrite ou orale.

- Ah non, en matière de lexique, un mot est un mot, on le connaît ou on ne le connaît pas.

- Puis-je citer quelques travaux en linguistique, sociolinguistique et psycholinguistique qui démentent totalement ce que vous dites ?

- Ne vous réfugiez pas derrière les auteurs. Je vous ai soumis des propositions d’objectifs linguistiques pour le cours d’espagnol en m’inspirant des pratiques traditionnelles. En faisant les propositions que vous avez faites…

- Et qui sont inspirées des mêmes auteurs…

- Avec vos propositions vous avez réfuté les contenus mêmes des objectifs linguistiques. En fait vous mettez en cause la notion même d’objectif linguistique. Alors je souhaite qu’on aille au bout de la démarche et qu’on aborde concrètement la question de l’objectif lexical. N’est-il pas raisonnable d’assigner comme objectif de leçon, jour après jour, la mémorisation d’une dizaine de mots ? ou de cinq mots en quatrième ? Mais qu’au moins ces cinq mots-là soient sus.

- Savoir un mot !

- Qu’est-ce qui vous surprend ?

- Lors d’une conférence en octobre 2000 en Avignon, la psycholinguiste

- Au fait, vous dis-je.

- J’y arrive, je vous le promets. Mme M. Kail déclarait qu’en moyenne un individu comprend 200 mots dans sa langue quand il en produit 60.

- Et alors ?

- Et alors je vous pose la question : qu’est-ce que savoir un mot ?

- C’est être capable de le reproduire.

- A l’écrit, à l’oral ? Le reconnaître ou le produire ? Vous voyez bien qu’on ne peut pas penser l’apprentissage de langue en dehors de ses usages. Je ne reviens pas sur ce paragraphe de ma première partie où je montre que le rédacteur des documents d’accompagnement des programmes de seconde utilise les notions de « vocabulaire de reconnaissance » et de « vocabulaire de production » sans leur donner le sens que leur donne la psycholinguistique qui pourtant en est à l’origine.

- C’est qu’elles sont peut-être difficiles à concilier avec les pratiques traditionnelles de l’enseignement de l’espagnol et qu’il convient de procéder à des aménagements pour les prendre en compte sans que cela n’entraîne une remise en cause trop radicale.

- On n’aménage pas le fonctionnement du cerveau humain au gré des méthodologies en vogue ou pire, des croyances.

- Je vous en prie, gardez votre calme.

- Puisqu’en l’état actuel de la recherche, l’asymétrie compréhension / production est avérée, la seule question qui vaille en cette matière c’est de se demander comment aider l’élève à s’équiper pour comprendre (vocabulaire de reconnaissance) et à s’équiper pour s’exprimer (vocabulaire de production) . Vous voyez bien qu’on retrouve éternellement la même dichotomie et que derrière le détournement des deux notions il y a le refus de cette réalité.

- Ainsi donc, faire apprendre le vocabulaire nouveau d’un document, ce n’est pas « équiper l’élève pour comprendre et s’exprimer » ?

- Comme nous l’avons vu, comprendre exige une palette lexicale très large. Les cinq mots journaliers n’y suffiront pas.

- Mais cela vaut mieux que pas de mots du tout.

- Pas sûr.

- Vous provoquez.

- Un peu, je le reconnais mais nous parlons de lexique de reconnaissance et je sais que dans votre esprit « savoir un mot » équivaut encore à savoir produire un mot à l’écrit et ou à l’oral.

- De toute façon c’est le seul moyen que vous avez de savoir si l’élève le sait.

- Pas du tout. Allumez la radio, écoutez un spécialiste en train d’expliquer les mécanismes de l’effet de serre. Sans être vous-même un spécialiste, vous allez comprendre mais vous seriez bien incapable de manipuler le vocabulaire qu’il a manipulé. Mais, vous brûlez toujours la même étape.

- Je sais : encore votre théorie de la logique du produit contre la logique de l’apprentissage.

- Exactement. Nous n’en sommes pas à l’évaluation du vocabulaire de reconnaissance acquis, nous en sommes aux stratégies d’enseignement qui permettent de faire acquérir ce vocabulaire de reconnaissance et ne me dites pas qu’il suffit « de le faire apprendre ».

- Je ne serais pas surpris que vous me proposiez une de ces formules à double infinitif qui sont tellement en vogue : apprendre à apprendre, apprendre à comprendre etc.

- J’oublie la perfidie du propos. Là où vous voulez voir un effet de mode il y a la manifestation de cette préoccupation pour les processus qui sont à l’œuvre dans telle ou telle activité, donc des conditions facilitatrices de ces processus.

- Quoiqu’il en soit, disons qu’il faudra que l’élève se souvienne du lexique.

- Nous progressons, la concession que vous venez de faire en glissant de savoir à se souvenir me paraît tout à fait essentielle. Il s’agit moins en effet d’être capable de produire que de rendre disponible la connaissance.

- L’avoir mémorisée ?

- Certes, mais vous savez que la notion de mémoire elle-même est au centre de bien des études et des controverses. De la définition commune de la mémoire considérée comme le système par lequel un individu parvient à stocker une information dans son cerveau et à la récupérer par la suite, lorsqu’il en a besoin à la conception de la mémoire comme « la forme même de la cognition » 431 , les hypothèses sont nombreuses. Alors que rien n’étaye plus la représentation traditionnelle de la mémoire comme un lieu du stockage d’objets, d’innombrables tâches d’élèves semblent reposer encore sur une conception cumulative de l’activité de mémorisation.

- Qu’est-ce qui fait donc qu’une connaissance est disponible ?

- Je donne la parole à C. Delannoy :

‘« …une information, une connaissance, sont disponibles en fonction des associations qui se sont créées entre elles et d’autres éléments en mémoire. Ces associations constituent les seules voies d’accès vers les informations. Plus une de ces voies est utilisée, plus l’association devient solide, automatique, et plus la rencontre d’une de ces informations fera surgir celles qui lui sont associées. » 432

Et il n’est pas exclu que nous ayons chacun notre mode de classement.

- Vous êtes donc en train de suggérer que, pour étendre toujours davantage le vocabulaire de reconnaissance, il faut mettre l’élève en situation de classer.

- de classer et d’utiliser. D’où ma remarque de tout à l’heure : imposer cinq mots sans imaginer une tâche qui les lie à d’autres connaissances, qui les intègre dans le système de l’apprenant paraît bien inutile.

- Mais tout individu qui apprend des mots nouveaux les reliera sans même le vouloir à d’autres connaissances.

- Certainement, mais on peut apporter deux réponses à votre objection. D’abord, c’est le professeur de langue qui sait comment s’acquièrent les langues et il est certainement le plus indiqué pour proposer des tâches adéquates. Ensuite, on peut faire le pari que le plus souvent les liens qui s’établiront et qui feront système seront plus liés à l’économie scolaire (que dois-je apprendre et comment dois-je m’y prendre pour réussir l’interrogation ?) qu’au développement cognitif de l’intéressé.

- Tous les élèves ne sont pas dans cette logique-là.

- Non, mais n’y en aurait-il qu’un que ce serait de la responsabilité de l’École de faire que les exercices scolaires soient l’occasion d’une réelle activité cognitive, qu’il ne reste pas, pour reprendre les termes de E. Bautier et J.-Y. Rochex, enfermé « dans une logique d’effectuation ». Et de toute façon ma première réponse s’applique à tous.

- Eh bien, nous voilà chargés aussi de la mémorisation du vocabulaire.

- N’exagérez pas, tout au plus chargés de créer les conditions de cette mémorisation, c’est l’élève qui mémorise !!!

- Ne riez pas. Depuis que nous avons abordé les grands domaines de l’apprentissage linguistique, vous ne cessez de reporter sur le professeur la conception des tâches qui permettront de faire acquérir le « savoir entendre », le « savoir prononcer », le « savoir construire », etc. et maintenant le « savoir mémoriser ».

- Je crois effectivement que le travail de professeur de langue est un travail à plein temps et qu’il laisse peu de latitude pour des activités annexes comme, par exemple, l’orchestration de l’analyse collective de documents.

- Laissons là la polémique et dites-moi quelles sont vos propositions en matières de mémorisation lexicale.

- Pour être en cohérence avec les rapides considérations que nous avons faites sur la mémoire, il convient de multiplier les situations où l’apprenant sera amené, voire contraint, à classer, à établir des catégories, des liens, des connexions. Pour qu’une connaissance, fût-elle un signifié, ou un signifiant, puisse être disponible dans un autre contexte que celui où il est découvert, il faut qu’il rentre dans un réseau de connexions toujours plus dense. Il est aisé, par exemple de rassembler une cinquantaine de mots, vus, entrevus, suggérés, lors des activités précédentes et de demander à des petits groupes d’élèves de les classer en catégories définies ou non par le professeur, selon la situation.

- Mais ils risquent d’inventer des critères très hétérogènes.

- Peu importe. L’activité cognitive qu’ils produiront pour réaliser ce classement, retenir des critères, en éliminer, en diversifier, cééra autant de connexions entre les différentes unités. Des critères de forme, sonore ou graphique, peuvent parfaitement coexister avec des critères sémantiques.

- Si chacun doit établir ses propres réseaux de sens, quel intérêt y a-t-il à constituer des groupes pour réaliser ce travail ?

- Vous avez raison, le travail de groupe n’est pas une condition indispensable pour que l’apprenant établisse des réseaux de sens. Je l’ai proposé parce que la confrontation avec un pair conduira à clarifier les critères et à interroger d’une façon plus approfondie le sens des mots.

- D’autre part, même si les élèves sont en groupe, il est probable que certains des cinquante mots seront totalement ignorés.

- Certainement. Plusieurs alternatives se présentent alors au professeur. S’il distribue des dictionnaires, les élèves risquent fort d’éviter de chercher dans leurs souvenirs même pour les mots qu’ils pourraient trouver en faisant quelques efforts et donc les connexions avec les connaissances en place ne se feront pas. Le recours au matériel de classe (notes, cahiers, manuels) peut conduire au même écueil mais il peut aussi, en obligeant l’élève à reparcourir les traces d’un effort cognitif passé, à consolider des liens et à en créer de nouveaux. Une autre solution pourrait être de lister les mots qui ne trouvent aucun écho pour leur réserver, par la suite, un traitement particulier.

- Vous éliminez un peu vite la solution du dictionnaire. S’ils ignorent la signification d’un mot, je ne vois pas de meilleur outil pour la leur donner.

- Parce que le sens d’un mot se construit. Le dictionnaire est intéressant quand il vient aider celui qui veut comprendre ou produire à éliminer des hypothèses qu’il avait faites, quand il vient en quelque sorte renforcer des liens que le sujet hésitait à tisser et en éliminer d’autres.

- Dans cette logique, il est donc contreproductif de faire ce qu’on fait traditionnellement dans le cours d’espagnol et ce que font de nombreux manuels : donner d’entrée de jeu le vocabulaire dont on pense qu’il est important et difficile.

- Evidemment. Tout ce qui dispense l’apprenant de l’effort de lier les connaissances nouvelles à ses connaissances acquises est une occasion manquée d’apprentissage. Encore une fois, les connexions qui garantissent la pérennité de la connaissance, sont des connexions propres à celui qui apprend. Pourquoi l’acquisition de vocabulaire y échapperait-elle ?

- Mais en agissant conformément à ces règles de l’acquisition dont vous dites qu’elles sont avérées, vous mettez à mal un autre ressort du cours d’espagnol.

- De quoi allez-vous encore m’accuser.

- Je ne vous accuse de rien, je constate que, si l’on vous suit, ces cours fondés sur l’effet de surprise, ces cours qui doivent susciter une réaction spontanée et immédiate des élèves ne présentent plus un grand intérêt.

- Du point de vue de l’acquisition lexicale, le rendement me semble en effet douteux. La plupart du temps la première phase consiste en un exercice de compréhension, soit orale, soit écrite, soit quelquefois même les deux, ce qui…

- Je vous arrête, je vous entends déjà parler de confusion des genres, revenons à notre propos.

- Je parlais donc de cette phase du cours traditionnel qui commence par une phase de compréhension. Si elle n’a pas pour but de doter l’élève de moyens supplémentaires de comprendre, mieux vaut lui fournir de suite les contenus sous une forme ou sous une autre, mais si elle ambitionne de développer sa compétence de compréhension, alors elle doit lui fournir l’occasion d’établir avec les connaissances acquises le maximum de connexions et vous avouerez que dans ce cas, la surprise et la précipitation ne peuvent que contrarier de telles ambitions. N’oubliez pas que l’objectif que nous poursuivons est de multiplier et de rendre disponibles les connaissances lexicales dans d’autres situations. Dans cette perspective, la pire des initiatives est de fournir à l’élève le matériau qu’il doit se fabriquer lui-même et de lui voler le temps nécessaire à l’élaboration de stratégies personnelles de convocation des connaissances.

- J’ai bien lu vos développements sur l’obsession du temps, encore une, qui serait celle des professeurs d’espagnol. J’y vois moi une certaine peur du silence. Ne croyez-vous pas que le risque soit grand que le cours d’espagnol ne s’affadisse, ne perde de cette vivacité et de cette richesse qui en a fait la réputation dans les cours de récréation.

- Le travail dont je parle est exigeant et éminemment personnel. Pour autant il doit être intégré au temps scolaire car sans l’aide du professeur, l’immense majorité des élèves ne pourra s’inventer des stratégies d’apprentissage efficaces. Mais pourquoi un apprentissage conscient serait synonyme d’ennui ? D’autant plus qu’il est parfaitement possible de le mettre au service d’objectifs motivants mais j’espère que nous pourrons y revenir.

- Si donc je veux développer le vocabulaire de reconnaissance à l’oral de mes élèves, je les laisse se débrouiller avec un document sonore dont ils devront comprendre le contenu ?

- Ce n’est pas en vous y prenant comme cela que vous allez provoquer le maximum de connexions avec les connaissances acquises. Non, imaginez plutôt que les circonstances, c'est-à-dire le programme, le calendrier, l’actualité vous conduisent à arrêter comme objectif de cette séance ou de cette partie de la séance d’étendre le champ lexical de la mer. Vous avez isolé deux minutes du bulletin d’informations d’une radio espagnole qui détaillait les circonstances d’un naufrage sur la Costa da morte en Galice. Je vous suggère de présenter le document, de dire de quoi il traite, d’annoncer l’objectif lexical et avant même toute audition du document, de demander à vos élèves de faire le point de tous les mots dont ils disposent déjà pour comprendre un message autour de ce thème.

- Vous préconisez de le faire collectivement et à l’oral ?

- En procédant de la sorte, on risque fort de retomber dans le travers de ne faire travailler que quelques élèves. Je conseillerais plutôt de demander à chacun d’écrire tous les mots qui lui viennent à l’esprit.

- Mais cela risque d’être long et fastidieux.

- Ne négligeons pas les effets psycho - affectifs d’exercices qui montrent à l’élève ce qu’il sait dans un système qui s’évertue à souligner toujours les carences. Et puis cette recherche peut avoir plusieurs temps : la phase strictement personnelle peut être relancée par une évocation collective des expériences communes (travaux, documents, rencontres) qui peuvent avoir laissé des traces dans le domaine lexical concerné. Autrement dit, après avoir sollicité la mémoire déclarative, on sollicite maintenant davantage la mémoire épisodique.

- Je m’interroge sur l’exploitation du matériel produit.

- Cela n’est pas fait pour me surprendre !!! Et si on n’en faisait rien ?

- Encore votre penchant pour la provocation.

- Non, non, je veux dire qu’arrivés à ce stade élèves et professeur ont rempli le contrat : celui-ci a permis à ceux-là de réactiver des réseaux en sommeil, préparant ainsi le repérage de la connaissance acquise ou en voie d’acquisition et de possibles incursions vers des territoires inexplorés. L’activité cognitive de mise en relation, voire de mise en synergie de connaissances éparses est une authentique activité d’apprentissage et on n’en aura perçu que la surface.

- Je ne vois pas ce que peut encore cacher en termes d’apprentissage ce travail lexical. Si on a pu reprocher à l’enseignement de l’espagnol, et on le trouve dans de nombreux textes récents émanant de l’inspection générale, de négliger l’acquisition du vocabulaire, vous semblez lui accorder une importance disproportionnée.

- C’est que l’apprentissage lexical a évidemment partie liée avec la sémantique. Aussi, développer le vocabulaire de reconnaissance c’est prendre le parti de la décentration, c’est se donner les moyens de comprendre l’autre en adoptant, en s’appropriant le sens de sa langue, son propre point de vue sur le monde. On retrouve dans la question du vocabulaire de reconnaissance une part des grands enjeux que nous avons mis à jour en confrontant les enjeux scolaires de l’apprentissage de langue étrangère et essentiellement les travaux de sociologie du langage. Il ne s’agit de rien moins que de prendre conscience du rapport de l’autre au monde et donc d’interroger le rapport au monde que l’on a soi même établi avec sa langue première. Voilà qui va permettre une appropriation de ces langues ; la sienne et les langues qu’on apprend, pour penser le monde.

- Mais cette importance que vous accordez au vocabulaire de reconnaissance vous conduit à négliger le vocabulaire de production.

- Je vous sais gré de déplacer petit à petit le curseur des objectifs linguistiques traditionnels statiques vers des objectifs d’utilisation de la langue où les connaissances linguistiques et les savoir-faire ne sont plus que des outils. Vous voilà convaincu qu’on ne mobilise pas les mêmes moyens selon que l’on doit comprendre ou que l’on doit produire.

- Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je tente de comprendre ce qui fonde votre démarche, ce qui ne signifie pas que j’y adhère. D’ailleurs cette question sur la disproportion entre réception et production que vous semblez vouloir esquiver me conduit à penser que si on a pu exagérer l’importance de la prise de parole de l’élève comme vous le dénoncez, vous voulez y substituer une attitude unilatérale plutôt fondée sur la réception passive au prétexte que la quantité du vocabulaire nécessaire pour comprendre est plus importante que celle du vocabulaire nécessaire pour produire.

- D’abord je veux répondre à cela que, contrairement à ce vous dites, comprendre, et a fortiori en langue étrangère, est une activité cognitive intense et nous y reviendrons. Ensuite, sans négliger le vocabulaire de production, il me semble qu’échoit à l’enseignement – apprentissage des langues étrangères une tâche éducative de toute première importance : celle de l’expérience de l’altérité, et que l’étape incontournable est la prise de conscience de la façon dont l’autre découpe le monde au moyen de sa langue, les superpositions avec la langue de l’apprenant et les écarts. Mais j’ai évoqué cette question dans le chapitre 1 de cette seconde partie sur la secondarisation 433 par la langue et nous pourrons si vous le souhaitez inventer mille situations d’apprentissage qui peuvent y contribuer. Enfin, si l’activité de réception exige une palette lexicale très large, l’autonomie de production dépend davantage de la capacité à utiliser la langue.

- Que faites-vous alors des objectifs toujours affichés de doter l’élève d’« une langue riche et nuancée » ?

- Ce sont là des impératifs scolaires qui n’ont que peu à voir avec la réalité de l’interaction langagière exolingue. L’autonomie langagière est moins dépendante d’un répertoire linguistique de production « riche » que d’un répertoire plastique et d’une utilisation tout aussi souple de ce répertoire.

- Ces propos rompent assez radicalement avec les objectifs de production affichés par les Instructions Officielles.

- …

- Il est tout de même à noter que vous n’écartez pas le travail de production.

- Absolument pas mais l’essentiel de l’effort ne portera plus sur la variation lexicale mais bien sur la capacité à employer la langue en se pliant à ses règles morphologiques et syntaxiques.

Notes
431.

Tiberghien, G. La mémoire oubliée, p. 13.

432.

Delannoy, C. Une mémoire pour apprendre, p. 54.

433.

3 ; 3.1 ; 3.4 ; 3.5.