15. L’interlocuteur appelle à la rescousse un sien ami averti de ces choses…

L’interlocuteur appelle à la rescousse un sien ami averti de ces choses qui va tenter de pousser notre auteur dans ses retranchements. Où l’on traite de l’écologie du cours de langue étrangère.

- Il voulait seulement signifier que, si la classe de langue se voit privée d’échanges langagiers en langue étrangère, elle se replie sur des apprentissages plus techniques.

- Si elle vise l’autonomie langagière de l’élève en langue étrangère –et dans la langue première–, la classe de langue ne peut être un espace clos et étanche. J’ai écrit cette banalité que le savoir-faire social de référence est dans l’ailleurs de la classe, il est même dans l’ailleurs du monde scolaire. Toute didactisation de ce savoir-faire social en est une aseptisation sociale.

- Donc il n’y a pas d’apprentissage possible des langues à l’École.

- On dit que l’École ne sait pas enseigner les langues pour une raison simple, c’est que ce n’est pas faisable.

- Vous voilà d’accord. Pourquoi vous êtes-vous insurgé lorsque on vous a dit que nous ne faisions que de l’initiation ?

- L’École ne sait pas enseigner les langues mais elle peut aider à les apprendre si elle se conforme à son statut de médiation entre celui qui apprend et le savoir-faire visé. Si l’horizon de l’apprentissage se confond avec le cadre socio-spatio-temporel de la classe en cours de langue dans la salle de cours, il n’y a pas d’apprentissage langagier en langue étrangère possible.

- Vous vous en prenez cette fois-ci à des éléments fondamentaux de l’institution scolaire que sont le cours et la classe.

- Sont-ils si fondamentaux ? Si le cours de langue suffisait, on n’encouragerait pas comme on le fait les voyages, les séjours, les échanges mais nous y reviendrons. Quant à la classe, P. Meirieu rappelle avec force que c’est une modalité d’organisation qui n’est pas plus qu’une autre fondée historiquement. Ainsi annonce-t-il au début de son ouvrage, Faire l’École, faire la classe :

‘« (…) la classe, telle que nous la connaissons, n’est nullement un “principe” fondateur de l’École et nous verrons même plus loin qu’elle est peut-être devenue aujourd’hui, à nos yeux, un obstacle à la poursuite des finalités fondatrices de l’institution. » 454

- Décidément, plus rien ne tient debout après votre passage.

- Ne croyez pas cela. C’est la question du sens qui est posée depuis le début de notre conversation, du sens de l’activité scolaire pour l’élève et elle est plus structurante que des cadres formels jamais interrogés. Et puis, pour répondre à vos inquiétudes, précisons que la classe et le cours sont des réalités organisationnelles objectives qui ne sont pas inamovibles 455 mais qui, en l’état actuel des choses, s’imposent à nous. Il ne servirait à rien d’ignorer ces contraintes.

- Ah, voilà qu’enfin vous faites un peu preuve de réalisme.

- Ce qui ne signifie nullement qu’elles doivent borner l’enseignement apprentissage de langue car si tel est le cas il n’y aura effectivement pas d’apprentissage langagier au moins en production.

- Pourquoi faites-vous une différence avec la réception ?

- Il y a là un paradoxe plaisant. Il est difficile de créer, en classe, les conditions d’une interaction véritable qui permette de mettre en œuvre les compétences de production mais on feint d’y parvenir quotidiennement. En revanche, il est relativement aisé d’apporter en classe des discours de locuteurs natifs (la radio, la télévision par satellite, l’internet, la présence de locuteurs natifs offrent d’immenses potentialités) qui permettent de mettre en œuvre des compétences de réception. Cette possibilité est cependant sous-exploitée.

- Mais je n’ai toujours pas compris comment on se conforme à la structure de la classe et du cours tout en considérant que le savoir-faire visé leur est extérieur.

- Que le savoir-faire visé soit extérieur ne signifie pas que la classe de langue ne puisse pas contribuer à le faire acquérir. Pour ce qui est de la structure imposée, je n’ai pas dit que l’on s’y conformait, j’ai dit que l’on prenait en compte cette contrainte.

- Je ne saisis pas la nuance.

- Penser l’enseignement des langues étrangères comme l’apprentissage d’un savoir-faire langagier en langue étrangère exige de celui qui en a la charge, le professeur, d’intégrer dans les paramètres à prendre en compte des contextes extérieurs à celui de la classe.

- Mais, redéfinir les rapports entre l’intérieur et l’extérieur de la classe touche au fonctionnement même de l’École et pourquoi l’exiger du professeur de langues vivantes en particulier.

- Dans l’étude d’Eurydice 456 consacrée à l’enseignement des langues en milieu scolaire en Europe, les rédacteurs regrettent que les pays d’Europe retiennent encore pour les langues des formes d’enseignement (ils y évoquent les rythmes, la durée, les formes de certification etc.) identiques à celles des autres disciplines scolaires…

- Et pourquoi ?

- Pour cette raison plusieurs fois évoquée ici que c’est faire comme si les langues étaient un objet de connaissances comme les autres, or, précisent les auteurs, l’acquisition des langues est une compétence naturelle.

- Et alors ?

- Et alors il y a dans tout apprentissage de langue étrangère entendu comme la maîtrise progressive de savoir-faire langagiers une dimension d’intégration sociale dans la société qui parle cette langue.

- Mais, dans une certaine mesure, notre enseignement met en contact l’élève avec la société espagnole.

- En contact, peut-être, mais en aucun cas on ne peut prétendre qu’un élève scolarisé en France est socialisé dans la culture espagnole quand il est en cours d’espagnol. Le contexte et les effets produits par ce contexte font que ce cours-là comme les autres, et parce qu’il obéit aux mêmes obligations structurales et structurantes (ce que déplore l’étude d’Eurydice) que les autres, participe à la socialisation dans la culture française de l’élève pour qui comprendre et produire des énoncés en espagnol n’est qu’un des problèmes parmi tous ceux qu’il a à résoudre. Dans son étude sur le contexte de la classe G. Pallotti explique qu’une obligation comme celle-là, si importante soit-elle, est mêlée à beaucoup d’autres qu’il définit ainsi :

‘« (…) établir des relations avec les autres participants, se construire une identité, définir des rôles sociaux pour lui-même et pour les autres acteurs concernés, donner un sens à ses pratiques d’interaction dans tel ou tel microcontexte (la classe, le lieu de travail, la cour de récréation) par rapport à d’autres contextes de même niveau ou de niveau plus englobant. » 457

- Il s’agit là du phénomène normal de la socialisation qui se produit immanquablement dans le contexte scolaire lui-même inscrit dans un contexte plus vaste. Je vois d’ailleurs que votre auteur renvoie à la typologie de Bronfenbrenner qui distingue quatre niveaux de contexte :

‘« Un microsystème est une configuration d’activités, de rôles et de relations interpersonnels dont la personne en développement a l’expérience dans un environnement donné présentant des caractéristiques physiques et matérielles particulières » 458

On peut considérer que la classe de langue est un microsystème qui répond à cette définition.

- Tout à fait.

- Deuxième niveau, je cite : « Un mésosystème comprend les interrelations entre deux ou plus de deux environnements auxquels la personne en développement participe activement. »

On peut y voir la maison, le quartier, les commerces, les institutions etc.

- En effet.

- Troisième niveau : « Un exosystème renvoie à un ou plusieurs environnements qui ne concernent pas la personne en développement en tant que participant actif, mais où des événements interviennent qui affectent, ou sont affectés par ce qui se produit dans l’environnement de la personne en développement. »

Des décisions qui concernent l’École, les relations sociales des personnes qui sont en contact avec l’élève relèvent de cet « exosystème ».

- Assurément.

- Le dernier niveau : «  Le macrosystème correspond aux régularités, dans la forme et le contenu des systèmes d’ordre inférieur (micro-, meso- et exo-) qui existent ou peuvent exister au niveau de la sous-culture ou de la culture dans son ensemble, ainsi qu’au système de croyance ou à l’idéologie qui sous-tend ces régularités. »

En un mot, la culture qui nous lie est la matrice de cet assemblage en forme de poupées russes que décrit U. Bronfenbrenner. C’est elle qui donne la cohérence à l’ensemble.

- Soit.

- Vous voyez bien donc qu’il n’y a pas d’autre socialisation possible dans le système d’interrelation où se trouve immergé l’élève de langue étrangère qu’une socialisation en français.

- Je ne discute absolument pas l’immersion dans ce réseau de systèmes que vous décrivez.

- Que U. Bronfenbrenner décrit.

- Mais c’est précisément l’extraordinaire atout éducatif de l’apprentissage de langue étrangère que de permettre à l’apprenant de mettre en perspective ce réseau de systèmes. En quelque sorte de se décontextualiser.

- Je ne vous comprends pas.

Notes
454.

Meirieu, P. Faire l’École, faire la classe, p. 22.

455.

La nouvelle organisation de l’enseignement des langues qui se profile dans le secondaire ne s’inscrit pas dans la cadre de la classe. Cf. France, B.O. n°18 du 5 mai 2005, p. 5 : « De nouveaux modes d’organisation des classes de langue doivent être progressivement développés. (…) Ces dispositifs consistent à regrouper les élèves non plus en fonction du moment du début d’apprentissage de la langue, mais par groupes de niveau constitués en fonction des compétences d’expression et de compréhension orales et écrites ».

456.

Eurydice, L’enseignement des langues étrangères en milieu scolaire en Europ, 2001.

457.

Pallotti, G. La classe dans une perspective écologique de l’acquisition, p. 170.

458.

Bronfenbrenner, U. The Ecology of Human Development, p. 22.