16. Où notre auteur propose de refonder une cohérence…

Où notre auteur propose de refonder une cohérence à un interlocuteur qui ne voit que ruines autour de lui. La classe de langue serait un microsystème qu’il faudrait mettre en synergie avec d’autres systèmes.

- L’objet de l’apprentissage qui est visé est une pratique sociale qui n’est possible que dans un ailleurs et c’est cette pratique sociale, même imparfaite, même partielle, qui donne du sens à l’apprentissage. Il faut donc construire l’articulation entre ce réseau de systèmes dans lequel est inscrit le sujet en développement qu’est l’élève de langue étrangère et un autre réseau de systèmes où il a vocation à s’inscrire.

- Pure utopie.

- Pas du tout et j’entends vous montrer à travers un cas concret que le défi peut être relevé.

- On trouvera toujours un cas pour démentir la règle. Mais n’êtes-vous pas en train de fuir la question qui est restée en suspens, je veux dire la nature et le sens des activités dans le cadre de la classe de langue ? Vous nous avez accusés de caricaturer vos propos mais vous vous êtes empressé de partir vers des considérations sur l’articulation entre l’intérieur et l’extérieur.

- C’est précisément parce que j’ai toujours à l’esprit cette question de la classe de langue que je vous entraîne vers ce que vous avez appelé une utopie. Si la pratique de référence est la pratique sociale de l’espagnol dans un contexte extérieur à celui où est inscrit l’apprenant, les contenus et les modalités de l’apprentissage devront, au moins pour une part, échapper aux contingences des autres apprentissages scolaires, mais je vous l’assure, nous reviendrons au concret de la classe de langue que, reconnaissez-le, nous avons déjà abordé.

- Certes mais dont le moins que l’on puisse dire, c’est que, pour l’instant, je le perçois comme un fatras pittoresque.

- Vous exagérez, nous avons déjà considérablement organisé la matière en l’abordant par les compétences et pris l’option de l’approche sociocognitive. En réalité, vous ne vous remettez pas de l’implosion de la machine à intégrer qu’était le cours magistral dialogué à partir d’un document. Reconnaissez au moins que notre réflexion sur le contexte vient croiser la réflexion que nous avons menée sur le langage.

- Comment cela ? La « secondarisation » de E. Bautier et J.-Y. Rochex ?

- Absolument. Dans le micro système que constitue la famille, ou le quartier l’individu s’est construit un rapport au langage, rapport au langage qui peut être renforcé, mis en péril, questionné dans le mésosystème qui réunit par leur interaction le quartier et la classe.

- Mais quel rapport établissez-vous entre ce que l’on a dit de l’incidence de l’apprentissage de langue étrangère sur la constitution du langage en outil symbolique de possession du monde et votre décontextualisation du sujet ?

- Comme l’appropriation d’un système linguistique étranger me permet d’accéder à la conscience de mon propre système linguistique, comme la réflexion métalangagière à partir des utilisations que fait du langage celui qui parle la langue étrangère que j’apprends me permet de mettre en perspective mon propre langage, de la même façon, mon immersion dans un réseau de contextes qui m’est étranger me conduit à la conscience des contextes où je me meus.

- L’immersion dont vous parlez n’étant pas j’imagine, le cours de langue étrangère.

- Evidemment non, pour les raisons que nous avons dites et que je résumerai de la sorte : les cours d’espagnol servent à socialiser les élèves dans le système scolaire français. Non, il faut décidément « décontextualiser » l’élève pour qu’il identifie la cible de l’apprentissage : être capable de vivre dans un autre système de pratique et de pensée.

- Ainsi vous décidez de « décontextualiser » l’élève !!!

- Bon, la formule est un peu brutale, disons qu’il revient à l’enseignant de langue d’offrir à l’élève la possibilité de se « décontextualiser ».

- Vous voulez parler des voyages ?

- Certainement pas.

- Vous me surprenez. Je ne vois pas de meilleure occasion.

- S’il s’agit de donner la possibilité à l’élève de vivre dans un autre système de pratique et de pensée, vous avouerez que le déplacement en terre étrangère d’un groupe constitué de cinquante adolescents francophones qui transportent avec eux les mêmes enjeux sociaux, identitaires, les mêmes systèmes de rôles que ceux qui faisaient le quotidien dans la structure scolaire d’où ils sont issus risque fort de s’avérer peu fructueux ou peut-être même sera-t-il contreproductif.

- Là, vous exagérez. Les élèves en tireront toujours quelque chose.

- Je n’évoque pas ici les apprentissages sociaux (internes à la société française) qu’une telle entreprise peut générer et ils ne sont pas négligeables, j’en conviens. Mais si c’est ce qui est visé point n’est besoin d’aller si loin. En revanche, sur le plan des apprentissages des savoir-faire langagiers, et au-delà même, des savoir être dans un autre système, l’entreprise peut se retourner contre ses auteurs et venir renforcer l’ethnocentrisme des scolaires voyageurs.

- Mais alors de quoi s’agit-il ?

- D’agir socialement dans la langue de l’autre en interaction avec lui. Il n’est plus seulement question d’une réflexion métalinguistique, voire métalangagière mais d’action hors contexte d’origine avec la langue de l’autre.

- Je ne vois alors que les séjours individuels à l’étranger.

- C’est évidemment cette formule qui s’impose à l’esprit mais tentons d’en concevoir une qui ne soit pas ultra minoritaire, élitiste, qui tienne compte des contraintes inhérentes à l’institution scolaire et qui offre des perspectives d’adaptabilité.

- Vous me voyez bien perplexe devant l’ambition du projet.

- Pour l’aborder, je vous demanderai de reconsidérer les trois notions de langue première, de langue seconde et de langue étrangère.

- Pour moi, langue première est un synonyme de langue maternelle.

- Je ne souhaite pas ouvrir ici un débat sur les trois notions mais de tenter de les cerner les unes par rapport aux autres. L’intérêt de la notion de « langue première » est qu’elle réfère à plusieurs critères, un critère d’ordre d’acquisition et un critère d’importance. La langue de la mère peut ne pas être la première dans l’ordre des acquisitions et l’usage de l’adjectif ordinal permet de souligner, outre sa primauté dans l’ordre d’acquisition, qu’avant même toute considération affective, la langue dont il est question est d’abord la langue de référence, celle qui procure à l’individu un instrument de lecture du monde.

- Si vous souhaitez établir des rapports entre les trois notions il paraît important de préciser que si chacun de nos élèves apprend l’espagnol tous n’ont pas le français comme langue première.

- La précision est effectivement d’importance.

- Par opposition, on situera donc la langue étrangère aux antipodes de la langue première que vous venez de définir ?

- Mais là encore la notion est délicate à manier car on peut considérer que si aucune langue n’est étrangère en soi, chaque individu en percevra différemment l’étrangeté, selon des critères liés à sa culture, à sa naissance, à l’espace etc.

- Le caractère scolaire de l’apprentissage de la langue concernée ne pourrait-il pas être un critère acceptable ?

- Retenons-le si vous voulez et disons que la « langue étrangère » est la langue apprise en dehors de son aire d’usage habituelle et pour nous, langue apprise en classe de langue.

- L’expression « langue seconde » est en français, plus précise ; elle désigne, selon J.-P. Cuq 459 une langue ayant une forte présence et / ou un statut spécifique dans l’environnement de celui qui l’apprend. Vous allez peut-être me dire maintenant pourquoi avant d’en venir au fait, vous avez souhaité ce retour sur ces notions.

- Imaginez que vos élèves, lorsqu’ils sortent de vos cours, se retrouvent dans un environnement social où l’espagnol est la langue en usage, où la culture hispanique, la culture de référence, bref si la langue à apprendre - enseigner était leur langue seconde, s’ils devaient y avoir recours pour satisfaire à des besoins immédiats.

- Ce serait idéal.

- Pourquoi dites-vous que ce serait idéal ?

- Parce que leur motivation en classe en serait démultipliée.

- Et pourquoi ?

- Parce qu’il y aurait un énorme investissement affectif, les situations vécues, les interrogations suscitées, les échecs de communication créeraient des besoins…

- En un mot parce que la volonté d’intégration sociale dans ce nouveau contexte se ferait par l’action et que tant qu’il aurait l’impression que le succès de l’action ne serait pas garanti, l’apprenant s’efforcerait de se doter des outils nécessaires pour arriver à ses fins, fût-ce au prix d’apprentissages fastidieux de savoir-faire linguistiques et langagiers et de recherches – analyses exigeantes de clefs culturelles. Et puis, porté par cette volonté d’intégration sociale, il s’approprierait, quelquefois à son insu, des notions complexes de culture et des savoir-faire langagiers insoupçonnés.

Notes
459.

Cuq, J.-P. Langue maternelle, langue seconde, langue étrangère et didactique des langues.