18. Où nos compères en viennent à examiner un apprentissage…

Où nos compères en viennent à examiner un apprentissage qui met la classe de langue au service d’une action sociale imminente.

- Tous les ateliers trouvent-ils une articulation avec la classe ?

- Non, bien sûr, ceux qui sont consacrés à l’organisation matérielle des séjours par exemple en sont totalement indépendant mais tous ceux qui exigent une réflexion sur la langue et son usage, et ils sont nombreux, ont vocation à trouver un prolongement en classe.

- Quels types d’ateliers sont plus orientés vers l’usage de la langue ?

- L’atelier chanson dont on vient de parler, entre dans cette catégorie.

- Oui mais c’est un usage très particulier de la langue.

- Tous les usages de la langue sont particuliers ! Mais je veux bien évoquer par exemple un type d’ateliers qui n’est pas confié à un groupe mais animé par des professeurs avec l’aide, éventuellement de locuteurs natifs.

- Autrement dit, il s’agit d’un cours qui s’appelle atelier ?

- Vous avez raison, j’ai vu des ateliers où tous, professeurs et élèves étaient là sans aucune obligation et s’employaient à apprendre – enseigner des usages fort délicats de la langue.

- Qu’est-ce qui justifiait alors qu’on le fît hors temps scolaire ? De quoi s’agissait-il ?

- Puisqu’il s’agit d’un échange de familles à familles, que les élèves sont reçus dans la famille de leur correspondant, il est de règle qu’une dizaine de jours avant le séjour, chacun téléphone, de chez lui, à la famille qui va le recevoir pour se présenter, la remercier et avoir une première conversation avec le correspondant pour régler avec lui quelques détails du séjour.

- Certains élèves doivent être terrorisés à l’idée de devoir téléphoner à l’étranger.

- Bien sûr, cette exigence crée une certaine anxiété chez ceux qui ont à le faire pour la première fois mais l’inquiétude s’apaise quand les professeurs leur disent qu’ils mettent à leur disposition un atelier pour qu’ils apprennent à le faire.

- En quoi cela consiste-t-il ?

- Ce savoir-faire social est tellement complexe et convoque tellement de savoirs et savoir-faire linguistiques et culturels, qu’il convient de faire un premier test évaluatif diagnostique qui permette à chacun d’identifier clairement ce sur quoi il a à faire porter ses efforts : sait-il quelles sont les formules consacrées pour solliciter la parole de l’autre et pour introduire son propos ? Sait-il les employer ? Sait-il se présenter ? Sait-il remercier ? Connaît-il les uelques lois morphosyntaxiques qui vont lui permettre de moduler son propos selon qu’il sera en contact avec son correspondant ou d’autres membres de sa famille, sait-il les mobiliser rapidement ? Dispose-t-il du lexique nécessaire pour mener à bien cette première conversation ? Sait-il demander à son interlocuteur de parler plus lentement, de répéter, sait-il lui dire qu’il n’a pas compris ? Sait-il prendre congé ? Etc.

- Si je vous demande comment on construit un test qui permette de faire ce diagnostic, vous allez de nouveau me répondre que c’est au professeur d’en décider en fonction de la situation.

- Evidemment. Cela dit, afin d’aider l’élève à se projeter dans la situation, on pourrait par exemple lui demander avec un pair d’écrire la conversation qu’ils imaginent selon la technique de « l’écrit pour soi ». Ils n’écriraient que leur part à eux, le professeur passant de groupe en groupe, assurerait la partie de l’interlocuteur. Au terme de cette première phase chacun peut repartir en sachant ce qu’il doit savoir et savoir faire pour la séance suivante. Au professeur de lui proposer des tâches pour lui permettre de s’approprier ces savoirs.

- Mais n’êtes-vous pas en train de proposer un schéma de cours en lieu et place de l’atelier de préparation à l’échange ?

- Exact. Et c’est bien entendu à ce moment là que s’impose l’articulation avec le cours.

- Mais comme vous le suggériez, tous les élèves d’une classe ne partent pas en Espagne, donc tous ne vont pas devoir téléphoner.

- C’est la raison pour laquelle les professeurs apprécieront si l’on peut élargir ce travail à l’ensemble de la classe ou non, l’objectif étant d’y parvenir évidemment.

- Pourquoi ne pas décider unilatéralement que l’on apprend à faire cela tous, sachant que certains pourront l’utiliser très vite et d’autres non ?

- Parce que faire reposer l’apprentissage sur un véritable besoin d’action sociale en transforme la finalité.

- Mais puisque tous n’ont pas ce besoin immédiat ?

- Aux professeurs de faire en sorte qu’ils s’identifient à ceux qui ont ce besoin.

- Comment ?

- En associant par exemple des élèves qui doivent téléphoner à d’autres mais en faisant produire ces derniers.

- J’ai besoin que vous me décriviez une situation concrète.

- La scène se passe en décembre 2003 lors d’un cours de demi - groupe de seconde, des treize élèves présents, cinq partent en Espagne dans dix jours. Une évaluation diagnostique a été faite, chaque élève a dû travailler un ou plusieurs des points cités plus haut. Cette fois, la séance a lieu autour d’un véritable téléphone posé au milieu de la salle, les élèves sont disposés autour. L’une des élèves qui ne partent pas est désignée pour appeler la famille d’un correspondant fictif. Le professeur se trouve dans une autre salle reliée par téléphone à la première. Le récepteur des élèves est doté d’un haut parleur, un magnétophone est posé à proximité. Je vous livre le dialogue qui dure 2’ 30”

P Sí dígame. (oui allo) 1
E Perdone la molestia Sss (excusez-moi) 2
P Sí (oui) 3
E Soy la correspondiente de Ana y quisiera
(je suis la correspondante de Ana et je voudrais)
4
P Ah eres la correspondiente de mi hija↑ (ah tu es la correspondante de ma fille) 5
E Sí (Oui) 6
P Muy bien (Très bien) 7
E (rires) y quisiera llamarle por favor (Et je voudrais [l’appeler] s’il vous plait) 8
P Bueno, qué, quieres llamarla↑, es que, es queee no entiendo, quieres que se ponga ella o qué↑ (Attends, quoi, tu veux l’appeler, je comprends pas, tu veux qu’elle vienne au téléphone elle ou quoi?) 9
E Soy la correspondiente de Ana yyy podría llamarle ↑ por favor (les autres chuchotent) llamarla por favor (Je suis la correspondante de Ana, et est-ce que vous pouriez [lui] appeler s’il vous plaît l’appeler s’il vous plaît) 10
P Sí, quieres que se ponga ↑ (Ah oui, tu veux qu’elle vienne au téléphone) 11
E Ø (chuchotements) 12
P Quieres que hable ella ↑ (Tu veux qu’elle parle elle.) 13
E Sí (Oui) 14
P Ah bueno, pue, ahora la llamo eh↑ ahora la llamo vale ↑
(Ah bon, je l’appelle tout de suite hein je l’appelle tout de suite)
15
E (chuchotements) Sí (Oui) 16
P Bueno pues, mira, parece que ya se ha ido de casa sabes↑ Me dice mi mujer que se ha ido. (Bon ben écoute, on dirait qu’elle est partie, tu sais ma femme me dit qu’elle est partie.) 17
E Sí, y heu, a qué hora podría llamarla↑ (Oui, et à quelle heure je pourrais l’appeler?) 18
P Bueno, puedes llamar por, no sé a eso de las once no↑ (Hé ben, tu peux l’appeler, je sais pas, vers onze heures du soir.) 19
E Menos rápido por favor (Moins vite s’il vous plaît.) 20
P Puedes llamar si quieres a eso de las once (Tu peux l’appeler si tu veux vers onze heures.) 21
E Sí (Oui) 22
P A las once de la noche no↑ (A onze heures du soir hein) 23
E Sí (chuchotements, rires) pero a las once de la noche soy muy cansada
(Oui mais à onze heures du soir je suis [erreur sur le choix du verbe] très fatiguée.)
24
P Uy qué francesa eres tú↑ (Quelle sorte de française tu es toi) 25
E Ben (rires) soy una francesa (Hé ben je suis une française) 26
P Bueno los franceses soléis estar cansados a las diez de la noche no↑
(Bon vous les français, vous avez l’habitude d’être fatigués à dix heures du soir hein)
27
E Los franceses euh dor dormiiien duer (Les français dor) 28
P Duermen los franceses (les français dorment) 29
E A las once (à onze heures) 30
P Sí, sí, duermen día y noche, ya se sabe (Oui, oui, ils dorment jour et nuit, on sait bien) 31
E (rires) 32
P Entonces no puedes llamar a las once verdad↑ (Donc tu ne peux pas appeler à onze heures hein) 33
E Sí y una otra vez a qué hora↑ (Oui et une autre fois [maladroit] à quelle heure) 34
P Qué otra vez↑ (Quelle autre fois) 35
E (chuchotements) uno otro día para llamarla (Un[maladresse] autre jour pour l’appeler) 36
P Ah bueno, pues otro día entonces mañana si quieres yo creo que mañana se queda en casa (Ah d’accord, un autre jour, bon alors demain si tu veux je crois que demain elle reste à la maison) 37
E Y a qué hora↑ (Et à quelle heure) 38
P Puees no sé, a eso de las tres de la tarde me parece bien
(Ben je ne sais pas, vers trois heures de l’après midi, c’est bien)
39
E Sí claro (Oui bien sûr) 40
P Bueno te parece↑ (Bon d’accord) 41
E Bien (Bien) 42
P Bueno, pues vale (Alors ça marche) 43
E Y heu muchas gracias por acog germe (Et merci de m’accueillir) 44
P Ah bueno, pues, no pasa nada, mujer, es un placer.
(Ah d’accord mais c’est rien au contraire, c’est un plaisir)
45
E (rires) qué↑ quién↑ qué↑ (quoi qui quoi) 46
P Que es un placer recibirte eres encantadora
(Je te dis que c’est un plaisir de te recevoir, tu es charmante)
47
E Sí yo también (Oui, moi aussi) 48
P Ah bueno sí sí yo también (Ah bon, moi aussi) 49
E (rires) 50
P Bueno adiós (Allez, au revoir) 51
E Adiós (Au revoir) 52
P Hasta luego (A bientôt) 53
E Sí (Oui) 54
P Bueno encantado eh↑ Adiós↑ (Ça a été un plaisir, au revoir) 55
E Adiós (Au revoir) 56

- Eh bien dites-moi, cette élève n’est pas encore armée pour se débrouiller seule au téléphone.

- Si elle l’était, il ne servirait pas à grand-chose qu’elle vienne en classe.

- Mais enfin avouez qu’elle manque sérieusement de connaissances et que le test est négatif.

- Ce script ne nous permet pas de dire si elle manque de connaissances, il nous permet de pointer les micro compétences qu’elle doit travailler pour être performante dans cette pratique de la vie sociale. Il lui faudra acquérir des connaissances supplémentaires, vraisemblablement, mais plus sûrement apprendre à les mettre rapidement en synergie. Et puis, tout de même, je vous trouve sévère car, après tout, l’interaction est allée à son terme.

- Ah évidemment si c’est votre critère, c’est même un extraordinaire succès !!!

- Ne soyez pas désagréable et acceptez de resituer cette phase de l’apprentissage dans son procès. L’objectif est de conduire une conversation au téléphone avec un hispanophone, c'est-à-dire d’agir sur lui, ici de se présenter à lui, de le remercier, de demander à parler avec quelqu’un d’autre. Même si on s’est préparé à accomplir ces actions, elles ne sont possibles que si le niveau de compréhension de l’autre est suffisant, autrement dit si les propres connaissances et savoir-faire de l’élève sont suffisants et suffisamment mobilisés pour qu’en assumant sont projet de production, il assure son action de réception et qu’il coordonne l’une avec l’autre.

- Ne compliquez pas les choses à l’infini. Il apparaît clairement que le niveau de cette élève est insuffisant.