22. Où l’auteur expose…

Où l’auteur expose un type d’actualisation original.

- Vous disiez que les deux établissements mettaient en œuvre un autre dispositif pour permettre l’actualisation de la langue et de la culture pratique.

- Depuis 1996, avec une interruption d’un an, l’établissement français a compté parmi ses élèves pour l’ensemble de chacune des années scolaires, un, deux, ou trois élèves du lycée partenaire espagnol qui à son tour, depuis 1998, a scolarisé chaque année jusqu’à trois élèves du lycée français. 465

- Qu’est-ce qui peut inciter des adolescents de 16 ou 17 ans à quitter leur environnement familial, scolaire, national pour vivre cette expérience ?

- Les analyses qui ont pu être faites pour cerner cette question et apporter une réponse ont jusque là échoué à établir une typologie des individus concernés. Si la volonté de maîtriser le mieux possible la langue de l’autre les réunit tous, elle ne semble pas de nature à justifier un tel déracinement. Chacun semble mû par des motivations extrêmement spécifiques et profondes.

- J’imagine que chaque fois ce sont des couples de correspondants qui après l’expérience des deux séjours d’une semaine dans le cadre de l’échange « traditionnel » ont échangé leurs domiciles pour un an.

- Cette formule a souvent été préconisée par les organisateurs mais n’a jamais été retenue par les élèves et leurs familles. Et il est vrai que recevoir le correspondant de son enfant, une année durant, en l’absence de ce dernier pose aux familles des problèmes, notamment de communication, qu’elles n’ont jamais osé affronter. Les élèves français sont, le plus souvent, reçus par les familles de leurs correspondants l’année entière. Quand les familles concernées ne peuvent assumer cette charge, ce sont des familles volontaires qui prennent le relais. Bien sûr, l’accueil des Espagnols en France s’est toujours avéré beaucoup plus facile.

- Certainement parce que l’établissement dispose d’un internat.

- L’internat permet effectivement d’héberger les élèves espagnols dans l’établissement lui-même et de ne solliciter les familles des élèves français que pour les fins de semaines et les vacances courtes.

- Pourquoi exclure la possibilité que des familles françaises puissent accueillir à temps plein les élèves espagnols ?

- Sans exclure cette possibilité, les responsables de l’échange privilégient la formule de l’internat parce que c’est celle qui sert le plus efficacement les objectifs d’actualisation de la langue et de la culture enseignées et qui garantit à la fois un encadrement étroit et des relations variées aux élèves espagnols.

- Je vois derrière votre premier argument quelque chose qui ressemble à une instrumentalisation en règle des individus concernés.

- Ce serait mentir que de prétendre que la présence quotidienne, dans la communauté que forme l’ensemble des usagers de l’établissement, de personnes qui vivent la langue et la culture qui y sont enseignées, ne rentre pas dans une stratégie didactique. Il est demandé explicitement aux élèves qui s’engagent dans cette aventure d’être des partenaires actifs dans les activités scolaires et extrascolaires qui concernent l’enseignement - apprentissage de leur langue – culture.

- Ce qui les valorise, ceci compensant cela.

- Ce qui les valorise en les responsabilisant vis-à-vis de leurs camarades français et qui fait une obligation à ces derniers de leur venir en aide au jour le jour.

- Tous ne peuvent être impliqués dans l’accompagnement des élèves espagnols.

- Certes, mais leur présence à l’internat permet de multiplier les occasions de contacts et d’assurer un encadrement humain étroit en plus de l’encadrement organisationnel de l’institution. Et si l’intégration des élèves espagnols dans le système permet à ceux des Français qui sont les plus proches de prendre conscience intimement des implicites culturels qui règlent leurs vies quotidiennes, les professeurs ne manquent pas les occasions d’offrir à tous les autres cette possibilité de prise de conscience de l’altérité en multipliant les occasions de rencontre, les interview, le tout filmé, enregistré et exploité en classe.

- Comment ?

- Mais de mille façons.

- Sauf peut-être le commentaire collectif !!!

- Sauf le commentaire. Mais imaginez un exercice de compréhension à partir des connaissances lexicales que l’on a découvertes ces derniers jours où l’on reconnaît la voix de l’amie que l’on vient de quitter dans la cour de récréation. Imaginez le tour que prend un entraînement à la production phonétique quand on le fait avec elle ou quand on sait qu’elle sera la destinataire de l’objet produit. Et je ne dis rien de la découverte de soi, de son rapport au langage quand on doit l’examiner pour venir en aide à l’hispanophone qui décidément se pose des questions dont on n’avait jamais soupçonné qu’elles pussent exister. La fréquentation quotidienne, sous une forme ou sous une autre, dans un espace ou dans un autre de quelqu’un qui appartient à cet ailleurs où on aspire à prendre pied est une espèce de fil rouge.

- On y fréquente aussi ceux qui ont vécu un an en Espagne ?

- Vous avez raison de souligner cela également. Ces élèves jouent souvent un rôle essentiel dans ce rapport avec l’ailleurs dont nous parlons. Ils sont des témoins privilégiés et leur fréquentation par les autres élèves est un atout supplémentaire.

- Vous parlez de la fréquentation par l’ensemble des élèves hispanistes des élèves espagnols et de ceux qui ont séjourné longuement en Espagne. Je ne doute pas qu’elle soit du plus grand intérêt mais elle ne présente cet intérêt que parce que c’est une fréquentation en quelque sorte, si vous m’autorisez l’expression, didactisée.

- Pour une part, c’est vrai. Sans une intervention régulière des enseignants, tout cela resterait l’affaire d’un petit groupe motivé et l’immense majorité des apprenants d’espagnol se contenterait de vivre à côté de leurs camarades espagnols et de ceux qui ont une plus grande expérience de l’ailleurs. C’est pour intervenir auprès de tous que les enseignants ont construit avec les élèves cet outil qu’est la structure humaine de l’échange dans laquelle peut venir s’enchâsser le cours de langue et qui assure l’articulation avec les systèmes constitués et ceux à construire.

Notes
465.

Cf. annexe XXI.