2. Vers quelle didactique orienter la formation ?

2.1. Le cours de langue étrangère pour apprendre quoi ?

On invoque traditionnellement la fameuse « homologie fin / moyens » qui caractérise l’enseignement – apprentissage des langues et qui en conditionnerait fondamentalement la mise en œuvre. L’objectif fondamental, à savoir la langue cible, se trouve être en même temps le moyen pour y parvenir. On se souviendra que dans la liste des critères d’inspection que nous avons présentés plus haut le fait, de la part du professeur, de mener son cours en espagnol figurait en première place. L’inspecteur qui signe ce document a même pris soin de souligner le terme : il attend que le professeur « s’exprime en espagnol ». Cette règle impérative et incontournable renvoie à la logique du bon sens dont nous avons parlé plus haut et qui, selon l’adage, prétend que «  c’est en forgeant que l’on devient forgeron  » . Il conviendrait certainement, sans faire injure au savoir populaire, de se demander en quoi consiste cette didactique de la production orale et quelle alternative une approche fondée sur la linguistique énonciative et sur le constructivisme peut proposer.

L’oral dans la didactique traditionnelle de la production orale est un outil. Il peut être un outil de régulation de la classe : on y a recours pour gérer le groupe, entretenir la relation pédagogique, régir les comportements. Il est aussi et surtout un outil pour effectuer ou faire effectuer par la classe les activités qui lui sont particulières : le commentaire – analyse de document est traditionnellement en espagnol la principale de ces activités. L’oral est alors un outil au service d’un type d’activités scolaires et la production orale ne fait l’objet d’attention que secondairement, qu’en dépendance. S. Erard et B. Schneuwly affirment que l’intervention didactique sur l’oral n’est alors dans ce cas qu’« incidente » 474 , la priorité étant accordée à la dynamique des échanges. L’oral est comme subordonné à la maîtrise de ce que les auteurs appellent « un genre » scolaire qui le renvoie à un rôle d’exécutant, le soumet à sa cohérence. Ce faisant, dans ce contexte, les apprentissages relevant de l’oral que le maître voudra faire réaliser, deviennent pour l’apprenant un apprentissage cumulatif de formes.

Á cette approche, S. Erard et B. Schneuwly en opposent une autre. Les deux auteurs traitent de la didactique de l’oral en français dans une classe francophone mais nous verrons que leur analyse est parfaitement transposable, moyennant quelques aménagements, en didactique de l’oral en langue étrangère.

‘« La seconde approche part du postulat selon lequel enseigner l’oral signifie développer la maîtrise de diverses situations de communication publiques (au travail, à l’école, dans l’administration ou la politique), par l’appropriation des genres correspondants à ces situations. Elle se distingue notamment de la première sur deux points : a) Elle isole des genres – qui peuvent être des genres scolaires qui fonctionnent dans un contexte d’appropriation de savoirs (compte rendu), ou des genres “non scolaires” (débat, conte lu à d’autres) – pour en faire des objets de travail didactique ; b) elle fournit à l’élève, par des démarches diversifiées, systématiques et partiellement décrochées de l’activité langagière, des outils langagiers pour mieux maîtriser les genres travaillés. On pourrait donc parler ici d’un interactionnisme non seulement intersubjectif, mais instrumental ou sémiotique et dire qu’il s’agit d’une didactique non pas seulement de la communication mais du français, axée sur les spécificités de cette langue : en plus de travailler en français, on travaille sur le français. » ’

Voilà qui est de nature à ébranler fortement la fameuse homologie fins / moyens que nous évoquions plus haut, ou du moins conduire à la revisiter. Réexaminer cette question, c’est tenter de fournir à celui qui veut enseigner la langue étrangère dans le cadre de l’École un schéma didactique minimal de référence pour satisfaire à la demande institutionnelle pressante de privilégier l’oral, demande largement relayée par le corps social. 475

Notes
474.

Erard, S. & Schneuwly, B. La didactique de l’oral : savoirs ou compétences, p. 71.

475.

Ou peut-être est-ce même l’inverse.