2.1.1. Première clarification : la question de la compétence.

Si nous nous appuyons pour ce faire sur la proposition de S. Erard et B. Schneuwly, nous entendons élargir le concept de « genre » auquel ils se réfèrent, conscient que, ce faisant, nous altérons le sens qu’ils lui donnent. C’est que nos auteurs montrent beaucoup de réticences à laisser entrer dans le champ de l’éducation le concept de « compétence », tout droit issu du monde de l’entreprise. La citation qu’ils fournissent de M. Crahay dit assez leurs préventions :

‘« La logique de la compétence est, au départ, un costume taillé sur mesure pour le monde de l’entreprise. Dès lors qu’on s’obstine à en revêtir l’école, celle-ci est engoncée dans un habit trop étriqué eu égard à sa dimension nécessairement humaniste ». 476

Nos auteurs craignent fort que le terme, de par son origine et ses connotations n’entraîne les finalités scolaires vers la vie quotidienne et la réponse à des besoins immédiats quand

‘« L’une des potentialités de l’institution scolaire réside précisément dans le fait d’instaurer une rupture progressive avec les formes d’apprentissage liées aux situations quotidiennes, et de créer un espace d’étude qui fonctionne selon des logiques différentes, dont les disciplines scolaires sont l’expression. » 477

L’apprentissage de langue étrangère tel que nous l’avons présenté au début de cette partie, dans ses liens avec le langage et tel qu’il apparaît dans l’étude de cas qui l’illustre, nous semble précisément prémunir contre cette dérive possible. Si cet enseignement – apprentissage vise à faire face à des situations quotidiennes dans le macrosystème où prévaut la variété linguistique qu’on étudie, il permet, précisément parce qu’il se développe dans le milieu scolaire, l’apprentissage conscient et donc distancié de ces savoir-faire et le retour réflexif. Mieux encore : ce faisant, il conduit à la conscientisation dans l’espace d’étude qu’est l’École, des logiques qui opèrent dans l’usage quotidien du langage que pratique l’apprenant dans sa vie quotidienne.

Dès lors, nous substituons au terme « genre » de nos auteurs, le terme de compétence. Mais une nouvelle précision s’impose. Le Cadre européen de référence pour les langues se contente d’une définition a minima des compétences, le pluriel « les compétences », ne faisant que renforcer un peu plus l’imprécision :

‘« Les compétences sont l’ensemble des connaissances, des habiletés et des dispositions qui permettent d’agir ». 478

L’imprécision est due ici à l’amalgame qui est fait entre les ressources de l’action et l’action elle-même, ce que précisément la sociologie du travail a conduit à distinguer clairement. G. Le Boterf écrit :

‘« La compétence ne réside pas dans les ressources (connaissances, capacités…) à mobiliser mais dans la mobilisation même de ces ressources. La compétence est de l’ordre du “savoir mobiliser” » 479

Le contexte de mobilisation de cette compétence prend alors une importance fondamentale si on prend en compte la nature sociale et contextuelle du langage. La compétence langagière est un savoir d’action et il revient à l’École de fournir à l’apprenant les moyens de se le constituer.

Notes
476.

Crahay, M. Dangers, incertitudes et incomplétude de la logique de la compétence en éducation. Liège, 2003. Manuscrit non publié.

477.

Op. cit. p. 93.

478.

Conseil de l’Europe, Cadre européen commun de référence pour les langues, p. 15.

479.

Le Boterf, G. De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, p. 16.