2.3. Une didactique créative. Vous avez dit « activités » ?

La voie qui s’ouvre est loin d’offrir aux enseignants de langues en formation une stabilité méthodologique à laquelle cependant ils aspirent. Aspiration légitime pour qui découvre la complexité mouvante des situations d’enseignement - apprentissage, la complexité mouvante de l’objet à faire apprendre, mais aspiration qu’un organisme universitaire de formation ne saurait satisfaire, même s’il doit la prendre en compte. Il y aurait manipulation à laisser croire que le professeur de langues puisse être un praticien à qui l’on fournirait des outils didactiques qu’il n’aurait qu’à faire fonctionner. Le modèle socioconstructiviste sur lequel nous appuyons tout notre travail ne saurait être réservé au seul apprenant scolaire ; le maître, en formation ou non, est lui aussi un acteur social et il lui revient de se constituer un savoir et un savoir-faire professionnels en perpétuelle évolution. Il est de la responsabilité de l’institut universitaire de formation des maîtres de faire naître cette dynamique, de susciter une inventivité didactique à développement exponentiel et son corollaire tout aussi dynamique : la capacité d’analyse, d’observation et d’évaluation.

L’un des items de la grille des critères d’inspection que nous avons produite est ainsi rédigé :

‘« Elle (L’inspection) attend que le professeur (…) ne confonde pas activité et apprentissage ».’

Les notions d’activité et d’apprentissage y sont clairement opposées et cette opposition laisse perplexe quiconque envisage l’apprentissage des langues et donc le travail du professeur dans la perspective qui est tracée par le Cadre européen commun de référence et reprise amplement par les Instructions Officielles maintenant du primaire au baccalauréat. Le sujet apprenant est mis au cœur du processus d’apprentissage, c'est-à-dire que la primauté est donnée à son activité mentale. C’est par elle que l’apprenant réalise les opérations de traitement du matériau langagier et c’est de ces opérations dont il va garder le souvenir. En 1982, D. Gaonac’h écrit :

‘« Les acquisitions constituent une conséquence de l’activité mentale : celle-ci a un produit (perception d’objets, compréhension ou production d’énoncés verbaux, etc.) ; ce qui est “stocké” par le sujet, ce n’est pas le produit mais l’activité mentale qui en est la cause : traitement perceptif, opérations psycholinguistiques, etc. » 483

Ce texte est cité par M. Pendanx dans son ouvrage Les activités d’apprentissage en classe de langue, ouvrage dans lequel elle fait le point sur cette question et précise, à la suite de sa citation de D. Gaonac’h :

‘« C’est pourquoi on accorde aux activités la prééminence sur les seuls contenus de langue dès lors que l’on cherche à définir les apprentissages. L’enseignant, à qui il revient de choisir et de planifier les activités, doit donc pouvoir élucider ce qui s’y joue. » 484

Au vu de ces citations, il apparaît que le terme même d’« activité » est polysémique et peut-être le libellé du critère d’évaluation de l’inspection ne renvoie-t-il qu’à une acception très particulière du mot « activité ». M. Pendanx distingue quatre acceptions différentes du terme. Voyons à quelle acception se réfère le texte de l’inspection. D’abord, il ne peut y être question des processus mentaux (acception 1) :

‘« perception, analogie, comparaison, discrimination, mémorisation, catégorisation, élaboration et vérification d’hypothèses, etc. » 485

Il n’est pas question non plus des activités langagières où se réalise la pratique d’une langue (acception 2) :

‘« Le locuteur met en jeu et combine ces divers processus d’une manière spécifique, qu’il bavarde avec un ami, joue au Scrable ou lise… » 486

Il ne s’agit pas davantage de la troisième acception puisqu’il est essentiellement question d’apprentissage :

‘« Au cours de l’apprentissage d’une langue étrangère, ces processus ou opérations se réalisent sur le matériau de la langue cible et donnent lieu à des activités de traitement langagier… » 487

Reste une quatrième acception, celle qui renvoie à la notion large d’activité enseignement – apprentissage.

‘« En classe, l’enseignant propose de nombreuses activités qui tendent à mettre en jeu des opérations spécifiques de traitement langagier : qu’elles se rapprochent des activités langagières « naturelles » (comme les jeux de rôle) ou qu’elles soient plus caractéristiques de l’apprentissage institutionnel (comme les exercices de grammaire), elles sont réalisées dans une situation d’enseignement, et visent la réalisation de tâches de traitement langagier et la mise en œuvre de stratégies dans un but d’apprentissage. » 488

Quelle que soit l’acception retenue, rien ne permet d’opposer jamais activité et apprentissage comme le fait le texte de l’inspection. Peut-être faut-il alors considérer une cinquième acception, celle qui confondrait la tâche, c'est-à-dire ce qui est à faire et l’activité, c'est-à-dire, ce qui est vraiment fait. Mais alors qui refuse les tâches pour ce qu’elles sont ne doit pas être enclin à s’interroger sur les activités mentales qu’elles déclenchent. Il semble bien en effet que soit condamnée ici l’activité au sens où l’entendrait l’apprenant qui n’en saurait pas les tenants et les aboutissants, c'est-à-dire ce qu’il fait concrètement, l’accomplissement physique de la tâche qui lui a été donnée indépendamment de ce pourquoi il la fait, de ce à quoi va lui permettre d’accéder (notion, savoir, savoir-faire) l’activité dans laquelle il est engagé. Opposer activité et apprentissage, c’est refuser de considérer avec l’immense majorité de la communauté scientifique que l’appropriation d’une langue étrangère et de ses usages est une activité cognitive contrôlabled’autant plus efficace qu’elle prendra en compte le plus grand nombre possible des paramètres de ce savoir-faire social complexe. La diversité des paramètres exige un apprentissage adapté qui permette tantôt d’isoler des éléments sur lesquels faire porter l’attention, tantôt de mettre en synergie des savoirs ou des savoir-faire en voie d’acquisition. Il est de la responsabilité du didacticien pédagogue de proposer à l’apprenant les activités adaptées pour qu’en les réalisant il s’approprie savoirs et savoir-faire, faisant de ces activités non une alternative à l’apprentissage mais le moyen de l’apprentissage. Dans l’ouvrage cité, M. Pendanx, reprenant les travaux de R. Porquier 489 leur attribue quatre fonctions :

‘« - Une fonction de « découverte-exploration » (sensibilisation à de nouvelles significations, à des valeurs communicatives inconnues de l’apprenant, à des informations culturelles inédites pour lui).
- Une fonction de « structuration » (structuration du nouveau contenu langagier, conceptualisation d’emplois divers de formes linguistiques, repérage de l’organisation textuelle).
- Une fonction d’« entraînement » (entraînement au repérage et au maniement des formes et des sens, mémorisation, automatisation).
- Une fonction d’«évaluation », pour aider l’apprenant à faire le point sur son apprentissage. » 490

Accompagner l’apprenant revient donc, dans le cadre scolaire, à inventer continuellement des dispositifs auxquels il adhère et qui soient de nature à le faire progresser efficacement, ajuster au mieux la tâche pour que se mettent en branle des processus mentaux qui vont pousser les frontières du savoir et des savoir-faire, mettre en place des dispositifs d’évaluation pour en apprécier la portée, en mesurer les limites et apporter, le cas échéant, les remédiations adaptées. Mais, pour ce faire, encore faut-il être en mesure de donner du sens à ce qui se passe chez l’apprenant, d’interpréter avec justesse les manifestations tangibles d’une activité cognitive toujours inaccessible, en un mot d’être un professionnel de l’apprentissage de langue.

Notes
483.

Gaonac’h, D. Psychologie cognitive et approche communicative en didactique des langues étrangères, p. 161.

484.

Pendanx, M. Les activités d’apprentissage en classe de langue. Paris : Hachette, p. 61.

485.

Ibid.

486.

Ibid.

487.

Ibid.

488.

Ibid.

489.

Porquier, R. Quand apprendre c’est construire du sens, p. 123-136.

490.

Ibid.