2.4.2. La psychologie cognitive.

Nous avons montré dans le premier paragraphe de ce chapitre, que la didactique traditionnelle de l’espagnol ne s’appuyait sur aucune théorie se contentant de se référer au bon sens et à des idéaux humanistes. Nous avons également, à la fin de notre première partie, montré, qu’en réalité, les représentations de l’apprentissage de langue étrangère qui président à ce modèle et que ce modèle distille, renvoient à une vision cumulative de l’acquisition de connaissances, aussi ne s’aventure-t-il jamais sur le terrain de la psychologie cognitive 491 .

Mais proposer aux nouveaux professeurs de langues, comme nous le faisons ici, une didactique qui s’adosse largement aux théories cognitivistes sans les y préparer, c’est courir le risque d’un nouveau comportementalisme qui ne ferait que se substituer au précédent, ce serait leur refuser les outils pour penser leur didactique, et ce serait se priver de professionnels responsables capables d’infléchir leurs pratiques en fonction des situations et des avancées de la recherche.

Cette formation nous paraît d’autant plus décisive que l’enseignement de la langue touche à l’identité de l’être en formation. Si on souscrit à la théorie qui veut que

‘« l’individu humain est un dispositif de traitement et de stockage de l’information » 492 ,’

si, en conséquence, on admet qu’apprendre ce n’est pas remplir un réceptacle vide, que c’est une déstructuration cognitive, que cela exige de réorganiser ce que l’on croyait savoir, que c’est une remise en cause de l’individu, on mesure combien les acteurs de cet enseignement, qui touche au rapport que l’individu entretient avec le monde, doivent être instruits de ces enjeux. Et cela d’autant que cette théorie de l’apprentissage va avoir des conséquences innombrables sur le quotidien des enseignements de langue, et remettre en cause profondément les idées reçues, obliger le professionnel à s’interroger sur la manière dont l’élève apprend et comprend la langue à apprendre, mais peut-être aussi la sienne.

Comment ne pas exiger alors des professionnels qu’ils soient au fait de ce que les sciences cognitives appellent les filtres mentaux, la surcharge cognitive, comment ne pas exiger qu’ils connaissent le concept de « zone proximale de développement » qui est à l’origine d’innombrables recherches qui ont fait naître les notions de « déficit d’information » ou de « séquences potentiellement acquisitionnelles » ?

Et puis, dans la perspective tracée par les Instructions Officielles d’un enseignement de langues étrangères finalisé par leur utilisation dans l’interaction avec le natif, comment ne pas exiger de ces professionnels qu’ils aient claire conscience de ce qu’on a appelé « l’effet de contexte » pour juger du degré d’appropriation des connaissances et des savoir-faire de leurs élèves et en tirer les conséquences pour l’organisation des enseignements. En langue étrangère, la notion de transfert prend une signification particulière. Au professeur de langue de s’interroger sur les situations de transfert qui garantiront que le processus d’apprentissage arrivera à son terme. M. Develay et P. Meirieu écrivent :

‘« Tant que l’élève n’est pas capable d’utiliser les connaissances qu’il a acquises dans des situations différentes, tant qu’il ne sait pas repérer les problèmes qui appellent tel ou tel traitement, les questions qui sollicitent telle ou telle réponse, les interrogations qui peuvent être éclairées par tel ou tel apport culturel, tant qu’il ne sait pas faire cela, il reste dépendant de la situation d’acquisition dont on ne peut pas dire encore qu’elle soit une véritable situation d’apprentissage. C’est pourquoi il est si important de pratiquer ce que les chercheurs américains nomment le “bridging” – le fait de“ faire des ponts” – et qui consiste à demander aux sujets apprenants, après la maîtrise d’une notion ou d’une procédure, de chercher eux-mêmes des situations où ils peuvent la retrouver et la faire jouer. Il ne s’agit pas ici pour l’enseignant de proposer lui-même aux élèves de nouveaux exercices d’application mobilisant d’autres contextes – exercices qui risquent de ne pas pouvoir être compris ou investis par les élèves et de les maintenir néanmoins en état de “dépendance didactique”– ; il s’agit tout au contraire, que les sujets prospectent autour d’eux, puisent dans leur expérience, interrogent leurs proches… »’

Nous pourrions ajouter, forts de l’expérience analysée : « entrent en contact avec l’étranger, dans le rapport direct ou par média interposé… »

‘« …pour découvrir eux-mêmes et proposer à la classe des situations qui, comportant les mêmes “indicateurs de structure” peuvent être traités par les mêmes outils. » 493

Rendre possibles, par l’action didactique et pédagogique, les processus mentaux que les travaux des psychologues cognitivistes cernent de mieux en mieux et sans lesquels il n’y a pas de véritable apprentissage, c’est l’un des enjeux d’une formation professionnelle actualisée des enseignants de langues.

Notes
491.

Les rapports des jury du CAPES externe d’espagnol parlent systématiquement de quatre objectifs assignés au cours : objectif linguistique, objectif culturel, objectif civique et objectif cognitif. La formulation énigmatique du dernier ne doit pas faire illusion. Il ne s’agit jamais de définir les processus mentaux que le cours devra déclencher. Tout au plus s’agit-il quelquefois d’objectifs méthodologiques pour améliorer la réalisation de tel ou tel exercice scolaire.

492.

Bonnet, C., Hoc, J.-M., Tiberghien, G. Psychologie, intelligence artificielle et automatique.

493.

Develay, M. & Meirieu, P. Emile, reviens vite… ils sont devenus fous, p. 164.