2.4.4. La sociologie du langage.

Comme l’annonce le titre du premier chapitre de cette partie « Elève de langue, être de langage », fût-il à l’école primaire, l’élève a déjà une longue et forte histoire avec le langage quand il entame un apprentissage de langue étrangère. Aussi, quand l’École se donne pour objectif de le rendre énonciateur dans la langue étrangère qu’il apprend, elle ne peut ignorer l’énonciateur plus ou moins assuré qui s’est construit, tente de se construire, dans une situation sociale donnée, un rapport au langage spécifique, dépendant des circonstances vitales de l’individu, plus ou moins compatible avec l’institution scolaire, voire carrément antagonique.

Nous écrivions que l’apprentissage de langue étrangère ne saurait se limiter à l’acquisition de savoirs culturels ou à la maîtrise de techniques de communication car « sans engagement du sujet, leur déconnection d’avec le langage les rendrait vains ». C’est parce qu’il fera « bouger » le sujet que l’apprentissage de langue étrangère en milieu scolaire trouvera une légitimité. Mais cela revient à exiger de l’institution qu’elle prenne en compte la singularité de tout individu qui s’essaie à redéfinir son rapport au monde par le langage via l’apprentissage de langue étrangère. Qu’elle s’y refuse ou ne s’en donne pas les moyens, ce qui reviendrait au même, cela équivaudrait à ne permettre l’accès à la maîtrise du langage en langue étrangère qu’à ceux qui l’ont en langue première et ce serait interdire l’accès à un outil à penser le monde, leur monde et celui de l’autre, à ceux qui en ont le plus besoin. Car, comme l’écrit avec force E. Bautier en ouverture de la quatrième de couverture du livre Pratiques langagières, pratiques sociales. De la sociolinguistique à la sociologie du langage que nous avons cité à plusieurs reprises :

‘« Les pratiques langagières de chacun d’entre nous sont à la fois linguistiques, sociales et cognitives. C’est faute de tenir compte de cette complexité que les constructions didactiques unidimensionnelles élaborées pour remédier à l’échec scolaire se révèlent finalement si peu efficaces. »’

Se donner les moyens, dans le cadre de l’apprentissage des langues, de prendre en compte la singularité de chaque individu dans ce rapport complexe au monde, c’est d’abord former les enseignants de langue – langue première comprise –– à la sociologie du langage. Puisque l’objectif général affiché par l’institution scolaire en matière d’enseignement-apprentissage des langues vivantes est l’usage du langage en langue étrangère dans un rapport direct avec l’alloglotte, dans un autre macrosystème que le sien, c’est sur cet objet symbolique de médiation entre celui qui aspire à l’interaction et le monde que le professeur de langue doit pouvoir porter son attention. Il lui revient d’agir sur les représentations qui conditionnent de manière décisive les apprentissages. Puisque les élèves que reçoit l’institution scolaire ne sont pas vierges devant le langage, puisqu’ils ont tous développé des savoir-faire avec le langage plus ou moins conscients, plus ou moins efficients, qui conditionnent leur rapport au monde ; pour que l’apprentissage scolaire de langues étrangères joue le rôle déterminant que nous lui voyons dans l’avènement de l’individu au monde par le langage, il est essentiel que les professionnels de ces enseignements agissent sur les représentations qui neutralisent ce processus et qui sont le plus souvent secrétées par le système éducatif lui-même et ses acteurs.

Citons les attitudes ethnocentrées que génère le système éducatif qui encourage par son organisation même l’enfermement sur la langue culture étrangère choisie en opposition aux autres langues possibles, condamnant de la sorte à penser l’apprentissage de langue comme une superposition et non à l’inscrire dans une perspective de complémentarité. L’organisation scolaire, en effet, met les différentes langues étrangères dans une logique de rivalité cultivant ainsi, ou encourageant au moins, la concurrence et exacerbant les spécificités. Ce faisant, on court le risque de renforcer des représentations qui contrecarrent l’avènement chez chaque apprenant, d’un savoir-faire langagier complexe intégrateur.