3.3. Le professeur de langue tient la porte ouverte.

Nous avons montré qu’un enseignement - apprentissage de langue étrangère à visée d’usage ne peut différer cet usage, qu’au contraire, c’est l’usage même de la langue, quel que soit son niveau de maîtrise, dans un acte social situé dans le macro système où fonctionne la langue cible, que c’est cet usage qui donnera du sens, fédérera, en un mot : validera les activités d’apprentissages. La validation de l’activité scolaire se réalise hors du monde scolaire. Il s’ensuit que l’exercice de la profession du professeur de langues déborde largement la classe. C’est à lui que revient la tâche de ménager des liens ou au moins de les rendre possibles, entre les apprenants et la société dont on étudie la langue, d’actualiser cette langue. Nous avons vu que ces contacts peuvent être à géométrie variable mais il nous semble qu’ils doivent s’inscrire dorénavant dans le cahier des charges de l’institution qui prétend assumer cette formation. Pour qu’il soit pris en compte au bénéfice de tous, cet aspect fondamental de l’apprentissage ne peut dépendre de la bonne volonté, voire de l’abnégation de quelques professionnels. Il ne peut non plus être réservé à des sections spécialisées comme les classes européennes et / ou à quelques catégories sociales plus sensibilisées que d’autres à cette composante du développement de l’individu. Faute d’une redéfinition de la charge d’enseignant spécialisé de langue étrangère dans le système scolaire, c’est le principe d’égalité des chances qui fonde le service public d’éducation qui se trouve mis à mal.

Nous l’avons affirmé à maintes reprises, le professeur de langue n’est pas chargé de transmettre un corps de savoirs fini, il est en charge d’un apprentissage social. Le volet scolaire n’a pas de sens s’il n’est complété par un volet d’expérience sociale éducative. Le statut du professeur de langues doit lui donner les moyens de mettre ses élèves en contact direct avec la société dont on étudie la langue. Cette irruption de l’expérience vitale dans l’apprentissage nous semble un passage incontournable pour atteindre à une véritable éducation interculturelle. La pédagogie interculturelle qu’elle implique est ainsi présentée par J.-C. Beacco :

‘« …elle intervient dans le domaine de ce qu’il est convenu d’appeler la psychologie sociale : la relation à une culture autre est reconnue comme étant de nature cognitive et affective et une éducation de ce type cherche à conduire de représentations premières à des représentations “travaillées”, toujours affectivisées, mais qui sont passées par l’observation, l’objectivation, la prise de conscience. Le produit d’un tel parcours n’est pas nécessairement une modification substantielle des représentations initiales, mais cette mise à distance de soi vise à créer une sensibilisation qui assure au moins un cadre à la confrontation argumentée avec l’autre, au-delà des pulsions pures et simples ». 500

C’est de la responsabilité de l’institution scolaire que de donner au professeur de langues les moyens de cette pédagogie interculturelle. Lui en donner les moyens c’est certainement réaménager son statut car exiger du professeur de langues qu’il prenne en charge cet autre versant, c’est lui confier des situations éducatives hors classe, immergées dans la culture cible, c’est donc exiger de lui de créer des réseaux dans la société dont on étudie la langue, d’être un acteur social, au moins occasionnel, dans la dite société. Il lui revient alors d’organiser des déplacements, de concevoir et de mener des échanges internationaux, de prospecter des stages à l’étranger, de trouver des modalités adaptées de rencontres en présentiel ou par médias interposés, d’accompagner des groupes hors espace scolaire, d’introduire dans l’espace scolaire des individus qui lui sont étrangers, etc. Ce rôle d’interface entre la classe et la société où l’on parle la langue qu’ils enseignent, nombre de professeurs de langues le joue déjà mais il le font hors cadre statutaire. Aux particularités de l’enseignement - apprentissage des langues sur le plan scolaire et sur le plan extra scolaire et conformément à la mission éducative de l’École, doivent correspondre des missions spécifiques du professeur de langues, inscrites et rémunérées, qui lui permettent de placer la classe de langue dans un réseau dont elle est un pôle important mais qui ne saurait suffire à l’ambition de cet apprentissage. Les fonctions éducatives, institutionnelles, culturelles et interculturelles du professeur de langues débordent l’institution scolaire mais c’est paradoxalement la condition pour que l’institution scolaire soit fidèle à ses missions d’éducation.

Notes
500.

Beacco, J.-C. Les dimensions culturelles des enseignements de langue, p. 123.