Sous le titre « Révolution épistémologique », nous affirmions au début de ce chapitre 508 que l’orientation que donnent les Instructions Officielles, clairement référencées aux théories constructivistes, exigent des professeurs qu’ils refondent leurs pratiques. Le principe fondamental sur lequel repose tout l’édifice est que c’est dans l’interaction entre l’individu et le monde que se construisent les connaissances. Objet cognitif, le langage y joue un rôle essentiel, participant de façon décisive au développement de l’intelligence. Dans ce cadre l’enseignement - apprentissage de langue étrangère peut être un facilitateur, voire un accélérateur déterminant, mais il faut pour cela accompagner la mutation du travail des professionnels qui en ont la charge.
Il serait vain de laisser croire qu’une amélioration du modèle en vigueur dans l’enseignement de l’espagnol puisse satisfaire à ces nouvelles exigences. Ce modèle, qui peut être activé par un simple praticien habile s’étant construit des routines sans trop penser aux processus que sa pratique déclenche, s’avère définitivement inadapté. Mais il serait tout aussi vain de prôner le grand soir. C’est à un dépassement qu’il faut procéder par la professionnalisation de ce praticien.
Pour P. Perrenoud, manifester des compétences professionnelles, face à une situation complexe, c’est être capable :
‘« - d’identifier les obstacles à surmonter ou les problèmes à résoudre pour réaliser un projet ou satisfaire un besoin ;Permettre à ses élèves, par son enseignement, d’accéder à l’autonomie langagière en langue étrangère ne peut pas être le fait d’un exécutant, aussi habile fût-il, mais accéder à cette professionnalité n’est pas un chemin de Damas, une conversion subite. Il revient à l’institution d’en créer les conditions.
On ne peut s’en remettre à la seule volonté et au seul travail individuels des enseignants formés à une autre approche, si on veut que les prescriptions institutionnelles ne restent pas lettre morte. Il est urgent d’aider les praticiens à prendre la mesure de la complexité en multipliant les occasions de réfléchir aux pratiques, pour faire émerger les innombrables non-dits qui les fondent, pour mettre à distance et rendre transférables – ou éliminer – ces savoirs d’expérience, ces « ça marche » que chacun s’est élaborés au cours de sa carrière, pour les articuler avec les savoirs de référence que possèdent déjà les professeurs mais, surtout, pour les articuler avec les savoirs de référence que leur curriculum ne leur a pas permis de découvrir et sans lesquels bien des processus d’enseignement – apprentissage restent énigmatiques. On ne peut à la fois exiger du professeur ce rôle d’émancipateur de l’apprenant par la maîtrise du langage en langue étrangère et lui refuser de se construire les outils théoriques sans lesquels il ne peut satisfaire à la demande institutionnelle. De plus, la constitution de ces objets théoriques ne suffit pas à les rendre disponibles pour l’action. C’est dans la durée et la confrontation permanente avec les pairs dans l’action et par des activités de prise de conscience et d’explicitation que l’on peut accéder à un « savoir mobiliser ».
Il est urgent d’accompagner les praticiens dans la construction lucide de leur propre théorie de l’action en créant avec eux les conditions d’une recherche collective sur la pratique.
Cf. 1.2.
Op. cit. p. 133-134.