Conclusion

Affirmer que l’enseignement des langues a à voir avec la question du langage semble une lapalissade et pourtant l’organisation structurelle de ces enseignements dans le secondaire comme les études qui préparent les futurs enseignants à les assurer dément l’évidence.

Les curricula en langue première et dans chacune des langues étrangères sont parfaitement indépendants les uns des autres. On assiste à une juxtaposition des enseignements - apprentissages des langues comme s’il s’agissait d’objets radicalement différents. Ce cloisonnement non seulement a des conséquences néfastes sur l’apprentissage linguistique, dans la mesure où il ne permet pas à l’apprenant de s’appuyer sur des savoirs et des savoir-faire acquis pour en acquérir d’autre, mais, plus grave encore, parce que c’est la socialisation de l’individu qui est en cause, il conduit enseignants et élèves à perdre de vue que les savoirs linguistiques, les savoir-faire linguistiques, les savoir-faire socioculturels, les savoirs culturels ne sont que les outils au service de la compétence humaine par excellence, le langage. La sectorisation disciplinaire conduit immanquablement à une focalisation sur le linguistique des apprentissages de langues étrangères et à la constitution d’un langage scolaire spécialisé à usage interne au moment même où l’adolescent en formation est en train de se constituer, dans son environnement social, cet objet symbolique sans lequel il n’aura pas d’existence au monde. Il y aurait manipulation à laisser croire qu’un enseignement - apprentissage de langue étrangère qui ne s’articulerait pas avec ce processus d’émergence du sujet, peut prétendre doter l’apprenant d’un savoir-faire langagier en langue étrangère. Conséquemment, si l’École ne travaille pas à l’intégration des enseignements langagiers, elle s’éloigne de sa mission d’éducation. Et il ne s’agit pas seulement d’une intégration formelle qui consisterait par exemple à harmoniser des progressions, des horaires ou des nomenclatures, il s’agit d’une intégration fondée sur une conception même du langage au service duquel doivent se mettre les enseignements – apprentissages de langues vivantes. Le rapport au langage se construit, les usages du langage s’apprennent et tous les apprentissages de chacune des variétés linguistiques, langue première comprise, doivent contribuer à cette construction. En privilégiant, dans ses Instructions, l’objectif langagier, l’institution assigne à l’ensemble des disciplines dites « linguistiques » l’objectif commun de rendre, au terme de ses études secondaires, l’élève capable de communiquer langagièrement dans le plus grand nombre possible de situations, en utilisant le plus grand spectre possible de variétés linguistico-culturelles. La compétence visée est plurielle et complexe mais elle ne se fractionne pas quand l’individu la convoque pour agir socialement. C’est la richesse de son répertoire langagier, sa plasticité qui procurent à l’individu une autonomie langagière. Sa compétence plurilingue n’est pas la somme de compétences unilingues, elle est sa puissance de mobilisation d’outils pour penser le monde et agir sur lui. Et cette compétence se construit à partir du rapport au langage et de l’utilisation du langage que l’apprenant s’est forgé dans sa langue première.

Dès lors un enseignement de langue étrangère va exiger de ceux qui en sont chargés, de fournir aux élèves les instruments heuristiques sans lesquels ils ne pourront mener cette confrontation entre les usages du langage qu’ils ont et ceux qu’ils doivent apprendre, de les accompagner jusqu’à cette conscience de langage sans laquelle l’apprentissage de langue étrangère ne serait qu’une discipline spécifique, avec ses savoirs particuliers et ses obstacles à franchir dans le cadre strict des apprentissages scolaires.

Nous avons montré l’obsolescence, dans cette perspective, du cours magistral dialogué construit autour d’un document d’appui que la didactique de l’espagnol a érigé en pierre angulaire et qui phagocyte toutes les tentatives d’adaptation à une demande pressante d’efficacité de la part du corps social. C’est que le modèle est puissant, qu’il est alimenté par des représentations fortes qui reposent elles-mêmes sur des présupposés théoriques incompatibles avec un apprentissage fondé sur l’accès progressif et conscient de la part de l’apprenant, à une autonomie langagière qui intègre toutes les variétés linguistiques possibles, d’origine scolaire ou non, et, au premier chef, la langue première, et le fait atteindre à un statut de sujet plurilingue.

Si on a pu reprocher quelquefois à l’École de développer une socialisation sans objet lorsqu’elle promeut une vie sociale à l’interne, les propositions faites ici peuvent se résumer à un apprentissage en alternance d’un agir social. Cette perspective actionnelle remet l’apprentissage de langues étrangères au centre du projet éducatif d’une école attentive à faire réussir tous les élèves. C’est un levier puissant qui les met à l’épreuve, qui les met en activité et qui les oblige à sortir d’eux-mêmes, à interroger leur expérience, à l’inscrire dans des cadres généraux qui lui donnent sens. L’apprentissage de langue étrangère, en même temps qu’il sert des objectifs pragmatiques, peut être au centre du projet d’émancipation que l’École forme pour les individus qu’elle a charge d’éduquer.