§ 1er – La contestation de la centralisation

Le préfet apparaît comme un instrument de cette centralisation. Les auteurs s'accordent pour constater l'efficacité de la chaîne hiérarchique dont le préfet est un maillon central. Mais les uns la louent, les autres l'honnissent.

Dans ses Etudes administratives, Vivien dresse de la centralisation un tableau peu flatteur 269 .

Dans le très célèbre exposé des motifs du décret dit de décentralisation du 25 mars 1852, 270 l'Empereur entend lutter contre la centralisation administrative : « Considérant que, depuis la chute de l'Empire, des abus et des exagérations de tous genres ont dénaturé le principe de notre centralisation administrative, en substituant à l'action prompte des autorités locales, les lentes formalités de l'administration centrale, considérant qu'on peut gouverner de loin, mais qu'on n'administre bien que de près, qu'en conséquence, autant il importe de centraliser l'action gouvernementale, autant il est nécessaire de décentraliser l'action purement administrative ». 271

En 1895, Deschanel estimait que : « Nos administrations centrales sont développées dans des proportions énormes (…) ; c'est une véritable congestion. (…) Il y a un certain nombre d'affaires qui se traitent à Paris et qui pourraient être mieux réglées sur place, soit par le préfet seul, soit par le préfet assisté de la commission départementale » 272 .

Au même moment, Paul Boncourt : « …il suffit à un homme d'être assis à une table au ministère de l'Intérieur et d'appuyer sur un bouton pour faire faire le même geste aux Préfets des quatre vingt six départements, aux sous-préfets des 362 arrondissements, aux maires des 36 000 communes et, par eux, à tous les fonctionnaires de tous grades et jusqu'aux plus infimes représentants de l'autorité disséminés par milliers sur tous les points du territoire, pour faire mouvoir les argousins du Préfet de police, réquisitionner la force armée, diriger les parquets, influencer la magistrature, recevoir les compliments des corps constitués et obtenir le Te Deum des églises» 273 .

A la fin du XIXème siècle, la centralisation est encore assez importante pour faire dire à Emile Fontaine, dans sa thèse, que dans tous les cas, « la solution est préparée dans les bureaux de l'Administration centrale », et que « le Ministre de l'Intérieur est le préfet de tous les départements » 274 .

Au XXème siècle, le problème demeure entier, et on peut estimer avec Monsieur Alain-Serge Mescheriakoff qu'il a fallu « le risque de thrombose provoqué par la croissance exponentielle de l'Etat providence après la guerre de 1914-18 et plus encore après celle de 1939-1945, pour conduire à des mesures de déconcentration plus poussées » 275 .

Notes
269.

« Son vice principal est la lenteur, et ce vice tient en grande partie à une idée fausse. De ce que l'action administrative doit venir du centre, on conclut que toutes les affaires doivent passer par les mains de l'administration centrale ; on se trompe », VIVIEN de GOUBERT, op. cit., p. 60.

270.

Bulletin des Lois, 1852, t. IX, Xème série, n°3855, F. 821.

271.

A son égard, G. SAUTEL écrit que : « La dénomination surprend, car selon toutes apparences, il s’agit moins de décentralisation que de déconcentration », SAUTEL (G.), Histoire des institutions publiques, Dalloz, (coll. « Précis »), 1990, 651 p., p. 534, mais il précise paradoxalement par la suite que : « (l)e terme “déconcentration” n’était pas encore en usage ; il n’a été inventé, par la doctrine, que dans les années 1860 ». Nous avons évoqué la création de ce terme supra.

Il n’y a donc à l’évidence pas là de la part de l’Empereur, le cynisme ou la volonté de tromper que certains auteurs ont trop rapidement voulu y voir (notamment VERCLYTTE (S.), La déconcentration en France, op. cit., p. 16).

272.

DESCHANEL (P.), cité in LEGENDRE (P.), op. cit., p. 69.

273.

BONCOUR (J.-P.), « La République et la décentralisation » in BONCOUR (J.-P.) et MAURRAS (Ch.), « Un débat nouveau sur la République et la décentralisation », Bibliothèque et Propagande régionaliste, n° 3, sans date [janvier 1905], Toulouse, Sté provinciale d'édition, 92 p., pp. 9-43, p. 39.

274.

FONTAINE (E.), Décentralisation et déconcentration, op. cit., p. 34. L'auteur dénonce en termes vifs cette centralisation, estimant qu'elle « s'inspire d'un sentiment de défiance incompréhensible du pouvoir central pour ses divers agents », et que cette défiance « est d'autant moins justifiable (…) que le pouvoir central, dans l'impossibilité de tout voir par lui-même, est obligé de se contenter des explications de ses subordonnés », p. 34. L'auteur précise : « des innovations heureuses pourraient être réalisées. Les préfets ont, en effet, à préparer la solution de nombreuses questions ressortissant des ministères de l'Intérieur, des Travaux publics, de l'Instruction publique, des Cultes, des Finances, de l'Agriculture, du Commerce, dont l'importance ne paraît pas toujours nécessiter une intervention supérieure », p. 235. L'auteur regrette cette situation qui nuit à la qualité des décisions prises puisque : « (l)'agent local qui prononce s'intéresse davantage aux questions qu'il a à traiter. Sa personnalité, sa dignité est engagée dans le pays où il est connu de tous ; si la décision intervenue mécontente les intéressés, il en supporte les conséquences et il ne peut ni se disculper, ni chercher à se retrancher derrière une autorité supérieure », p. 36.

275.

MESCHERIAKOFF (A.-S.), « France », in ANDERSEN (R.), DEOM (D.), sous la dir. de, Droit administratif et subsidiarité, Bruxelles, Bruylant, 2000, 300 p., pp. 125-151 ; p. 141.