Chapitre 1er : Le contrôle du préfet sur les actes et abstentions des collectivités territoriales

« Il faut des représentants du pouvoir central pour tenir en respect les administrations locales... », HAURIOU (Maurice) 1663 .

C’est aujourd'hui la Constitution elle-même qui confie au préfet une mission de surveillance des collectivités territoriales.

L’article 88 de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoyait que le « contrôle administratif des collectivités territoriales » était assuré, « dans le cadre départemental, par les délégués du gouvernement, désignés en Conseil des ministres ».

L’article 72 alinéa 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 tel qu'il était rédigé de 1958 à 2003 disposait : « Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois » et, depuis la révision constitutionnelle de mars 2003, l'article 72 alinéa 6, dispose que : « Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». Il est à remarquer que cette obligation de contrôle administratif vaut pour toutes les collectivités territoriales. Avant la révision constitutionnelle de 2003, l’expression « dans les départements » renvoyait à la fois aux départements et aux communes, et le terme « territoires » ne se limitait pas aux seuls territoires d’Outre-mer, mais renvoyait à toutes les autres catégories de collectivités locales créées par la loi. Ainsi en a jugé le Conseil constitutionnel le 30 décembre 1975 1664 .

On peut, avec Monsieur Gaudemet 1665 , regretter la nouvelle rédaction de cet alinéa 6 de l'article 72, qui apparaît, à tous égards, incompréhensible.

La loi du 2 mars 1982 a prétendu supprimer la tutelle de l’Etat sur les collectivités territoriales, et lui substituer un contrôle de légalité, s’exerçant a posteriori. Nous sommes d’avis que si les compétences préfectorales ont, en cette matière sans doute plus qu’en d’autres, de façon évidente, subi une évolution sensible, il ne s’est agi que d’une évolution. Il n’y a pas véritablement ni révolution, ni même rupture, et pas plus en 1982 1666 qu'en 2003.

La proposition faite en 1871 par le rapporteur de la loi du 10 août 1871, Waddington, de faire contrôler les actes de la commune par le conseil général a été repoussée en 1871, puis en 1884. Nous nous en félicitons, comme s’en était félicité Remus Nestor, considérant comme lui que « l’idée de contrôle administratif réside dans la sauvegarde des intérêts généraux (et que dès lors) le département ne peut avoir aucune qualité pour se mêler aux affaires qui ne sont pas les siennes et de s’ériger en défenseur d’intérêts qui ne lui appartiennent à aucun titre » 1667 .

La surveillance du préfet sur les collectivités territoriales est liée à la nécessité de concilier deux exigences : celle de faire respecter l’autorité de l’Etat, personne morale souveraine, et celle de confier le contrôle à une autorité proche des contrôlés.

Le préfet semble permettre une telle conciliation car il est à la fois revêtu des qualités d’autorité requises et près des autorités décentralisées 1668 .

Chaptal, lors des débats qui ont précédé l’adoption de la loi du 28 pluviôse an VIII, a déclaré que le préfet devait : « assurer aux lois une exécution entière » 1669 .

Le tribun Dieudonné déclarait : « l’action et la surveillance du gouvernement doivent se communiquer et se faire sentir sans difficulté depuis le centre jusqu’à l’extrémité de ses rayons » 1670 et précisait que le préfet avait pour rôle de « garantir de manière stable et vigoureuse les intérêts de la République » 1671 .

Nous sommes d’avis qu’il y a là, et malgré des apparences contraires 1672 , un élément de continuité dans cette mission préfectorale. C’est ce que nous nous proposons de démontrer (Section 1 ère ) avant que de constater que ce contrôle serait très insatisfaisant si l'on considérait qu'il doit être un contrôle de légalité (Section 2).

Notes
1663.

HAURIOU (M.), Précis de droit administratif et de droit public, op. cit., p. 130.

1664.

C.C., déc. n° 75-59 D.C. du 30 décembre 1975, Rec. p. 26 ; R.D.P., 1976, p. 431, note MAESTRE, et p. 557, note FAVOREU (L.). Sont inclus sous ce terme les régions (C.C., déc. 82-137 D.C. du 25 février 1982, Rec Leb., p. 38), les collectivités territoriales à statut particulier de métropole (C.C., déc. 91-290 D.C. du 9 mai 1991, Rec. Leb., p. 50), ou d’outre-mer, et les territoires d’outre-mer (C.C., déc. 96-373 du 9 avril 1996, J.O.R.F., 1996, p. 5728).

1665.

GAUDEMET (Y.), « Le représentant de l'Etat », in GAUDEMET (Y.) et GOHIN (O.), sous la dir. de, La République décentralisée, éd. Panthéon-Assas (Colloques), 2004, 165 p., pp. 87-90.

1666.

Ainsi M. Jean-Claude Hélin écrit-il à la fin des années 1990 que :« La période qui vient de s’écouler se caractérise en premier lieu par la continuité plus que par la rupture », (HELIN (J.-Cl.), « Le contrôle de légalité des actes locaux en France », A.J.D.A., 1999, pp. 767-775, p. 769).

1667.

NESTOR (R.), Le contrôle du préfet sur l’administration communale, thèse droit,Paris, Les Presses modernes, 1931, 176 p., p. 34.

1668.

R. Nestor soutenait que le préfet « est assez près de toutes les communes de son département pour surveiller leurs activités et assez loin de chacune par sa haute situation pour décider dans les affaires de contrôle en dehors de tout esprit de clocher », op. cit., p. 34.

1669.

Travaux préparatoires, Extraits des Archives parlementaires, Série II, T. 1, p. 229.

1670.

Travaux préparatoires, p. 192.

1671.

Travaux préparatoires, p. 227.

1672.

On trouve chez R. NESTOR une présentation synthétique des régimes de contrôle des collectivités locales : pour lui, de la loi du 21 mars 1831 jusqu’au décret du 25 mars 1852, « le contrôle du préfet sur l’administration communale ne s’exerce qu’exceptionnellement et seulement dans des affaires où la loi demande expressément son contrôle. L’autorité de contrôle était pour cette période d’une façon générale le pouvoir central. C’était le chef de l’Etat qui statuait par décret dans ce genre d’affaires ». « Le décret du 25 mars 1852, appelé à tort décret de décentralisation administrative, et le décret du 13 avril 1861, ont (...) transféré les droits de contrôle administratif du pouvoir central au préfet de sorte que, à dater du décret du 25 mars 1852, la compétence du préfet en matière de contrôle administratif sur la commune a été considérablement accru. Depuis lors, le préfet est l’autorité tutélaire de droit commun en ce qui concerne l’administration municipale. Si des textes légaux n’indiquent pas d’autres autorités de contrôle, le préfet est en droit de l’exercer », op. cit., p. 39.

« Les lois décentralisatrices qui ont suivi les décrets de 1852 et 1861, ont diminué (...) une partie des pouvoirs de contrôle du préfet, non pas pour les rétrocéder au pouvoir central, mais à d’autres autorités», p. 40.

« Depuis la loi du 5 avril 1884 jusqu’au décret du 5 novembre 1926, le préfet continue à rester l’autorité de contrôle de droit commun sur l’administration communale», p. 41.

« Le décret du 5 novembre 1926 marque une atténuation au point de vue du contrôle administratif en même temps qu’il apporte une extension assez importante aux attributions des conseils municipaux », p. 43.

(Réduction du nombre des matières pour lesquelles une approbation préalable est exigée, apparition de la notion d’approbation préalable tacite, réduction des délais) « Les pouvoirs de contrôle qui appartenaient jusqu’à cette date au chef de l’Etat ont été transmis au préfet et des pouvoirs de contrôle appartenant au préfet ont été passés au sous-préfet », p. 43.