Conclusion générale

Au terme de cette étude, nous sommes conscient de n’avoir rendu de la réalité préfectorale qu’un reflet partiel et sans doute assez déformé par la perspective principalement juridique qui a été la nôtre. Nous sommes conforté dans ce sentiment par la clairvoyante appréciation de Monsieur François Monnier, qui affirme que le préfet, homme vivant « dans un monde d’action, où il n’y a pas de certitude, mais que des choses probables » ne peut avoir pour seule référence le droit, que « le préfet n’agit pas le Lebon à la main » et que s’il se contentait d’appliquer la loi, il « paralyserait et désorganiserait tout son département » 2235 .

Le préfet est né d’une volonté de « supprimer les réminiscences éventuelles des corps intermédiaires » 2236 . Or, le fait que cette question semble avoir aujourd’hui disparu des préoccupations de nos gouvernants invite à se demander si la perennité de l’institution préfectorale depuis 1800 n’est pas un artifice.

Le préfet a connu en un peu plus de deux siècles d’existence des évolutions considérables. Les questions militaires qui l’obsédaient sous le Premier Empire ont presque disparu de ses préoccupations. Il s’est vu confier, puis retirer l’exécutif de la collectivité départementale. Son rôle en matière contentieuse a été transformé. Les missions qui lui ont été prioritairement assignées ont été modifiées au gré des circonstances du moment et des préoccupations de l’Exécutif. Les situations départementales qu’il peut être conduit à connaître peuvent varier considérablement. Le cadre juridique national, du fait du mouvement de déconcentration, de l’expérimentation normative, des transferts de compétences à l’essai, de l’éligibilité différentiée aux programmes européens, a en effet perdu de son unité.

Nous avons cependant l’espoir d’avoir montré que, par delà ces évolutions remarquables demeurent d’incontestables éléments de continuité qui, contrairement à ce qui est parfois un peu rapidement écrit, nous laissent à penser qu’il y a un véritable continuum dans la condition qui est faite au représentant de l’Etat dans le département et dans les compétences reconnues audit représentant.

Nous sommes en effet parvenu aujourd’hui à la certitude que la longévité préfectorale ne relève pas d’une simple survivance terminologique qui masquerait mal des ruptures, voire un changement de nature. Nous savons qu’il existe une véritable pérennité préfectorale. Le préfet du début du troisième millénaire n’est pas étranger à celui du début du XIXème siècle : tant son statut que ses missions manifestent la réalité de cette pérennité.

Le préfet est toujours l’homme de confiance du Gouvernement, celui qui est choisi et révoqué discrétionnairement, même si au début du vingt-et-unième siècle on a une plus grande considération pour les situations personnelles que naguère et que cela limite un peu la brutalité des renvois. Cette subordination a été servie par le maintien du préfet dans une position juridique caractérisée par sa très grande précarité. Elle a aussi sans doute été accrue par le développement des moyens de communication toujours plus rapides entre Paris et les chefs-lieu de départements. La généralisation du télégraphe optique de Chiappe, puis du réseau télégraphique éléctrique, du réseau téléphonique et enfin des réseaux intranet et internet ont incontestablement accru la dépendance préfectorale vis-à-vis du ministre.

Le préfet est toujours l’image de l’Etat dans son département. Il lui revient d’incarner cet Etat. Il demeure l’autorité de droit commun de l’Etat en Province, même si son autorité est inévitablement contestée et connaît des lacunes. Le préfet est toujours l’homme de l’ordre public, mais d’un ordre public qui a connu une évolution considérable, pour épouser celle des mentalités et celle du rôle qu’assigne à ses interventions la puissance publique. Le préfet est toujours chargé de surveiller les collectivités locales, même si cette surveillance emprunte des modalités fort différentes de celles qui étaient en vigueur sous le Consultat ou l’Empire.

Nous avons-nous même été frappé, en nous livrant à cette étude du préfet, par le contraste saisissant qui existe entre la fragilité personnelle du préfet et la force de l’institution préfectorale, qui a, nous le disions en propos liminaire, survécu aux deux siècles les plus instables de notre histoire nationale. Les préfets, fonctionnaires révocables ad nutum et soumis au caprice du Prince apparaissent de ce fait, paradoxalement, comme des garants de la continuité, de la permanence de l’Etat.

Monsieur François Burdeau estimait à la fin du siècle dernier que : « (l)a création des préfets fut une indéniable réussite, puisque, pendant près de deux siècles, ils ont survécu à tous les débordements et à toutes les crises » 2237 . Nombreux sont les auteurs qui estiment que cette institution a su se rendre indispensable à l’Etat.

Nous pensons pour notre part que, plus que cela, elle est née parce que les intendants avaient su rendre indispensable au pouvoir ses représentants répartis sur l’ensemble du territoire national.

Nous évoquions au seuil de cette thèse, l’éclat de la commémoration du bicentenaire du corps préfectoral le 17 février 2000. Sachant aujourd’hui ce que nos préfets doivent à leurs prédecessurs, il nous semble qu’il conviendrait de fêter avec le même éclat le 28 septembre 2034, dans exactemement vingt-neuf ans, le quatrième centenaire de la création des Intendants de justice, police et finances par Arrêté du roi.

Lyon, Rue du Plat, le 28 septembre 2005

Notes
2235.

MONNIER (Fr.), «Les préfets, l’autorité judiciaire et la loi : perspectives historiques », Rev. adm., n° 316, juillet-août 2000, pp. 348-354, p. 353.

2236.

CAPORAL (St.), Histoire des institutions publiques de 1789 à nos jours, op. cit., p. 123.

2237.

BURDEAU (Fr.), Histoire de l’Administration française (du 18 ème au 20 ème siècle), op. cit., p. 210.