INTRODUCTION

Si la littérature juridique s’est beaucoup intéressée aux juges suprêmes du Conseil d'Etat 1 , peu d’écrits font part du statut, de l’activité et de la mission du juge administratif de première instance.

Pourtant, quantitativement et qualitativement, le rôle des juges des tribunaux administratifs est fondamental dans l’élaboration de nouvelles règles de droit. Plus de quatre-vingt dix pour-cent des affaires contentieuses relèvent de leur compétence.

Pour l’administré, le juge de première instance reste l’interlocuteur le plus proche en cas de litiges rencontrés avec l’administration. Malgré une présence discrète, la justice administrative du premier degré est reconnue pour ses compétences techniques et parfois pour l’impact social et politique que ses décisions peuvent revêtir. Elle devient la tribune de l’exutoire des passions et des rancoeurs politiques locales. Elle reste aussi le lieu où se tranchent les « litiges du quotidien » des administrés.

Si des réformes législatives récentes ont restreint le domaine de compétence du juge administratif, d’autres se sont orientées vers un approfondissement de son contrôle sur l’administration. D’autres enfin, ont enrichi les normes de référence d’exercice du contrôle de la légalité 2 . Cette évolution participe à la construction permanente de l’Etat de droit en contribuant à l’amélioration des rapports entre l’administration et les administrés, octroyant à ceux-ci les moyens de se protéger de l’action administrative.

Garante, au même titre que les juridictions judiciaires de l’Etat de droit, la justice administrative reste néanmoins complexe et peu accessible aux administrés.

Ce constat, résultant de considérations techniques, est renforcé par la lenteur actuelle des affaires traitées par les juridictions administratives de première instance 3 .

De nouveaux arguments politiques et budgétaires viennent néanmoins contredire ces propos. De nouvelles lois, ainsi que des efforts budgétaires sans précédents dans l’histoire de la juridiction administrative, ont été pris récemment 4 . Ces réformes successives ont, entre autres, entraîné l'émergence, au sein des juridictions administratives du premier degré, d’un personnage clef : le président de tribunal administratif.

A l’instar des présidents de tribunaux civils 5 ou pénaux, le président de la juridiction administrative de première instance dispose désormais de pouvoirs élargis, tant sur le plan des attributions administratives et budgétaires que sur le plan juridictionnel.

La récente réforme des procédures d’urgence, mise en place par la loi du 30 juin 2000 6 , en atteste. Le président du tribunal administratif, en tant que juge des référés, a vu ses prérogatives et sa mission se modifier afin de contribuer au succès de l’accélération des procédures. Ainsi le professeur P. CASSIA relève-t-il des délais extrêmement brefs de décisions dans le cadre de ces nouvelles procédures d’urgence 7 . Ce constat dénote la faculté d’adaptation des juges des référés et plus particulièrement celle des chefs de juridiction dans le cadre de la réorganisation de leur juridiction à l’issue de la réforme. Ce renforcement des pouvoirs juridictionnels implique un accroissement certain de l’influence jurisprudentielle du président. A travers son habit de juge des référés, le chef de la juridiction administrative de premier degré contribue à l’élaboration d’une nouvelle jurisprudence de l’urgence 8 . Ainsi, à l’image du commissaire du gouvernement, « acteur » de la jurisprudence administrative 9 , le chef de juridiction apporte-t-il sa pierre à la construction toujours en évolution du droit administratif français 10 .

Il reste que le statut de président de tribunal administratif n’a guère évolué depuis la création des tribunaux de première instance de l’ordre administratif. Sans être un véritable « magistrat administratif » - l’expression se retrouve pourtant sous la plume de certains auteurs 11 - le chef de la juridiction administrative apparaît plutôt comme un administrateur juge: il est, parmi les membres de la juridiction administrative, celui qui exerce des attributions indispensables au fonctionnement de l’institution. A l’heure où ses pouvoirs se renforcent, ne convient-il pas d’améliorer la condition de ce chef de juridiction en la rapprochant de celle des chefs de juridiction des tribunaux de l’ordre judiciaire ?

La présente étude ambitionne de présenter le droit de l’institution présidentielle à travers l’analyse juridique de son statut, de son rôle, de sa mission. Elle repose dans le postulat d’après lequel un travail sur le président du tribunal administratif offre une meilleure compréhension des problèmes quotidiens auxquels sont confrontés l’ensemble des juges de l’ordre administratif.

L’objet premier de ce travail consiste à tenter d’évaluer objectivement, à partir des recherches effectuées - recherches jurisprudentielles, doctrinales, mais aussi, dans la mesure du possible, entretiens avec les intéressés eux-mêmes 12 - les garanties statutaires et procédurales qu'apporte, pour les administrés, la présence au sein du contentieux administratif, d’un président qui se présente comme un administrateur-juge (Titre I).

La grande réforme du référé en contentieux administratif a par ailleurs permis de déceler un nouveau rôle octroyé au chef de juridiction : le président du tribunal administratif est devenu un acteur essentiel à la mise en œuvre des procédures d’urgence. Les « nouveaux » pouvoirs conférés au président de tribunal administratif illustrent le besoin de sécurité juridique des administrés et, à travers lui, concourent à redonner à la justice administrative les qualités d’efficacité et de rapidité, instruments nécessaires au bon déroulement de la justice 13 . C’est ce qu’il conviendra d’examiner à travers l’étude du président du tribunal administratif, juge des référés (Titre II).

Notes
1.

J. MASSOT et Th. GIRARDOT, Le Conseil d’Etat, Doc. Frce, 1999; B. STIRN, Le Conseil d’Etat. Son rôle, sa jurisprudence, Hachette, 1991; Le Conseil d’Etat, son histoire à travers les documents d’époque, Ed. CNRS, 1974; Célébration du IIème centenaire du Conseil d’Etat, Rev. Adm., 1998, n° spécial; les études des professeurs R. CHAPUS, L’administration et son juge. Ce qui change, EDCE 1992, n° 43, R. DRAGO, Un nouveau juge administratif, Mélanges Jean FOYER, PUF, 1997, J.-P. NEGRIN, Le Conseil d’Etat et la vie politique en France depuis 1958, PUF, 1968, M. WALINE, L’action du Conseil d’Etat dans la vie française, Livre Jubilaire du Conseil d’Etat, Sirey, 1952 et P. WEIL, Le Conseil d’Etat statuant au contentieux : politique jurisprudentielle ou jurisprudence politique ?, annales de la Faculté de droit d’Aix-Marseille, 1959 notamment (voir bibliographie supra)…ainsi que les nombreux travaux sur la justice administrative et particulièrement ceux des professeurs D. LOCHAK, Le rôle politique du juge administratif, LGDJ, 1972 et Y. LAIDIE, Le statut de la justice administrative, thèse Dijon, 1993 ainsi que ceux du président D. CHABANOL (voir supra).

2.

Par exemple et sans prétendre à l’éxhaustivité de la loi du 22 juillet 1889 sur la procédure des conseils de préfecture, le décret-loi du 30 septembre 1953 portant création des tribunaux administratifs, la loi du 31 décembre 1987 instituant les cours administratives d’appel, en passant par la loi du 8 février 1995 réformant les procédures et instituant notamment le juge des référés, la loi du 30 juin 2000 portant réforme des procédures d’urgence à l’ordonnance du 4 mai 2000 portant codification de l’organisation et du fonctionnement des juridictions administratives à compétence générale: Le Code de justice administrative.

3.

M. GROS, Le juge administratif, la procédure et le temps, RDP 1999, p. 1707.

4.

Il convient d’évoquer notamment les contrats d’objectifs mis en place par le Conseil d’Etat et les cours administratives d’appel signés le 9 décembre 2002.

5.

P. GERBAY, Réflexions sur la juridiction du premier président de la Cour d’appel, D. 1980, p. 65 et s.

6.

Loi n° 2000-597 du 30 juin 2000 relative aux procédures d’urgence devant les juridictions administratives, J.O. 1er juillet 2000, p. 9948 et s.

7.

P. CASSIA, Les référés administratifs d’urgence, coll. Systèmes, LGDJ, 2003, p. 173.

8.

C. CHEVALLIER-GOVERS, Le président du tribunal administratif au secours de la célérité de la justice administrative, GAZ. PAL, juin 2000, p. 3 et s.

9.

N. RAINAUD, Le commissaire du gouvernement près le Conseil d’Etat, LGDJ, 1996, p. 23.

10.

M. MAURY, Observations sur la jurisprudence en tant que source de droit, Etudes offertes en l’honneur du Doyen G. RIPERT, p. 43.

11.

M. COMBARNOUS, Le nouveau statut des membres des tribunaux administratifs : une évolution inachevée, AJDA 1975, p. 161, D. CHABANOL, Une réforme inachevée, AJDA 1988, p. 102.

12.

Un questionnaire adressé à l ‘ensemble des chefs de juridiction est reproduit en annexe de l’ouvrage, réalisé avec l’aimable complicité des présidents J. LAVOIGNAT et P. VIALATTE et du recteur O. DUGRIP.

13.

D. LABETOULLE, Cinquante ans: et ensuite ?, AJDA, 29 mars 2004, p. 645 et s.