SECTION II - Les pouvoirs sur le greffe

Le service du greffe du tribunal administratif matérialise la frontière entre le monde des requérants et celui de l’exercice de l’autorité juridictionnelle.

De l’introduction de la requête à sa notification aux parties, le greffe de la juridiction administrative prépare et collabore étroitement à l’élaboration de la decision juridictionnelle.

Dès la réception d’une demande contentieuse, les services du greffe cotent et préparent le dossier au magistrat chargé de l’instruction de celui-ci. Présent tout au long de la procédure, il devient l’intermédiaire entre le juge et les parties. De la même manière il assiste à l’audience et signe conjointement avec le président et le rapporteur la minute de la décision rendue 44 .

Service fondamental au fonctionnement normal de toute juridiction, service d’enregistrement des requêtes et de signification des ordonnances et des jugements, le greffe du tribunal administratif présente, à la différence de son homologue judiciaire, une particularité majeure.

Le secrétariat-greffe bénéficie à l’intérieur des tribunaux administratifs d’une position particulière, car le mouvement d’autonomisation qui s’est progressivement affirmé pour les conseillers à partir du début du siècle ne s’est pas étendu à ces agents.

L’explication peut être trouvée dans les origines du fonctionnement des conseils de préfecture jusqu’au second empire. En effet, les instances étaient introduites par une requête adressée au représentant de l’Etat et l’instruction était alors conduite, sous son contrôle, par ses bureaux. Mais une séparation fonctionnelle fut opérée par le décret impérial du 30 décembre 1862 qui précise dans son article 5 : « Il y aura auprès de chaque conseil un secrétaire greffier nommé par le Préfet et choisi parmi les employés de Préfecture ». Les bureaux préfectoraux ont malgré tout maintenu leur mainmise sur l’instruction et il fallut attendre le décret du 12 juillet 1865, complété par une circulaire du ministre de l’intérieur du 21 juillet suivant pour que s’achève cet usage et soit reconnu, par la suite, le rôle spécifique des greffes.

Ce phénomène fut renforcé par la réforme de 1926 qui, en créant des tribunaux interdépartementaux accentua la rupture. Il existe depuis un greffe central dans le département chef lieu du ressort du tribunal.

L’autonomie des fonctions n’entraînait cependant pas inéluctablement celle du personnel chargé de l’exercer. Les greffiers sont restés des agents juridiquement intégrés dans le cadre national des préfectures, bien que détachés auprès des tribunaux administratifs. Un projet de statut particulier avait pourtant été adopté en 1947, mais n’eut pas le temps de s’appliquer puisqu’abrogé dès janvier 1948.

Les membres du greffe sont donc placés dans une situation ambigüe, inscrite dans le décret du 23 février 1928, et codifiée aux articles R. 226-1 à R. 226-13 du Code de justice administrative. Ils sont soumis à une double autorité, celle du Préfet en tant que personnel de la préfecture et celle du président en tant que personnel détaché au sein de la juridiction.

Ainsi sont-ils nommés par le Préfet, mais exclusivement sur proposition du président. Ce dernier ne dispose pourtant pas d’une totale liberté de choix, puisqu’en fonction de critères de compétence, il est prévu que seuls peuvent être désignés en tant que greffier en chef les agents disposant au moins du grade d’attaché de préfecture. Ce droit de regard du président est important permettant d’éviter que les services de l’Etat ne se débarrassent de fonctionnaires gênants ou incapables en les faisant entrer dans les tribunaux.

De même qu’à la fin de l’année civile le président doit envoyer au préfet intéressé les notes qu’il leur a attribuées, il fait parallèlement des propositions pour leur inscription au tableau d’avancement, celles-ci ne pouvant être faites à leur encontre qu’avec leur consentement.

Il faut remarquer que ces personnels se sont totalement intégrés aux tribunaux administratifs, et s’en considèrent comme des membres à part entière. Celà résulte certainement de l’effectif limité des juridictions, propice à l’émergence d’un tel sentiment, mais aussi au fait que cette affectation résulte largement d’un choix. Les perspectives de carrière y sont beaucoup moins attrayantes car elles n’intéressent plus que très modérément leur corps d’origine.

Les choses ont peu à peu changé avec l’application de la loi de 1986. Celle-ci précise en effet, dans son article 14, que le secrétaire général des tribunaux administratifs a pour mission, notamment, de gérer les greffes et d’organiser la formation de leur personnel. Le bouleversement est plus important qu’il n’y paraît, car ce texte implique qu’ils sont soustraits à l’autorité et au contrôle du Préfet, ce qui pourrait être la première étape dans l’obtention d’un statut propre tant réclamé par les membres des greffes des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Cela ne modifie en rien les pouvoirs des chefs de juridictions, si ce n’est que leurs notes et appréciations ne devraient plus être transmises au Préfet mais au secrétaire général des tribunaux administratifs.

Le débat parlementaire a cependant révélé que le ministre de l’Intérieur tenait à conserver la gestion de ces personnels, à tel point que c’est sur ce transfert de compétences qu’achoppe la mise en œuvre effective de la réforme. Cela semble d’autant plus important au ministère qu’il a perdu définitivement tout droit de regard sur le fonctionnement interne de ces juridictions, aujourd’hui déterminées par les seuls présidents, constat confirmé par le rapport rédigé par A. Le PORS à la demande du Vice-Président du Conseil d’Etat en 1984.

Notes
44.

Article R. 741-7 du Code de justice administrative.