§III. La consultation

La loi du 28 pluviôse an VIII ne confiait pas expressément au Conseil de Préfecture des pouvoirs consultatifs. Mais du fait de leur situation, l’usage voulut que le Préfet leur soumette toute difficulté. Il y était même parfois contraint par des textes particuliers. Mais bien que cela ne soit plus le cas actuellement, les tribunaux administratifs et plus spécialement leurs présidents continuent à être les conseillers privilégiés de l’administration.

De très nombreux domaines dans lesquels le représentant de l’Etat ne pouvait prendre une décision préalablement à l’avis du conseil de préfecture existaient autrefois. Cette disposition jouait essentiellement en matière d’administration communale ou domaniale, pour les adjudications, les manufactures dangereuses ou les logements insalubres 310 . Ces cas ont peu à peu disparu, et il ne subsista que la seule exception concernant l’autorisation de défrichement des bois de particuliers. Il y a fut mis fin lors de la réforme du Code forestier, de telle sorte qu’il n’existe plus aujourd’hui de consultation obligatoire.

Ce n’est pas pour autant que les tribunaux administratifs ont définitivement perdu leur rôle d’assistants juridiques. Ce dernier rôle a au contraire été expressément prévu par l’article 10 du décret du 6 septembre 1926 : « les conseils de préfectures interdépartementaux peuvent être appelés à donner leur avis sur les questions qui leurs sont soumises par les Préfets des départements de la circonscription ».

Repris avec une formulation similaire lors de la codification de 1973, cette possibilité fut très largement utilisée par les préfets qui avaient pris l’habitude de leur déférer toutes les questions de droit qu’ils rencontraient, ce qui entraînait une trop lourde charge de travail, parfois sans véritable utilité. Les modalités d’exercice furent précisées par la circulaire du 20 juin 1950, qui en restreignaient considérablement la portée. Celle-ci réfréna donc le flux rétabli dans les années soixante.

Les juridictions administratives n’étant pas des organismes de conseil juridique, les consultations doivent répondre à un certain nombre de conditions. Elles ne peuvent évidemment porter sur des litiges faisant l’objet d’une instance au fond ni être posées dans l’optique d’une affaire contentieuse. En outre, la saisine doit toujours émaner du préfet ou de ses délégataires de signature. A cet égard, le chef de la mission permanente avait envoyé aux présidents, le 10 juin 1980, une circulaire dans laquelle il leur recommandait de rejeter toutes les sollicitations n’ayant pas transité par le Préfet. Leurs attitudes furent cependant très différenciées, allant du rejet pur et simple, à l’octroi de l’avis, en passant par l’invitation à régularisation.

Bien que l’article R. 212-1 du Code de justice administrative attribue cette compétence au tribunal, il est rare qu’il l’exerce lui-même, la pratique diverge cependant selon les tribunaux. Le président y répond lui-même dans environ trente pour cent des cas, alors qu’il prend d’abord l’avis d’un conseiller dans trente sept pour cent d’entre eux 311 .

D’autres présidents font examiner les cas qui leur sont soumis par une formation solennelle, le plus souvent lorsque se posent des problèmes particuliers.

Il existe parallèlement des demandes privées, verbales ou téléphoniques adressées de préférence au président. Elles se manifestent surtout lors des rapports personnels qui peuvent se nouer avec l’administration préfectorale et les élus locaux. Mais, là encore, la politique menée par chacun d’eux varie, certains les ignorant systématiquement, ce qui peut s’expliquer par le fait que l’administration peut avoir l’arrière pensée de donner une plus grande portée au refus qu’elle entend opposer aux particuliers, voire d’impliquer directement ce magistrat dans la décision qu’elle va prendre.

Ces consultations, officielles ou officieuses, ont toutes pour but de prévenir une illégalité au lieu de la réprimer une fois commise. Elles exigent la même opération intellectuelle que le jugement, mais exercées a priori. Elles interviennent souvent après l’annulation d’une première décision et pour en éviter une seconde, ce qui était par exemple l’hypothèse de l’arrêt Gadiaga 312 . Par leur intermédiaire, le président procède donc à l’instruction anticipée d’une décision qui n’est encore qu’éventuelle.

La loi de 1986 se situe dans le prolongement de ces dispositions car une fois le conflit né, elle veut faire des membres des tribunaux administratifs des médiateurs entre les parties, de façon à éviter, si possible, la phase contentieuse.

Notes
310.

Y. LAIDIE, La fonction consultative des tribunaux administratifs, in La loi du 28 pluviôse an VIII, PUF 2000, préc.

311.

J.-P. MACHELON, Le rôle consultatif des tribunaux administratifs, colloque de Grenoble, 1984.

312.

C.E., 25 janvier 1980, rec., p. 44.