On sait, en effet, alors que l’exercice de la mission de conciliation constitue une prérogative ancienne et courante des juridictions judiciaires, que celle-ci a été reconnue récemment aux tribunaux administratifs par le législateur, à la suite d’un amendement sénatorial présenté à l’occasion de l’élaboration de la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 relative à la succession des règles garantissant l’indépendance des membres les tribunaux administratifs.
Le Conseil d’Etat a porté une attention toute particulière à la définition et à la mise en œuvre d’une politique active de prévention de contentieux, permettant d’éviter que des litiges, toujours trop nombreux, n’encombrent inutilement les juridictions administratives. Une réduction s’imposait, basée sur une mission de conciliation, même si celle-ci engendra un climat de regrettable incompréhension entre personnes publiques et administrés 313 .
Les dispositions de l’article 13 de la loi du 31 décembre 1987 relative à la réforme du contentieux administratif, leur attribuent des missions de conciliation, et renforcent, notamment, celles dévolues au président. Tout litige contre l’Etat, les collectivités territoriales, les entreprises publiques, ainsi que les actions en responsabilité sont soumis, avant toute instance arbitrale contentieuse, à une procédure préalable soit de recours devant le ministre, soit de conciliation.
Il est devenu banal de relever que ces dernières dispositions, comme celles de l’article L. 211-4 du Code de justice administrative attribuant une mission de conciliation aux tribunaux administratifs, demeurent encore aujourd’hui privées d’effets véritables. Le texte fixant les modalités d’application, faisant défaut de précisions, une incertitude apparaît quant à son effectivité. Cette incertitude fut levée pour le Conseil d’Etat.
La Haute Assemblée admit que ces dispositions étaient applicables même en l’absence de décret d’application 314 . Par un second arrêt du 22 mars 1995, le Conseil d’Etat ajouta, sans surprise, que le tribunal pouvait exercer sa mission de conciliation en dehors des ses domaines de compétence juridictionnelle 315 .
Il reste que l’incertitude demeure entière sur la procédure permettant la mise en œuvre de la mission de conciliation confiée aux tribunaux administratifs par le législateur, et il n’est pas surprenant que dans un tel silence réducteur, les tribunaux, comme le président, hésitent à utiliser leur pouvoir de conciliation.
Pour sa part Bernard STIRN, conclut dans un article intitulé « le juge administratif et les contrats entre les collectivités publiques » 316 , qu’il appartient à chaque tribunal de déterminer pour quellles questions et selon quelles procédures les dispositions de l’article L. 211-4 du Code de justice administrative relatives à la conciliation peuvent être mises en application.
Ainsi, à la lecture des dispositions de l’article L. 211-4 du Code, le juge administratif devra tout d’abord être convaincu que la conciliation se justifie comme mode de résolution du litige, en évitant le recours aux débats contentieux permettant ainsi, tant d’abréger le cours des débats que de privilégier les rapports humains, et, de ce fait, d’être plus souple, rapide et d’éviter un surcoût financier.
Ces vertus semblent justifier le recours à la conciliation. Elles justifient en outre l’absence de procédures contentieuses lourdes et coûteuses, se basant souvent sur des expertises et des débats contradictoires interminables et « démoralisants » pour le justiciable.
La conciliation devra donc être encouragée, notamment pour qu’elle apparaisse utile à l’intérêt public, à la justice administrative elle-même, mais également aux personnes publiques.
Cette règle a, par ailleurs, son corollaire à l’égard des personnes privées 317 .
Comme évoqué précédemment, faute de décrets d’application de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1986, dans le cadre de l’ article L. 211-4 du Code de justice administrative, les conditions d’exercice de la mission de conciliation confiée aux tribunaux administratifs restent privées d’une définition réglementaire et ne peuvent s’appliquer que sur la base d’une appréciation, peut-être partiale, de la juridiction elle-même.
Si l’on admet que les dispositions relatives à la conciliation s’appliquent, celle-ci peut être pratiquée aussi bien avant ou pendant le procès 318 , les situations variant suivant que la demande de conciliation a été présentée après l’ouverture du contentieux, ou lors de l’enregistrement de la requête.
Dans la première hypothèse, la définition des modalités de la conciliation pourra être faite librement au sein de chaque tribunal, et ce faisant, le juge conciliateur, ne détenant pas un pouvoir de décision, ne pourra imposer ses conclusions aux parties, mais disposera de la faculté de leur faire des propositions.
Le champ d’action de la conciliation, s’il comporte des terrains privilégiés, tels celui des dommages de travaux publics, pourrait englober d’autres domaines, et notamment celui de l’excès de pouvoir dont on sait que le contentieux exclut la réformation de l’acte 319 .
Quant aux modalités d’exercice, les résultats permettront, grâce au rôle joué par le président du tribunal administratif, de réguler l’action des juges conciliateurs, lui laissant la liberté d’agir seul au sein d’une commission composée et présidée par lui. Les propositions de la conciliation conduite dans ces conditions seront formalisées à sa guise et déboucheront, en cas de succès, sur une convention de transaction entre la personne publique et une personne privée, et, en cas d’échec, sur un procès-verbal de non-conciliation qui ouvrira alors d’autres perspectives qu’une issue contentieuse.
Dans l’hypothèse où le tribunal est saisi d’une requête contentieuse et que celle-ci soit ou non précédée d’une tentative de conciliation, les parties ont la possibilité de soumettre au juge du fond une convention de transaction souscrite ultérieurement 320 , d’entériner selon la formule demandée, dès lors qu’il apparaîtra que cet accord ne méconnaît aucune règle d’ordre public.
L’activité de conciliation exercée par le tribunal administratif est limitée à la seule homologation d’un accord dans les conditions qui ont été définies par les parties sans que leur convergence de vues soient limitées par l’intervention du juge conciliateur.
Il ne faut cependant, pas dans un tel cas, que le magistrat conciliateur ait,sous quelque forme que ce soit, eu connaissance des faits sous peine de constituer une cause légitime de récusation selon les termes de l’article341 du Nouveau code de procédurecivile applicable en matière de conciliationjudiciaire. Dans cette hypothèse le magistrat conciliateur devra se déporter afin d’éviter toute tentation de voir son impartialité suspectée 321 .
Au vu des expériences de conciliation menées au sein de nombreux tribunaux administratifs, souvent de nature très différentes, certaines conclusions s’imposent.
Dans les cas évoqués, la mission de conciliation avait été demandée par la collectivité locale concernée et le juge administratif avait répondu favorablement.
Le tribunal n’a cependant pas spontanément proposé la conciliation.
L’absence de textes d’application de l’article L. 3 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, laisse une très large autonomie au juge administratif et plus particulièrement au chef de la juridiction. Cette liberté présente à la fois avantage et inconvénient.
Un avantage, car elle permet au tribunal d’appliquer des procédures différentes, qui s’adapteront aux différentes situations, mais aussi un inconvénient, dans la mesure où la nécessité d’innover, par rapport aux bases habituelles de règlement des conflits, entraîne des difficultés d’adaptation pour les magistrats.
Les magistrats reprochent à la conciliation de devenir égale ou même supérieure à la procédure contentieuse.
A travers ces exemples mis en place, il a pu être constaté que la « pratique » de la conciliation a permis une économie appréciable, et montré des résultats probants.
A l’aune des expériences menées, il semble évident que l’on puisse, dans certaines hypothèses seulement, se référer à l’adage selon lequel « un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ».
En réalité, on constate des économies substantielles pour tout le monde, un gain de temps, d’argent pour les parties mais aussi pour la juridiction. Cette procédure peut toutefois mener à des dérapages qu’il sera certainement nécessaire de prévenir.
Comme pour les juridictions judiciaires il pourrait être envisagé de créer des « conciliateurs experts » qui, sous le contrôle du juge, auraient mission de préparer un avant-projet, en liaison avec les parties. Il pourrait s’agir, par exemple, de représentants locaux du Médiateur de la République. Les parties pourraient elles-mêmes préparer un projet d’accord ou de convention qui serait soumis à l’arbitrage du juge, un peu selon l’exemple du divorce par consentement mutuel ou bien suivant la pratique du conseiller-délégué 322 .
A l’initiative du Sénat, la loi de 1986 prévoit dans son article 22 que les tribunaux administratifs sont chargés d’une fonction de conciliation. C’est en fait la reprise d’une partie des propositions faites par le groupe de travail institué en 1979 au sein de la Commission et du Rapport et des Etudes du Conseil d’Etat, en vue de réaliser une enquête sur la prévention du contentieux administratif 323 qui s’applique.
Le but de cette mesure est d’inciter administration et administrés à régler leurs différends autrement que par un classique recours aux juges, dans le double souci d’une résolution plus rapide des litiges et d’un allégement des rôles des juridictions de première instance.
Il ne s’agit toutefois pas d’une totale innovation, le président étant investi depuis longtemps déjà d’une telle mission, à propos notamment des conflits portant sur les pensions militaires d’invalidité 324 . En cas de désaccord sur le montant des sommes dues, il doit, de lui-même ou à la demande du particulier, convoquer les parties dans son cabinet de façon à essayer de dégager une solution amiable. Cela semble d’ailleurs être un des axes d’exploitation prioritaires du droit public moderne, puisque la loi de 1986 fait suite à la création, dans certains départements, de comités consultatifs chargés d’émettre un avis sur les dommages susceptibles d’engager la responsabilité extra-contractuelle de l’Etat et des établissements publics ne présentant pas un caractère industriel et commercial 325 ou encore les comités consultatifs de règlement amiable dans le cadre de l’exécution des marchés publics 326 .
Les chefs de juridiction s’étaient déclarés favorables à ce nouveau titre de compétence mais, tel qu’il résulte de la formulation de la loi 1986, celui-ci est loin de les satisfaire.
Ne sont en effet déterminées, ni ses modalités d’exercice, ni l’autorité qui en a la responsabilité. On peut par exemple imaginer que, comme pour les pouvoirs consultatifs, ils vont se charger eux-mêmes, sous réserve de disposer du temps nécessaire, des problèmes les plus graves, répartissant le reste sur les différents conseillers.
L’effectif actuel est déjà trop réduit pour pouvoir faire face au nombre de requêtes enregistrées, sans compter le retard accumulé des années précédentes.
Nouvelle source d’inquiétude pour les présidents, cette mission de conciliation suppose que l’on affecte au moins un membre de la formation du jugement. Elle s’exercera par la suite au détriment de la fonction juridictionnelle, sauf si l’on crée de nouveaux emplois. Mais il n’est pas impossible, qu’à terme, elle ait pour conséquence de diminuer le nombre des recours, et d’accélérer leur traitement, d’une part, parce que certains conflits seront définitivement réglés dès le stade de la conciliation, d’autre part, parce que ceux pour lesquels elle aura échoué auront déjà été examinés, et seront donc jugés plus rapidement.
On peut donc légitimement s’interroger sur le bien fondé de cette disposition.
Son intérêt pratique est indéniable, il est également plus rassurant, et moins impressionnant pour les requérants de s’adresser directement aux magistrats, que de se heurter au caractère écrit de la procédure contentieuse.
Cependant la médiation que le président du tribunal administratif va réaliser, reposera peut être sur des motifs d’équité, mais surtout sur des arguments juridiques. C’est la raison pour laquelle cette mission lui a été confiée. Cela suppose donc de sa part une étude assez approfondie de l’affaire pour pouvoir proposer une solution acceptable. Celle-ci ne sera admise par les parties que si elles ont l’impression qu’elle est fondée en droit, et qu’elles n’obtiendraient pas davantage dans le cadre d’une procédure contentieuse.
Si l’on estime qu’une conciliation est réussie, lorsqu’elle ne donne pas lieu à l’instance dans une étape ultérieure, ce qui correspond à l’objectif de désengagement des tribunaux administratifs, sa seule chance consiste à faire un procès avant l’heure, et plus sa formulation ressemblera à un jugement, plus grandes seront ses probabilités d’être acceptée par les parties au litige.
On se retrouve alors implicitement dans une hypothèse où conciliation vaut jugement.
Cette dernière remarque suffit à mettre en évidence le chemin parcouru par le président depuis plus d’un demi-siècle.
Régler autrement les conflits : conciliation, transaction et arbitrage en matière administrative, (étude du Conseil d’Etat), Documentation Française, 1993.
C.E., Ass., 23 juin 1989, Vériter, concl. LEVIS, rec., p. 146, AJDA 1989, p. 424, chron. E. HONORAT et E. BAPTISTE.
T.A., Marseille, 7 décembre 1989, Mme Hirtzel, rec., T., p. 865; C.E., 22 mars 1995, Dadilon, rec. p.138, JCP 1995, IV, p. 201.
B. STIRN, Le juge administratif et les contrats entre les collectivités publiques, AJDA 1990, p. 139.
C.E., sect., 17 mars 1978, Société anonyme « Entreprise Renaudin », rec., 140, concl. J.-M. GALABERT, D 1979, p.5, 2ème espèce.
T.A., Nouméa, 10 décembre 1986, Sté Enercal, rec., p. 668.
C.E., 7 novembre 1984, Société Coteba, rec., p.351.
C.E., 11 décembre 1987, Boulachid et Khelya, rec., p. 416 ainsi que 28 janvier 1994, Société Raymond Camus et compagnie, rec., T., p. 1123.
C.E., sect., 25 mars 1973, Mlle Arbousset, rec., p. 189 ainsi que 15 octobre 1990, Association pour un développement harmonieux de Saint-Gilles et de sa région, rec., T., p. 930.
B. PAULIN, Le conseiller-délégué statuant seul par délégation du tribunal administratif, AJ 1962, p. 143.
E.D.C.E., 1980-1981, p. 299.
Décret du 20 février 1959 relatif aux juridictions des pensions modifié le 20 septembre 1979.
Décret du 4 décembre 1980.
Article 131 du Code des marchés publics.