A) LA COMPÉTENCE MATÉRIELLE

Sous l’empire de l’ancien constat d’urgence devant les Conseils de Préfecture, il était acquis que la mesure d’expertise ne pouvait être ordonnée que si elle se rattachait à un litige relevant du conseil.

Ce principe traditionnel et général, puisqu’il est même appliqué par les juridictions civiles, a été rappelé et explicité dès 1956 par la Haute Assemblée.

Selon le Conseil d’Etat, en effet, la loi du 28 novembre 1955 créant le référé administratif n’a pas institué une juridiction nouvelle mais seulement une procédure particulière et, de ce fait, le président ne dispose pas d’une compétence plus étendue que celle de son tribunal.

Cette règle stricte a pourtant fait l’objet d’une évolution allant dans le sens d’une extension des possibilités d’intervention présidentielle. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a admis sa compétence à propos de demandes n’étant pas manifestement susceptibles de se rattacher à la compétence des tribunaux administratifs.

L’élévation tenait à l’utilisation de l’adverbe « manifestement » qui dispensait le président d’un examen trop rigoureux. Il suffisait que l’affaire lui paraisse relever de la juridiction de son tribunal pour qu’il accepte de se prononcer.

Parallèlement, et c’est là le point le plus important, le Conseil d’Etat a utilisé dans des arrêts l’argument invoqué de mesures manifestement insusceptibles de se rattacher à la compétence de la juridiction administrative ou à la compétence du juge administratif. Cela peut être interprété comme autorisant le président à connaître des litiges relevant de son tribunal mais aussi du Conseil d’Etat et peut être même des juridictions spécialisées. On pouvait donc penser que cette jurisprudence marquait l’abandon des principes dégagés par l’arrêt Ville de Royan et qui interdisait au président d’intervenir alors que le litige principal relevait de la juridiction de la commission des dommages de guerre 613 .

En 1981, dans ses conclusions sous Ministère de la Défense contre Lassus, Olivier DUTHEILLET de LAMOTTE a proposé au Conseil d’Etat de consommer la rupture et de faire du président le juge de droit commun en matière de référé.

Malgré la dérogation aux règles de compétence, cela entrait, selon lui, dans la ligne d’une évolution ultérieuse et présentait en outre deux avantages pratiques. A l’égard du président, d’une part, qui devant statuer dans un délais très court, n’aurait donc plus qu’à contrôler la compétence administrative en général, à l’égard des justiciables, d’autre part, car la procédure de référé n’existe que très rarement devant les juridictions spécialisées.

La Haute Assemblée n’a pas suivi son commissaire du gouvernement et la décision du 16 octobre 1981 met un point d’arrêt aux hésitations perdurant depuis les années soixante-dix.

Elle énonce en effet dans son deuxième considérant : « La demande qui lui est présentée n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative de droit commun » 614 .

Notes
613.

C.E., sect., 15 juillet 1957, Ville de Royan, rec., p. 499, AJ 1957, 2, p. 393, chron. J. FOURNIER et G. BRAIBANT, RDP 1958, p. 109, concl. C. LASRY.

614.

C.E., sect., 16 octobre 1981, Lassus, rec., p. 373, concl . O. DUTHEILLET de LAMOTHE, AJ 1981, p. 584, chron. F. TIBERGHIEN et B. LASSERRE ; RDP 1982, p. 806, note M. WALINE.