A. LE PRESIDENT JUGE DE DROIT COMMUN DE CERTAINS DOMAINES RESERVES

C’est en cela que réside l’apport le plus spectaculaire de la loi du 8 février 1995.

Cette loi fait en effet du juge unique le juge de droit commun lorsque le procès est assez simple pour ne pas devoir recourir à la procédure habituelle. L’objectif en est la recherche d’une plus grande efficacité afin que la juridiction administrative ne périsse étouffée.

Les dispositions des articles L. 774-1 et R. 222-13 du Code de justice administrative ont attribué au juge unique un bloc de compétences.

Le législateur a fixé au juge unique dix domaines de compétence.

C’est donc une pièce maîtresse du dispositif de la loi du 8 février 1995 relative aux procédures qui organise une multiplication des domaines d’intervention du magistrat statuant seul en l’absence de toute urgence contentieuse. Le juge unique devient le juge de principe dans un certain nombre de matières 619 .

Ainsi, le nouvel article R.222-13 du Code énumère les litiges qui emportent la compétence du juge unique. Il s’agit successivement: des litiges relatifs aux déclarations de travaux exempts de permis de construire. C’est le cas des travaux visés aux articles L.422.1, R.422.1 et suivants du Code de l’urbanisme. Cela concerne notamment les travaux de ravalement, les travaux sur les édifices classés, les travaux ne modifiant pas l’aspect extérieur des bâtiments 620 .

Des litiges relatifs à la situation individuelle des agents publics à l’exception de ceux concernant l’entrée en service, la discipline et la sortie du service. Cela concerne les litiges relatifs aux émoluments, à la carrière, à la notation, au détachement et à la mutation 621 , à la condition toutefois que ces mesures ne revêtent pas un caractère disciplinaire, auquel cas la formation collégiale retrouve sa compétence 622 .

Des litiges en matière de pensions, d’aides personnalisées au logement, de communication des documents administratifs et de service national 623 . C’est une catégorie « fourre-tout » dans laquelle il n’y a pas à rechercher de cohérence particulière sauf en général le caractère massif de ces contentieux.

Des litiges relatifs à la redevance audiovisuelle. Il s’agit là de litiges tendant à la décharge de la redevance mais également de démarches tendant à la correction des éléments de calcul pour l’établissement de l’assiette de cette redevance. C’est un contentieux volumineux qui ne soulève généralement que des questions de fait.

Des litiges relatifs aux taxes syndicales et aux impôts locaux autres que la taxe professionnelle. Il s’agit de taxes d’habitation 624 , de taxes foncières sur les propriétés bâties et de taxes sur les propriétés non bâties. A cela il convient de rajouter encore les taxes d’enlèvement des ordures ménagères. Il s’agit là d’affaires nombreuses qui encombraient les chambres fiscales et qui expliquaient en partie la lenteur des instances fiscales.

La taxe professionnelle soulevant parfois des questions extrêmement complexes, le législateur a souhaité la maintenir dans le giron de la formation collégiale.

Des litiges relatifs à la mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat pour refus opposé à une demande de concours de la force publique en vue d’exécuter une décision de justice. Bien que cela ne constitue pas un contentieux très volumineux, cette matière a été confiée au juge unique par l’article R. 222-13, alinéa 6ème du Code de justice administrative, les solutions dégagées étant anciennes et constantes.

Des actions tendant à la mise en jeu de la responsabilité des collectivités publiques lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur à un montant déterminé par décret en Conseil d’Etat. Cette partie de la loi exigea l’intervention de dispositions réglementaires pour sa mise en œuvre. C’est ainsi que le décret du 3 juillet 1995 intervint et fut codifié à l’article R. 17-2 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Il apporta trois précisions à la loi précitée: en premier lieu, le montant en dessous duquel le juge statuant seul est compétent, à savoir huit mille euros. Si, lors d’une demande incidente accessoire conventionnelle, les montants des demandes cumulées pour chacune des parties excèdent huit mille euros, l’affaire est alors jugée en formation collégiale. En second lieu, le montant de l’indemnité réclamée est déterminé par le total des sommes demandées, abstraction faite des intérêts du remboursement des frais irrépétibles.

En dernier lieu, lorsque des indemnités distinctes sont demandées par une requête collective, le jugement de cette requête ne relève du magistrat statuant seul que si aucune de ces indemnités n’excède huit mille euros.

Des requêtes contestant les décisions prises en matière fiscale sur des demandes de remise gracieuse.

Le domaine de la « juridiction gracieuse », selon la formule encore parfois utilisée par les services fiscaux, n’est pas concurrent de celui de la juridiction contentieuse; par cette dernière formule, on entend la procédure préalable conduite à partir du dépôt de la réclamation prévue par l’article L. 190 du Livre des procédures fiscales. La réclamation gracieuse, contrairement à ce que pourrait laisser croire la formule, ne présente aucun rapport avec les recours gracieux facultativement présentés dans le cadre de la contestation de la légalité de décision administrative.

Elle n’a pas non plus pour objet d’obtenir de façon amiable un résultat identique à celui qui pourrait être tiré d’une contestation au contentieux sur le terrain des droits. En effet, l’article L. 247 du Livre des procédures fiscales définit strictement les cas d’application de cette procédure, en procédant à un certain nombre d’exclusions et en édictant les cas dans lesquels l’administration est autorisée à accorder des remises ou modérations, ce dernier terme désignant des remises partielles. Ces formules correspondent aux dégrèvements et réductions prononcés en réponse à des demandes contentieuses.

Le Livre des Procédures Fiscales exclut que toute autorité publique puisse accorder une remise même partielle de droit d’enregistrement, de taxe et de publicité foncière, de droit de timbre et de taxe sur le chiffre d’affaires, de contribution indirecte et de taxe assimilée à ces droits, taxes et contributions. Sont ainsi concernées tant la T.V.A. que les impositions dont le contentieux relève de la juridiction judiciaire.

En d’autres termes, la juridiction gracieuse est caractéristique des impositions directes, mais elle peut intéresser aussi les seules pénalités des impositions dont le principal, légalement, ne peut donner lieu à remise.

Les hypothèses dans lesquelles l’administration est susceptible de statuer sur une demande gracieuse sont extrêmement limités par l’article L. 247 du Livre des procédures fiscales. Celui-ci prévoit en effet que peut être fait droit à une telle demande en cas de gêne 625 ou d’indigence du contribuable, où s’agissant des seules pénalités, lorsqu’elles sont définitives; en outre, des transactions sont admises 626 en matière de pénalités lorsqu’elles ne sont pas encore devenues définitives 627 ; enfin, un tiers, tenu solidairement au paiement d’impôt direct , peut demander à être déchargé de sa responsabilité, telle la femme mariée vivant séparée de son mari 628 .

Sous les réserves qui ont été indiquées quant au caractère définitif ou non des pénalités, la recevabilité de la réclamation gracieuse, compte tenu de sa nature, qui n’est pas celle d’une décision refusant le bénéfice d’un droit, puisque l’on est en présence d’un différend juridique, ne saurait être subordonnée à des règles de délais et la réponse n’a en principe pas à être motivée.

Toutefois, dans la mesure où le président doit pouvoir contrôler les motifs de la décision, ceux-ci doivent lui être indiqués devant le tribunal en cas de recours.

Le juge de l’excès de pouvoir est seul susceptible d’être saisi de la légalité des décisions prises par les services fiscaux en réponse à une demande gracieuse. Dans ce cas, le juge exerce un contrôle restreint, qui se limite à vérifier que la décision n’est pas entachée d’erreur de droit, d’erreur de fait, d’une erreur manifeste d’appréciation et ne relève pas de détournement de pouvoir 629 .

Le caractère gracieux au contentieux de la demande présentée à l’administration dépend, non pas de la teneur de la réponse qu’elle adresse au contribuable, mais des termes dans lesquels celui-ci a formulé sa demande 630 . C’est cette dernière qui déterminera si l’intéressé à entendu se placer sur le terrain des droits ou seulement faire appel à la compréhension de l’administration en raison d’une situation particulièrement difficile 631 .

Certaines réclamations aux services fiscaux présentent un caractère mixte, comprenant à la fois des arguments de type gracieux et contentieux. Dans cette hypothèse, l’administration doit normalement répondre sur les deux terrains 632 .

Le silence de l’administration fisale fait ainsi naître une décision implicite de rejet à l’issue du délai de quatre mois sur les conclusions gracieuses, selon les règles de droit commun figurant à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative. Toutefois, en ce qui concerne les moyens de nature contentieuse, c’est le délai de six mois prévu aux articles R.198-10 et R. 199-1 du Livre des procédures fiscales s’applique.

La prématurité éventuelle d’un recours, en tant qu’il relève de la seconde procédure, n’a généralement guère d’incidence dans la mesure où la jurisprudence admet les régularisations par l’écoulement du délai en cours d’instance.

En revanche, le recours pour excès de pouvoir, en raison des règles qui lui sont propres et, à la différence du recours tendant à contester la régularité de l’imposition, est susceptible de se voir opposer la tardiveté dans l’hypothèse de décision implicite de rejet de la réclamation, celle-ci faisant courir un délai de recours en contentieux.

L’intérêt pour le contribuable de pouvoir choisir son terrain se trouve limité cependant par l’impossibilité de changer en cours de procédure. Si le demandeur s’est placé sur un terrain exclusivement gracieux dans le cadre de sa réclamation, il ne pourra devant le tribunal administratif invoquer pour la première fois les moyens relatifs à la légalité des impositions. A l’inverse, des moyens de type gracieux ne peuvent être soumis directement au Président du tribunal administratif sans avoir d’abord fait l’objet d’une décision du service fiscal concerné.

Notes
619.

M. RONCIERE, Le juge unique dans la juridiction administrative, de l’exception à la généralisation, LPA 26 juillet 1995, p.18.

620.

C.A.A., Marseille, 1er avril 1999, M.Trilles Héraud, req. n° 97MA10082 et C.A.A., Marseille, 4 mai 1999, Commune de Gardannes, req. n° 97MA00069, inédit.

621.

C.A.A., Lyon, 6 mai 1998, Ministre de la Justice c. M. Vallet, req. n° 96LY00425 et C.A.A., Nantes, 4 février 1999, Mme G. Gallo, req. n° 98NT00376, inédit.

622.

C.A.A., Bordeaux, 18 novembre 1998, M. André Sarraute, req. n° 96BX00067, inédit.

623.

C.A.A., Lyon, 3 juin 1997, M. Lanoy, req. n° 95LY00994, rec., T., p. 1011.

624.

C.A.A., Bordeaux, 6 juillet 1999, Mme Gallo, req. n° 98BX02034, inédit.

625.

T.A., Lyon, 21 février 1985, req. n° 7.695, Dr. Fisc. 1985, p. 2675.

626.

Cass. crim., 18 avril 1983, Bull. crim., p. 242, n° 106.

627.

Article L. 248 du Livre des procédures fiscales.

628.

C.E., 22 juin 1983, req. n° 30.300, Dr. Fisc. 1984, comm. 679, RJF 1983, p. 486, concl. J. RIVIERE ; 6 janvier 1984, req. n° 36.373, Dr. Fisc. 1984, comm. 904, RJF 1984, p. 184, concl. O. FOUQUET.

629.

C.E., 15 octobre 1980, req. n° 17.482, RJF 1980, p538, Dr. Fisc. 1980, comm. 2675; 15 juin 1987, req. n° 66.149, RJF 1987, p. 494.

630.

C.E., 11 juillet 1984, req. n° 36.866, RJF 1984, p. 631.

631.

C.E., 11 juillet 1984, précité.

632.

C.E., 12 juin 1974, req. n° 90.337, Dr. Fisc. 1975, comm. 226, concl. D. MANDELKERN.