L’urgence s’apprécie au regard de situations de fait particulières, en tenant compte des justifications apportées par le requérant et des arguments présentés en défense.
‘« L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire » 888 . ’Le juge des référés porte son appréciation sur l’urgence après un débat contradictoire engagé devant lui qui peut être un débat oral. « Le respect de cette exigence s’apprécie au regard des justifications apportées dans la demande et de l’argumentation présentée en défense » 889 .
Le contrôle de la condition de l’urgence mérite une attention particulière et le juge de cassation en a précisé les critères de définition.
Ainsi, la condition de l’urgence, à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension, est considérée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate 890 à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre 891 ; qu’il en va encore ainsi, alors même que cette décision n’aurait un objet ou des répercussions que purement financiers et que, en cas d’annulation, ses effets pourraient être effacés par une réparation pécuniaire 892 .
Dans un autre arrêt, une association demandait au juge de suspendre l’exécution de l’arrêté du ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement en date du 8 janvier 2001 qui permettait au préfet, en vertu de l’article R. 224-6 du Code rural, de déroger aux dates de fermetures de la période de chasse sous certaines conditions. Le Conseil d’Etat a admis que la condition de l’urgence était remplie, eu égard à l’objet de l’arrêté qui permettait de prolonger la chasse de certains animaux jusqu’au 20 février et au fait qu’une décision au fond ne serait pas intervenue avant cette date. Une annulation de l’arrêté postérieure au 20 février n’aurait eu que des effets fort limités, l’abattage des animaux intervenu avant cette date créant une situation irréversible 893 .
La construction du bâtiment autorisée par un permis de construire présente un caractère difficilement réversible. Par suite, lorsque la suspension d’un permis de construire est demandée sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la condition d’urgence est en principe satisfaite 894 .
Ainsi, à propos d’une demande de suspension de la décision de résiliation d’un contrat d’occupation du domaine public par la Chambre de commerce et d’industrie de Boulogne-sur-Mer, le juge considéra que la société requérante était informée depuis plusieurs années qu’un projet d’implantation d’une autoroute était susceptible de remettre en cause son contrat et que le délai de six mois dont elle disposait pour libérer le terrain ne justifiait pas la suspension de la décision de résiliation pour un motif d’urgence 895 .
Si la décision par laquelle le préfet a informé le requérant de la perte de validité de son permis de conduire et lui a enjoint de restituer ce titre porte une atteinte grave et immédiate à l’exercice de sa profession de transporteur routier, elle répond, eu égard à la gravité et au caractère répété des infractions au code de la route commises par l’intéressé sur une brève période de temps, à des exigences de protection et de sécurité routière. Dans ces conditions, la condition d’urgence, qui doit s’apprécier objectivement et globalement, n’est pas remplie 896 .
Le jugement doit être suffisamment motivé en ce qui concerne la condition d’urgence retenue par le juge; ainsi, dans un arrêt de section du 28 février 2001 897 , le Conseil d’Etat précise que la décision juridictionnelle de premier ressort doit comporter les circonstances de droit et de fait qui, eu égard aux argumentations des parties et aux circonstances de l’espèce, ont conduit à considérer que la suspension revêtait un caractère d’urgence. Dans cette affaire, l’ordonnance prononçant la suspension d’une autorisation d’exploiter une décharge est annulée au motif que le juge des référés n’avait pas répondu à l’argumentation en défense, non inopérante.
Statuant au fond, le Conseil d’Etat prend en considération l’ensemble des circonstances de l’espèce et, effectuant une sorte de balance entre les intérêts en présence 898 , relève que « l’instruction ne fait pas apparaître d’éléments précis relatifs à la réalité des risques sérieux pour l’environnement que pourraient entraîner dans l’immédiat le fonctionnement de la décharge », alors que « à défaut de toute autre solution permettant, à court terme, de stocker une telle quantité de déchets dans le département, les autorités compétentes se trouveraient, en cas de suspension, dans l’obligation de faire transporter les déchets dans un département voisin afin de les y éliminer ». Dans ces conditions, « il n’apparaît pas que l’urgence, qui doit s’apprécier objectivement et globalement, justifie la suspension de l’exécution de l’arrêté ».
L’administration doit apporter, s’il y a lieu, les éléments de nature à faire apparaître les intérêts publics qui justifient le maintien du caractère exécutoire de la décision en cause; l’arrêt cité ci-dessus en est un bon exemple. En effet, seuls les éléments évoqués par les parties avant la clôture de l’instruction sont pris en compte par le juge.
C.E., 13 septembre 2001, Fédération CFDT des syndicats de banque et sociétés financières, req. n° 237773, DA décembre 2001, n°260.
C.E., 25 avril 2001, Association des habitants du littoral du Morbihan, RFDA 2001, p. 849 et s., concl. F. LAMY.
Sur l’assouplissement jurisprudentiel de cette exigence, T.A., Marseille, réf., 21 janvier 2002, M. Sow, AJDA 2002, p. 363, note P. BLACHER.
K. BUTERI, La condition d’urgence dans la procédure du référé-suspension. Analyse de la jurisprudence récente du juge administratif des référés, LPA 2001, n° 253, p.17.
C.E., sect., 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n° 228815, AJDA 2001, p. 150, chron. M. GUYOMAR et P. COLLIN ; D.2001, IR, p. 597 ; LPA février 2001, n°30, note N. CHAHID-NOURAÏ et C. LAHAMI-DEPINAY; RDP 2002, p. 756 et s., obs. C. GUETTIER.
C.E., réf., 12 février 2001, Association France nature environnement et autres, req. n° 229797, LPA mars 2001, n° 46, note H. de GAUDEMAR.
C.E., 27 juillet 2001, commune de Tulle, req. n° 230231,BJDU 2001, p. 381 et s., concl. D. CHAUVAUX.
C.E., 26 septembre 2001, Société de transports « La Mouette », req. n° 231978, Contrats et Marchés Publics, décembre 2001, n° 243, note J.-P. PIETRI.
C.E., 10 décembre 2001, ministre de l’intérieur c. Pérignon, req. n° 234896, à publier.
C.E., sect., 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes, Société Sud-Est Assainissement, req. n° 229562, 229563 et 229721, AJDA 2001, p. 464, chron. M. GUYOMAR et P. COLIN; DA 2001, n° 99; RDP 2001, p758 et s., obs. C. GUETTIER.
L. ERSTEIN, Pragmatisme de la notion d’urgence, CTI, mars 2002, chron. n° 4, p. 4.