section I. une jurisprudence influente

les éléments de procédure contenus à l’article 10 de la loi du 30 juin 2000 font partie intégrante de la réforme engagée par le législateur en matière d’urgence. Influencé par le modèle judiciaire, le législateur a entamé une réforme en profondeur de la procédure administrative contentieuse.la frilosité du juge administratif face à l’urgence tenait autant « à la faiblesse des prérogatives qu’au régime procédural dans lequel il les exerce » 1138 . Le législateur a donc choisi d’exclure de la procédure applicable aux référés certaines des caractéristiques essentielles de la procédure administrative contentieuse, privilégiant ainsi l’efficacité et la célérité au dépends des garanties dont le justiciable bénéficiait jusqu’alors : le caractère écrit de la procédure, la collégialité, la publicité de l’audience et la présence du commissaire du gouvernement.

Par ailleurs, l’urgence modifie sensiblement les méthodes de travail de l’administration, puisqu’en cas d’urgence, le président, juge des référés doit fixer dès l’introduction de la procédure le délai dans lequel il devra statuer.

Enfin si la création du référé-liberté ne connaît pas d’atteinte au principe du double degré de juridiction, il convient de noter qu’en la matière le juge de l’urgence pourra être saisi de simples agissements de l’administration, alors que précédemment il ne pouvait statuer que sur l’exécution d’une décision administrative.

C’est ce qu’il semble ressortir de l’ordonnance du tribunal administratif de Bordeaux : « considérant qu’eu égard à ses conclusions et aux moyens invoqués, en l’absence de toute décisions susceptibles de recours et de suspension de l’autorité préfectorale, la requête de M. Claude Baudoin doit être regardée comme tendant à ce que le juge des référés (...) ordonne (...) diverses mesures qu’il estime nécessaires à la sauvegarde des libertés » 1139 .

La situation d’urgence justifie des aménagements spécifiques et le juge administratif de l’urgence s’en est fort bien accommodé.

L’ensemble des commentateurs de la loi du 30 juin 2000 a souligné les importantes avancées procédurales issues de la réforme, tout en émettant des doutes quant à l’application que les juges des référés en feraient.

Certains auteurs ont même émis l’hypothèse d’un risque d’hétérogénéité des pratiques entre juridictions et, de fait entraînant une rupture de l’égalité entre les justiciables 1140 .

Ainsi que le préconise le rapport GARREC, il convient « d’envisager les avancées procédurales proposées non en référence au traitement de droit commun des litiges (...) mais en adaptant, autant que possible, les garanties offertes aux justiciables, en tenant compte des nécessités de l’urgence » 1141 .

Ainsi, fidèle à l’article 10 de la loi du 30 juin 2000, le président, juge des référés administratifs, a tenu à rappeler qu’ « aux termes des dispositions des deux alinéas de l’article L. 522-1 du Code de justice administrative, le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire » 1142 .

Cette position retenue par le juge des référés a été confirmée par la juridiction suprême : les articles L. 5 et L. 522-1 du Code «font obligation au juge des référés (...) de communiquer aux parties avant la clôture de l’instruction, par tous moyens, notamment à les mettant à même d’en prendre connaissance à l’audience publique, les pièces et mémoires soumis au débat contradictoire qui servent de fondement à sa décision et qui comportent des éléments de fait et de droit dont il n’a pas été antérieurement fait état au cours de la procédure »  1143 .

A ce titre, les dispositions de l’article 10 de la loi précitée apportent une innovation majeure : l’oralité des débats.

Certains auteurs ont craint, à juste titre, que les pratiques puissent varier d’une juridiction à l’autre 1144 . Dans la pratique et à l’aune de plus de trois années d’application, il n’en est rien. Le président, juge des référés a rapidement intégré ses nouveaux pouvoirs.

Le chef de juridiction n’en a pas néanmoins pour autant renoncé à l’utilisation de la procédure écrite dans le cadre de la procédure des référés administratifs.

Dans l’hypothèse où « il apparaît manifeste que la demande est irrecevable », le président, juge des référés, peut rejeter celle-ci par une ordonnance motivée certes, mais sans procédure contradictoire, ni audience publique 1145 .

L’intrusion de l’oralité conduisit le législateur à déroger à un autre principe du procès administratif : la collégialité et les conclusions du commissaire du gouvernement. « Le prononcé des conclusions du commissaire du gouvernement paraît incompatible avec le traitement de l’urgence par le juge administratif (...) Le commissaire du gouvernement intervient après les parties pour éclairer les éléments de fait pertinents, rappeler le droit applicable et proposer une solution. Il se prononce actuellement au vu des mémoires écrits. Son intervention perdrait son sens s’il devait prononcer des conclusions alors que les moyens auraient été soulevés par oral au cours de l’audience publique 1146  ».

Conformément à sa tâche régulatrice du maintien de l’ordre administratif et de la garantie des droits individuels, le président du tribunal administratif veille, à travers son contrôle au bien fondé de l’action administrative. Il vise à assurer un contrôle susceptible de garantir la rationalité de l’action administrative. Cette tâche n’est pas aisée en soi, le nécessaire équilibre entre la puissance publique et les droits des administrés étant difficile à établir compte tenu de l’intervention croissante de l’administration.

L’attachement du président administratif à la pratique administrative et à ses changements est un facteur déterminant de son pouvoir d’appréciation des faits. En parcourant les données jurisprudentielles, les principes directeurs du juge des référés lors de la détermination de la liberté d’appréciation des faits peuvent être dégagés effectivement.

Le président, juge des référés, procède à une appréciation concrète des faits, qui fondent l’action administrative et animent le raisonnement de l’administrateur.

Il appartient ainsi de savoir à qui et dans quelle mesure revient l’appréciation des situations de fait qui sont à l’origine de l’action administrative.

Cette question trouve une réponse à travers les ordonnances et les arrêts rendus par les présidents, juges des référés ainsi que par le président de la section contentieux du Conseil d’Etat qui, au fil des espèces qui leur sont soumises ont établi un corps de principe guidant ce pouvoir d’appréciation des faits.

L’analyse des valeurs sociales que fait prévaloir le président administratif laisse apparaître le pragmatisme des décisions rendues.

Le juge des référés doit respecter la hiérarchie des valeurs existant au sein de la société à un moment donné.

Le juge décide quel est l’intérêt qui prime dans la matière considérée, de l’administration ou de l’administré.

Les méthodes jurisprudentielles étant néanmoins liées par une certaine logique, le président tend en fait, à ajuster le contrôle qu’il exerce sur le bien-fondé de l’action administrative, en prenant en considération les valeurs dominantes de la société.

Le juge des référés semble désormais jouer un rôle important dans le dosage du pouvoir d’appréciation des faits, par son examen provisoire de la justification de l’action administrative.

Dans ce cadre, le chef de juridiction n’hésite pas à exercer un contrôle précis des circonstances de fait dans les délais qui lui sont impartis avec, comme impérieuse obligation, l’urgence à statuer.

A ce titre, la jurisprudence des référés administratifs cherche à établir une hiérarchisation des valeurs qui varie selon qu’est en jeu le droit d’un individu envisagé comme administré ou en tant que simple particulier.

A ces critères ainsi dégagés, la réponse du président juge des référés apparaît différente.

L’audace ou la réticence du juge de l’urgence s’explique par les intérêts concurrents en jeu et par sa conviction de posséder ou non les éléments nécessaires pour apprécier in concreto le cas d’espèce qui lui est soumis 1147 .

Si l’administration intervient plus fréquemment dans le domaine économique et social, il faut reconnaître à l’aune de la jurisprudence étudiée que la tendance est à l’établissement de garanties au profit de l’administré.

Notes
1138.

C. MORLOT-DEHAN, La réforme des procédures d’urgence devant le juge administratif, LPA, 4 septembre 2000, p. 6.

1139.

T.A., Bordeaux, réf., 23 mars 2000, Baudoin c. Préfet de la Gironde, précité.

1140.

P. CASSIA, Les référés administratifs d’urgence, précité, p. 176.

1141.

Rapport n° 380 de René Garrec au nom de la commission des lois du sénat sur le projet relatif au référé devant les juridictions administratives (1998-1999).

1142.

T.A., Bordeaux, réf., 23 mars 2000, précitée.

1143.

C.E., 28 mai 2001, Société Codiam, req. n° 230692, à mentionner ; 27 juillet 2001, Commune de Meudon, Construction-Urbanisme, 2001, obs. P. CORNILLE, n° 236.

1144.

C. MORLOT-DEHAN, La réforme des procédures d’urgence devant le juge administratif, précitée, p. 7.

1145.

T.A., Nice, réf., 4 juillet 2001, Mohammed Mejbri, inédit; T.A., Nancy, réf., 5 janvier 2001, Casanovas, confirmée par C.E., sect., 28 février 2001, Casanovas, RFDA 2001, concl. P. FOMBEUR, p. 399.

1146.

Rapport n° 380 de René Garrec, précité.

1147.

M. GJIDARA, La fonction administrative contentieuse, Paris, LGDJ, 1972, p. 403.