Il parait aujourd’hui assez largement admis qu’un système juridique fondé sur une hiérarchisation des normes procure plus de stabilité et de sécurité juridique. Un modèle commun aux démocraties avancées semble se dessiner, dans lequel une Constitution, écrite ou non écrite, s’impose au législateur via un contrôle de constitutionalité organisé sous des formes diverses. La loi elle-même encadre un important droit dérivé qui constitue le second niveau de la norme. Qu’il soit autonome ou pris pour l’application d’une loi ce droit dérivé doit respecter le niveau législatif. Il existe enfin un troisième niveau, qui dépend moins de l’édiction de la norme qu’à son interprétation, à son adaptation et à sa mise en œuvre quotidienne par les juges administratifs.
C’est tout le monde des circulaires, interprétations administratives et autres mesures individuelles d’application.
Du point de vue de la sécurité juridique cette structure hiérarchisée du droit est probablement la plus satisfaisante. Combinée avec le contrôle effectif de la conformité de chaque niveau avec les règles de valeur supérieure, elle assure une meilleure homogénéité de la règle, l’irrigation de l’ensemble du corps normatif par les principes fondamentaux, en même temps qu’une possibilité de décliner la norme supérieure en fonction des principales situations à traiter.
L’édifice du droit communautaire, lui-même, pourtant longtemps rétif à une hiérarchie des normes très articulée, s’oriente clairement, avec le projet de Constitution de l’Union Européenne, dans cette direction. Au système assez peu sophistiqué distinguant simplement une norme supérieure, le Traité et le droit dérivé, devrait se substituer une hiérarchie plus démultipliée, et plus proche d’ailleurs de la pratique réelle.
Ce modèle, très satisfaisant pour l’esprit, présente évidemment les inconvénients de ses avantages : l’homogénéité peut devenir uniformité, la pyramide des niveaux et leur « emboîtement » légal rigidité, l’allongement de la chaîne hiérarchique pouvant surtout recréer de l’incertitude. Que l’on songe à la situation en Europe : CEDH, Traité CE, Règlement du Conseil, Directive du Conseil, Règlement de la Commission, Directive de la Commission. Puis au plan national : Constitution, Loi, Règlement, niveaux auxquels s’ajoutent en Allemagne, par exemple, le pouvoir normatif des Länder, peut-on être certain qu’en bout de chaîne le dernier texte respectera bien tout cet échafaudage de normes supérieures et que le juge administratif fera appliqué dans l’urgence la norme correspondant à l’espèce ?
Face aux problèmes posés, en particulier par l’allongement de la chaîne de la hiérarchie des normes, on songe immédiatement à un système de répartition exclusive des compétences par niveau, sur le modèle fédéral des Etats-Unis et de l’Allemagne. Là encore le projet de Constitution de l’Union Européenne fait une tentative méritoire en ce sens. L’exercice en trouve assez vite ses limites : l’exclusivité des compétences accroît certes la marge de liberté des Etats vis-à-vis de la Fédération, ce qui assouplit le système, mais il est vite perçu qu’il existe un niveau minimum d’intégration, y compris juridique, entre les niveaux de compétence et également un noyau incompressible, même souhaitable, de compétences partagées.
En outre si le système de compétences exclusives introduit de la souplesse et une certaine autonomie des niveaux, il n’est pas certain que la lisibilité des normes applicables par les juges à l’usager final s’en trouve améliorée.
Notons cependant que nous n’avons qualifié ce modèle de « fédéral » que par facilité d’écriture. De tels dispositifs sont également possibles dans un état unitaire comme le montre l’exemple des « lois de pays » en France.
Un autre ajustement possible du système de hiérarchie des normes consiste à faire évoluer de façon maîtrisée la relation entre la loi et le contrat. L'idée de base consiste à laisser un espace de respiration plus important au contrat. Diverses pistes ont d'ores et déjà fait l'objet de réflexions, voire même d'explorations en ce sens. Usage plus modéré des dispositions d'ordre public et plus systématique des dispositions supplétives, respect mieux garanti des contrats en cours par le législateur, reconnaissance de la valeur et de la sphère d'autonomie des contrats et conventions collectives dés lors qu'ils sont conclus dans des conditions propres à en assurer la légitimité. Le Conseil Constitutionnel au nom du principe d’autonomie des Collectivités Locales ou de la participation des travailleurs, par l’intermédiaire de leurs délégués, « à la détermination collective des conditions de travail » est allé assez loin dans la faculté reconnue au législateur de déléguer une partie de son pouvoir, non pas seulement au règlement, mais aussi à des conventions entre partenaires qualifiés. L'instrument est certes à manier avec précaution, et le législateur doit conserver la « compétence de la compétence » mais cette souplesse, reconnue dans certains domaines spécifiques, pourrait être utilement explorée dans d’autres, tant il est vrai qu’il peut y avoir là une forme intéressante de législation déléguée 1161 .
A l’analyse il semble que ce soit certainement dans les méthodes d'élaboration et de préparation de la norme que réside l'essentiel du potentiel d'amélioration.
De façon générale on considère aujourd’hui dans les démocraties modernes qu’une bonne procédure de concertation avec les milieux intéressés (opérateurs économiques, associations, groupes de pressions, milieux juridiques ou scientifiques) préalablement à la rédaction de la loi est un facteur important de sécurité juridique.
En France ce type de consultation existe mais il reste à la fois dépendant de la bonne volonté de l’administration en charge de l’opération, informel et le plus souvent indirect. Mis à part quelques très imposantes opérations de consultation décidées pour des raisons politiques, le processus reste embryonnaire et dénué de transparence. Des projets circulent, tel groupe de pression a pu se procurer un avant-projet officieux … Ceci n’est pas satisfaisant et notre pays pourrait à cet égard améliorer ses pratiques.
D’autres l’ont fait. C’est le cas de la Grande-Bretagne avec le « Code of practices on Consultation », publié par le Cabinet Office qui institue une obligation générale de consultation publique pour ceux qui préparent un texte, avec des contraintes précises de délai, de durée et de restitution des résultats. Les mêmes pratiques se sont également largement développées à Bruxelles. On ne voit pas pourquoi elles ne seraient pas exportables en France, où un certain manque se fait, par comparaison, de plus en plus sentir malgré des efforts ponctuels récents qu’il faut saluer comme la Commission sur les Pratiques Commerciales ou celle sur la Taxe professionnelle, où siègent d’ailleurs des magistrats administratifs.
De même les bilans « coût avantages », dont on avait pu un moment espérer qu’ils constitueraient un moyen efficace pour maîtriser l’inflation législative, ont-ils été fort décevants : le Gouvernement vient d’ailleurs de décider de concentrer les ressources de recherche et d’analyse nécessaires aux projets de loi les plus importants. Le bilan n’est pas meilleur au niveau communautaire où les analyses coût avantages accompagnant les propositions de la Commission restent très impressionnistes et qualitatives et tiennent beaucoup de la formalité obligée à laquelle il faut sacrifier …
Enfin bien que la France soit le pays des réformes, il y a assez peu de mécanismes formalisés permettant « d’auditer » de manière permanente et indépendante de l’administration et du Parlement la pertinence de la législation s’appliquant à un secteur donné. Là encore le Royaume-Uni peut être source d’inspiration. La « Law Commission » tout d’abord, institution indépendante crée par le Parlement en 1965 et chargée de formuler, à l’attention du Parlement des propositions de réforme du Droit. Ses études qui font l’objet de rapports publics (il peut y en avoir une vingtaine en cours parallèlement) analysent les insuffisances du droit existant, formulent des propositions et amorcent des consultations. Certains de ces travaux ont débouché sur des réformes législatives importantes.
Plus original encore est le « Financial Law Commitee », créé à l’initiative de la City à la suite d’une décision juridictionnelle de la Chambre des Lord qui avait fait apparaître la fragilité de certains contrats tels qu’ils étaient usuellement pratiqués (contrats de swap conclus par des collectivités locales). Le « Financial Law Commitee » est donc chargé de traquer et de rectifier les incertitudes subsistant ou apparaissant dans le domaine du droit public financier. Ce « panel » a publié des analyses qui ont servi à éclaircir certains points obscurs du droit des finances locales. Il a également organisé des rencontres entre magistrats et acteurs du marché financier autour de thèmes donnant lieu à des difficultés dans la pratique. Depuis 2002 les fonctions du « panel » ont été transférées au « Financial Law Commitee » créé par la Banque d’Angleterre.
Au-delà du discours récurrent sur l’inflation législative le mal persiste, et les méthodes mises en oeuvre pour y remédier, s’avèrent de peu d’effet lorsqu’elles ne l’aggravent pas.
Toute forme de lutte contre l'inflation législative se traduit immédiatement par des textes en plus, bref, par davantage de volume. Des codes ‑ la codification à droit constant est censée être une arme contre l'inflation normative, mais elle a surtout été un instrument efficace d’accès au droit ‑ aux circulaires.
Ces textes participent d'ailleurs souvent d'un droit de la norme, forme de nouvelle branche du droit qui est faite de l'ensemble des règles de droit qui régissent les méthodes de confection des règles elles-mêmes. Ces nouvelles normes sont sans véritable sanction : le droit des techniques d’élaboration des règles de droit est plus un utile recueil de « bonnes pratiques » qu’une norme « dure » (v. les circulaires du Premier Ministre relatives à l'élaboration des textes, en particulier celle du 1er juillet 2004, ou encore celles portant sur la qualité de la réglementation).
C’est un droit scientifique, d'où le recours à des techniques de laboratoire : expérimentation législative, suspension législative, études d'impact, évaluation, etc. Le droit de la règle de droit impose des tests, une surveillance, des comptes-rendus. C’est un travail de spécialistes.
En définitive, la lutte contre l'inflation législative ne peut pas être menée par des moyens purement techniques. Quel producteur de normes est prêt, pour une durée même limitée à s’arrêter de légiférer ? Et pendant ce temps, les parlementaires feraient l'audit du stock : car dans le panel des techniques employées, l'inventaire n'est pas pratiqué sauf par l’œuvre de Codification.
Le recours aux ordonnances est une autre piste, souvent présenté comme une solution efficace pour simplifier le droit. Cet instrument fait l’objet d’une utilisation croissante. Que faut-il en penser ?
En quelques années, les gouvernements ont multiplié le recours aux ordonnances de simplification du droit, avec le sceau du Conseil Constitutionnel et dans un certain consensus, face à l’impératif catégorique de la simplification 1162 .
Ce moyen efficace d’adoption rapide de textes souvent techniques soulève néanmoins une série d’interrogations au regard même de l’objectif affiché de simplification du droit. En fait, le Parlement restant tout autant embouteillé, comment peut-on lutter contre l'inflation normative en créant une nouvelle source de règles législatives, un « itinéraire-bis » qui ne déleste pas ? Ensuite, techniquement ‑ ou politiquement ‑ comment s'effectue le tri entre les textes, pour déterminer ceux qui auront les faveurs du Parlement et les autres ?
Enfin, ce mécanisme de formation de la règle de droit n’est pas sans poser de problèmes quant à l’intelligibilité, à l'accès au droit, et à la connaissance de la règle. Il n’y a ni travaux préparatoires publiés, ni discussion publique. Les textes, souvent très techniques se font sans dialogue public et institutionnalisé et de ce fait, sans mémoire de leur genèse. Des groupes de travail, souvent purement internes à l’administration, se succèdent. Un texte naît. Mais dans ce processus, seules sont formalisées l’instruction interministérielle et surtout la consultation du Conseil d’Etat.
L’avis du Conseil n’est cependant pas public sauf si le gouvernement en décide autrement. On en arrive même, parfois, à ce paradoxe que les groupes de pression qui pourraient avoir des observations légitimes ou des demandes pertinentes à faire connaître, n’arrivent pas à trouver la façon de participer au processus. Certes il s’agit assez fréquemment de textes très techniques ayant fait l’objet de débats doctrinaux préalables importants. Mais pas toujours et, même dans ce cas, une procédure beaucoup plus publique et formalisée d’instruction et de concertation, sur le modèle de celle suivie pour les principaux textes au niveau européen, serait fort utile. Elle reste à construire. L’avis des praticiens serait ici utile…
La question de l'absence de normativité des lois est aujourd’hui vigoureusement posée. Le propos est récurrent au moins depuis le Rapport du Conseil d'Etat sur la sécurité juridique 1163 qui dénonçait « le droit mou, le droit flou, le droit à l'état gazeux ». Il se nourrit d'illustrations fort nombreuses, qui attestent de la transformation de la loi qui accueille des déclarations d'intentions des textes à visée programmatique et abrite les objectifs du texte, souvent énoncés à l'article 1er des lois.
Mais en dépit de ces dénonciations répétées, le phénomène ne semble pas avoir faibli, bien au contraire. D'où la volonté, fortement réaffirmée, de lutter, enfin, efficacement contre l'absence de normativité.
Mais ce manque de résultats apparent, jusqu’à présent, de la lutte contre l'absence de normativité des textes fait craindre un mal plus profond, en toute hypothèse, incite encore davantage à s’interroger sur le caractère suffisant d’un traitement uniquement « symptomatique ». On peut observer et s’interroger sur le fait que ceux qui dénoncent le mal y participent malgré eux, non parce qu'ils sont incohérents, mais parce que d’autres contraintes influent sur le problème en cause notamment des contraintes politiques.
Les lois symboliques ont une portée rétributive qui, dans une conjoncture donnée, peut aider à construire un accord politique ou social sur une réforme. De même qu’à Bruxelles, les déclarations des délégations au procès verbal du Conseil, permettent une certaine satisfaction rendant ainsi un compromis acceptable… Le problème de l'absence de normativité des textes n'est donc pas un simple problème de rédaction.
En réalité, si les groupes de pression se satisfont de dispositions en apparence purement symboliques, c'est parce que les symboles ont d'autres effets.
Car ici apparaît une donnée qu’il ne faut pas sous estimer : le droit s'élabore par étapes. La loi symbolique ouvre la voie à la loi normative, la norme jurisprudentielle, car toute loi participe de phénomènes qui s'enchaînent et qu'il s'agit de faire advenir en rendant possible l'étape suivante.
Dès lors, la normativité n'est pas toujours un état donné de la règle : c’est un état qui peut aussi s’acquérir dans le temps, notamment par voie d'interprétation et d'application. Le juge, mais aussi la pratique, contribuent à la normativité des textes, aussi bien qu’à leur absence de normativité. Et des textes apparemment privés de toute normativité ont pu jouer un rôle déterminant. Ainsi, des textes renaissent ou révèlent un potentiel important allant bien au-delà des intentions de leurs premiers auteurs. D’autres se réveillent de périodes de profonde léthargie. Le coma textuel est rarement irréversible.
Ces observations n’ont évidemment pas pour but d’abaisser la garde dans la défense de l’essence même de la loi, qui est d’être une norme. Elles visent simplement à souligner qu’un traitement uniquement symptomatique du problème n’est peut-être pas suffisant. Il faut certes l’appliquer et vigoureusement. Mais en ayant à l’esprit qu’une législation édictant des principes est parfois plus efficace qu’une accumulation de normes détaillées et que l’interprétation dite « téléologique » des textes est parfois un moyen de faire bouger les choses dans le bon sens et sans heurts inutiles…
Les systèmes de droit dysfonctionnent lorsque l’équilibre entre le rôle du législateur et celui du juge est rompu, peu important, d’ailleurs, en faveur de qui cette rupture fait pencher la balance.
Aujourd’hui, on dispose de beaucoup d’expériences concrètes montrant qu’une réglementation détaillée, visant à régler, au cas par cas, par des dispositions précises, un vaste éventail de situations diverses peut conduire à un véritable échec de la norme et même à une très forte insécurité juridique.
En définitive, ceux qui font de la norme ce qu’elle devient au contact des faits sont ceux qui l’interprètent, au premier rang desquels l’opinion formée par les juges. C’est donc à elle que se heurte le juge qui n’aura pas eu la prescience d’anticiper l’attente de la société, ou de la presse qui fait l’événement.
Pour réduire l’incertitude, la norme doit être suffisamment accessible pour le public, ce qui pose moins problème en matière de textes légaux ou réglementaires qu’en matière de jurisprudence et de revirements jurisprudentiels notamment 1164 . C’est à cette interrogation que répond le Rapport MOLFESSIS 1165 , et la mise en oeuvre récente par la Cour de Cassation du revirement pour l’avenir, dans un arrêt du 8 juillet 2004.
La norme, doit aussi être suffisamment claire et intelligible comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel en 1999. Ce dernier après avoir rejeté l’argument tiré d’une méconnaissance du principe de confiance légitime, en 1997 1166 , dès lors « qu’aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de « confiance légitime », a rappelé la nécessité de protéger la stabilité contractuelle, et énoncé pour la première fois en 1998 la nécessaire « clarté de la loi » 1167 . Il a est allé plus loin l’année suivant en dégageant « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi » 1168 . Ce principe a trouvé à s’appliquer notamment en 2003 1169 à l’occasion du contrôle de constitutionnalité portant sur des textes portant réforme de l'élection des sénateurs : l’emploi de certains termes ambigus a été déclaré contraire à l‘objectif de valeur constitutionnelle, ce qui a fait dire à certains que la sécurité juridique comptait désormais parmi les principes constitutionnels 1170 .
A côté de ces exigences nouvelles, demeurent les principes traditionnels de non rétroactivité des lois pénales et fiscales 1171 réaffirmées par le Conseil constitutionnel dans la décision précitée du 7 novembre 1997 « Considérant que le principe de non rétroactivité des lois n'a valeur constitutionnelle, en vertu de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'en matière répressive; qu'il est loisible au législateur d'adopter des dispositions fiscales rétroactives dès lors qu'il ne prive pas de garantie légale des exigences constitutionnelles; qu'aucune norme de valeur constitutionnelle ne garantit un principe dit de « confiance légitime ».
Demeure surtout le principe de légalité qui garantit la conformité de chaque norme à la norme supérieure lui-même éventuellement modéré, comme le Conseil d’Etat en donne une illustration récente, par l’appréciation des effets manifestement disproportionnés de l’annulation rétroactive d’un règlement en matière d’assurances chômage. L’arrêt d’Assemblée du 11 mai 2004, association AC !, ne manifeste pas l’abaissement du principe de l’égalité face à l’objectif de sécurité juridique, mais plutôt la conciliation de ces deux exigences au nom de l’intérêt général 1172 puisque — énonce l’arrêt — « la disparition rétroactive des dispositions des arrêtés relatifs à la convention du 1 er janvier 2001 (…), en faisant revivre les règles antérieurement en vigueur, serait à l'origine des plus graves incertitudes quant à la situation et aux droits des allocataires et des cotisants et pourrait provoquer, compte tenu des dispositions des articles L. 351-6-1 et L. 351-6-2 du code du travail relatives aux délais dans lesquels peuvent être présentées de telles réclamations, des demandes de remboursement de cotisations et de prestations dont la généralisation serait susceptible d'affecter profondément la continuité du régime d'assurance chômage ; qu'ainsi, une annulation rétroactive de l'ensemble des dispositions des arrêtés attaqués relatifs à cette convention aurait, dans les circonstances de l'affaire, des conséquences manifestement excessives ; que, dans ces conditions, il y a lieu de limiter dans le temps les effets de l'annulation… ».
Toujours en ce qui concerne les moyens « classiques » d’assurer la sécurité juridique, il convient de citer la bonne insertion dans l'ordonnancement juridique existant, et la non contradiction entre normes, ce que permet de garantir le contrôle de légalité en général. C’est cet objectif que permet, dans les rapports entre les deux ordres de juridiction, la contestation par voie préjudicielle de la légalité des règlements comme en témoigne l’arrêt Beule du 20 décembre 2000 1173 . Cet arrêt, en déclarant illégal un règlement édictant des clauses-types, a rendu à nouveau possible l’exercice, par le juge judiciaire, du contrôle de la licéité des clauses contractuelles non soutenues par le règlement déclaré illégal, et de les déclarer non écrites en ce qu’elles limitaient la durée de la garantie des assureurs dans le temps, en privant de cause l’obligation du paiement des primes par l’assuré.
Enfin, participe de l’objectif de sécurité juridique, le principe de non discrimination, qui permet de mesurer la difficulté d’adapter la norme à l’état des mœurs. Il est des situations où la norme crée l’incertitude : lorsqu’elle suscite l’incompréhension ou, simplement, l’inquiétude d’une frange minoritaire de la population.
Le président de tribunal administratif est donc face à de nombreuses problématiques jurisprudentielles pour l’avenir. Il dispose désormais des pouvoirs nécessaires afin de répondre aux attentes du justiciable. Faudra-t-il encore lui permettre d’exercer pleinement son rôle régulateur des conflits…
voir la très intéressante livraison des Cahiers du Conseil Constitutionnel « Etudes et Doctrines » sur « Loi et contrat » qui traite ce thème de façon approfondie (Cahier n° 17-2004)
M. DELAMARRE, La sécurité juridique et le juge administratif français, précité.
EDCE, n° 42, 1991, La sécurité juridique.
H. le BERRE, Les revirements du jurisprudence en droit administratif, Thèse Aix-Marseille, 1997.
Rapport sur les revirements de jurisprudence, 30 novembre 2004.
Cons. Const. 7 novembre 1997, n°97-391 DC, mais aussi Cons. Const. 30 décembre 1996, n°96-385 DC.
Cons. Const. 10 juin 1998, n°98-401 DC
Cons. Const. 16 décembre 1999, n°99-421 DC V. J.-E. SCHOETTL, AJDA 2000, p. 31; M.-A. FRISON-ROCHE et W. BARANES, Le principe constitutionnel de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi, D. 2000, chron. p. 361, et somm. p. 425, obs. D. RIBES.
Cons. Const. 24 juillet 2003, n° 2003-475 DC
B. MATHIEU, La sécurité juridique, un produit d'importation dorénavant « made in France », D. 2000, Point de vue p. VII.
O. NEGRIN, L’application dans le temps des textes fiscaux, Thèse Aix-Marseille, 1997.
C.E., Ass., 11 mai 2004, Association AC !, req. N° 255886 ; A.J.D.A., 14 juin 2004, p. 1183 et s., chron. C. LANDAIS et F. LENICA.
C. E., sect. 29 décembre 2000, Beule et autres, req., n°s 212338 et 215243 lequel, statuant sur une question préjudicielle tenant à la légalité de la clause-type prévue à l’article 4 de l’annexe de l’arrêté du 21 juin 1980, a déclaré illégale ladite clause-type en ce qu’elle permettait l’insertion dans les contrats d’assurance de clauses réduisant dans le temps l’obligation de garantie contractée par les assureurs.