3.1.2. Les patients cérébrolésés

Historiquement, les premières études sur les mécanismes cérébraux chez l’Homme portent sur l’observation de patients présentant des lésions cérébrales. Des interventions chirurgicales sont notamment effectuées chez les patients épileptiques pharmacorésistants, en vue de réséquer la région cérébrale responsable des crises d’épilepsie. Les foyers épileptiques sont souvent localisés dans les lobes temporaux (l’amygdale, les cortex piriforme et entorhinal, l’hippocampe, et le gyrus parahippocampique), mais aussi de façon moindre dans les lobes frontaux. Comme nous l’avons vu plus haut (Chapitre 1 - Section ), ces régions participent étroitement au traitement de l’information olfactive. Les résections sont néanmoins rarement focales, et impliquent le plus souvent l’ablation de plusieurs aires cérébrales. De plus, il est permis de supposer que le dysfonctionnement olfactif ne résulte pas uniquement de l’ablation de la région lésée, et donc de la modification du réseau neuronal fonctionnel dans lequel cette aire était intégrée, mais aussi de la section de fibres nerveuses qui s’élèvent d’une autre aire cérébrale et transitent par cette région. Les conclusions apportées par ces travaux restent par conséquent sujettes à caution.

Les travaux effectués dans le domaine de l’olfaction portent sur les seuils de détection, et les capacités de discrimination, de mémorisation et d’identification des odeurs. Les résultats montrent que la résection du lobe temporal antérieur ne modifie pas le seuil de détection olfactive (Eskenazi et al., 1983; Eskenazi et al., 1986; Jones-Gotman & Zatorre, 1988; Zatorre & Jones-Gotman, 1991; Martinez et al., 1993; Kohler et al., 2001), mais altère notablement les performances de discrimination, d’appariement, de mémoire de reconnaissance, d’identification et de dénomination des odeurs (Abraham & Mathai, 1983; Eskenazi et al., 1983; Eskenazi et al., 1986; Jones-Gotman & Zatorre, 1988; Zatorre & Jones-Gotman, 1991; Martinez et al., 1993; West & Doty, 1995; Jones-Gotman et al., 1997; Kohler et al., 2001; Dade et al., 2002; Savage et al., 2002). Il ne semble pas cependant que le lobe temporal participe à la perception trigéminale tandis que son exérèse chez le patient épileptique n’affecte que les potentiels évoqués olfactifs et non les potentiels évoqués trigéminaux (Hummel et al., 1995). Ces études mettent aussi l’accent sur la latéralisation du traitement de l’information olfactive. Puisque les résections sont unilatérales, il est aisé de comparer, chez un même patient, les fonctionnements respectifs des lobes lésé et intact, en testant indépendamment les deux narines. Bien que certaines études montrent uniquement un déficit ipsilatéral au lobe temporal réséqué (Eskenazi et al., 1986; Zatorre & Jones-Gotman, 1991; Jones-Gotman et al., 1997), de nombreuses autres concluent à la prédominance de l’hémisphère droit en olfaction (Abraham & Mathai, 1983; Eskenazi et al., 1983; Zatorre & Jones-Gotman, 1991; Carroll et al., 1993; Martinez et al., 1993; Kohler et al., 2001).

Il est important de noter que l’étude des processus cérébraux à partir de patients présentant des lésions cérébrales est discutable, puisqu’il s’agit de cerveaux dont le fonctionnement n’est pas normal, mais pathologique. L’oubli de cette limite expérimentale peut conduire à des interprétations abusives, voire à des conclusions erronées. En cela, l’imagerie cérébrale constitue une révolution, puisqu’elle permet d’observer pour la première fois les substrats neuronaux des fonctions cognitives ‘normales’.