3.2.4.3. L’intensité émotionnelle des odeurs

Les données obtenues par Zald & Pardo (1997) soulignent la forte implication de l’amygdale dans les processus émotionnels olfactifs quand les odeurs sont très déplaisantes. Plusieurs travaux cependant ne montrent pas d’activation de l’amygdale lors de la perception d’odeurs (Zatorre et al., 1992; Small et al., 1997; Zatorre et al., 2000) ou montrent une activation pour des odeurs qui ne sont pas particulièrement déplaisantes (Yousem et al., 1997; Sobel et al., 1998a; Sobel et al., 1998b; Bengtsson et al., 2001; Savic & Berglund, 2004). La participation de l’amygdale aux processus émotionnels olfactifs est par conséquent plus complexe que supposée a priori et non limitée au traitement des odeurs déplaisantes.

Deux dimensions sont étroitement corrélées : l’intensité psychophysique de l’odeur et l’intensité hédonique (Henion, 1971; Distel et al., 1999; Royet et al., 1999). Bien que subjective et donc variable entre les individus, la première dimension reflète partiellement la concentration de l’odeur. La seconde représente la force de la valence hédonique de l’odeur soit plaisante ou déplaisante. Ainsi, un stimulus neutre a une faible intensité hédonique, alors qu’un stimulus très plaisant ou très déplaisant a une forte intensité hédonique. Dans une étude d’IRMf récente (Annexe 2), nous examinons les réseaux neuronaux activés différemment par des odeurs plaisantes et déplaisantes pendant que les sujets évaluent leur intensité hédonique en utilisant la technique du finger-span (Royet et al., 2003). Les odorants sont sélectionnés et répartis en deux groupes de telle façon que leurs intensités psychophysiques moyennes soient identiques entre les deux conditions hédoniques. Quand nous soustrayons les images obtenues dans la condition plaisante de celles obtenues dans la condition déplaisante, nous observons une activation de la région piriforme-amygdalienne gauche s’étendant jusqu’à l’insula ventrale (Figure 14). Par contre, aucune activation n’est observée lors du contraste inverse. La conductance de la peau (réponse électrodermale) et le rythme cardiaque (mesuré par pléthysmographie) des sujets sont également enregistrés pour identifier les manifestations physiologiques de la réponse émotionnelle. Nous montrons que l’évaluation de l’intensité hédonique est plus forte quand les odeurs sont déplaisantes que plaisantes, et que les variations d’amplitude de la réponse électrodermale sont corrélées aux réponses comportementales (Figure 15). Nous en concluons que les stimuli déplaisants induisent de plus fortes réponses émotionnelles que les stimuli plaisants, indépendamment de l’intensité psychophysique des odeurs.

Figure 14. Activation de l’aire piriforme-amygdalienne gauche lors de la comparaison ‘évaluation de l’intensité hédonique d’odeurs déplaisantes – évaluation de l’intensité hédonique d’odeurs plaisantes’, représentée sur une coupe sagittale (haut) et horizontale (bas), en y = 0, du cerveau du MNI (d'après Royet et al., 2003).

D’autres données récentes indiquent que le signal BOLD dans l’amygdale (Anderson et al., 2003) et le cortex piriforme (Rolls et al., 2003) est fonction de l’intensité psychophysique, mais pas de la valence hédonique des odeurs. Cependant, dans le but de manipuler les deux dimensions, Anderson et al. (2003) sont obligés de sélectionner des odorants aux valences proches de la valeur neutre, ou en d’autres termes des odorants avec une gamme d’intensité émotionnelle réduite. A contrario, dans notre étude (Royet et al., 2003), les odeurs sont très largement réparties sur une échelle d’évaluation subjective de l’hédonicité (de très déplaisante à très plaisante). Les odeurs reconnues comme les plus désagréables provoquent par conséquent des réactions émotionnelles bien plus fortes que les odeurs jugées agréables. Ceci nous permet de conclure à la modulation du niveau d’activation de la région piriforme-amygdalienne en fonction de l’intensité émotionnelle de l’odeur et, par conséquent, de la force de la réponse émotionnelle du sujet. Ainsi, tandis que nous sommes d’accord avec Anderson et al. (2003) que l’amygdale ne répond pas à la valence hédonique en tant que telle, nous pensons par contre fortement que l’intensité émotionnelle, et non pas l’intensité psychophysique des odeurs, constitue le facteur décisif d’activation de l’amygdale. Ceci est cohérent avec l’idée développée par David Zald (2003) que l’activation de l’amygdale pour des stimuli surtout négatifs peut s’expliquer par le niveau d’éveil émotionnel (arousal) que ces stimuli induisent.

Figure 15. Corrélation entre l’amplitude des variations de la conductance de la peau (réponses électrodermales, ED) et les réponses comportementales d’évaluation de l’intensité hédonique des odeurs déplaisantes à l’aide du finger-span (Royet et al., 2003).