3.2.5. Etude des processus mnésiques olfactifs

3.2.5.1. Les particularités de la mémoire olfactive

La mémoire olfactive présente deux caractéristiques principales. La première est de résister très bien au temps. Ainsi, les odeurs génèrent plus de souvenirs autobiographiques anciens que les autres types de stimuli (Chu & Downes, 2002). Dans une tâche de mémoire de reconnaissance d’images, Shepard (1967) montre que les sujets se rappellent presque parfaitement de toutes les images vues quelques minutes auparavant (96.7 %), alors que 4 mois plus tard leurs performances ne dépassent pas une chance sur deux de donner une réponse correcte (Figure 17). A contrario, dans une tâche de mémoire de reconnaissance d’odeurs, les sujets présentent de moins bonnes performances à court terme (73 %), mais ces performances restent stables au cours du temps (Engen, 1973). Même au bout d’un an, l’oubli des odeurs est faible, comme si la mémoire olfactive ne souffrait pas des méfaits du temps. La seconde caractéristique de la mémoire olfactive est d’être très émotionnelle. Tous les travaux de Rachael Herz et ses collègues montrent que les souvenirs basés sur des odeurs sont plus émotionnels que les souvenirs associés à des stimuli visuels, tactiles, auditifs ou verbaux (Herz & Cupchik, 1995; Herz, 1996, 1998; Herz & Schooler, 2002; Herz, 2004).

Figure 17. Pourcentage de reconnaissances exactes d’images et d’odeurs en fonction du délai entre l’encodage et la reconnaissance (adapté de Engen, 1982).

Ces deux traits essentiels propres à la mémoire des odeurs sont illustrés magistralement par Marcel Proust (Proust, 1913) dans l’évocation d’un souvenir de sa petite enfance à Combray, qu’il se remémore en goûtant une madeleine trempée dans du thé.

‘« Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. » ’

Quel est l’état actuel de nos connaissances sur les processus cérébraux de la mémoire des odeurs ?