4. Les différents sous-systèmes de mémoire

4.1. Description des sous-systèmes de mémoire

Notre propos est d’apporter de nouvelles connaissances sur les bases anatomo-fonctionnelles de la mémoire olfactive humaine. Plusieurs sous-systèmes de la mémoire olfactive sont abordés, ce qui nécessite une présentation plus exhaustive de l’organisation de la mémoire humaine.

La mémoire est la capacité à encoder, stocker et retrouver des informations (Abdi & Tiberghien, 2002). Le modèle modal (Tulving, 1989) décompose la mémoire en plusieurs sous-systèmes définis par la nature des représentations mnésiques (sémantique, épisodique, procédurale, réflexes conditionnés, amorçage et conditionnement émotionnel). Cette représentation de la mémoire en différents sous-systèmes distincts n’est que schématique, les sous-systèmes agissant toujours en interaction.

La première des distinctions faites concerne les systèmes de mémoire à court terme et long terme (Figure 20). William James (1890) est le premier à imaginer l’existence de ces deux sous-systèmes caractérisés par des durées et des capacités de rétention différentes. La mémoire à court terme conserve les informations sur un temps assez court (de l’ordre de quelques secondes), alors que la mémoire à long terme les maintient en mémoire sur un temps illimité (de plusieurs secondes à toute une vie). La capacité de la mémoire à court terme, ou empan mnésique, est limitée à 7 ± 2 items (Miller, 1956), tandis que celle de la mémoire à long terme est beaucoup plus large, et correspond à l’ensemble de nos connaissances. Cette double dissociation est confirmée par la suite lors d’observations neuropsychologiques. Il est montré ainsi que des patients présentent une atteinte de la mémoire à long terme, mais une mémoire à court terme intacte, et inversement que des patients ont une atteinte de la mémoire à court terme mais une mémoire à long terme intacte. Les découvertes récentes sur la mémoire à court terme montrent qu’elle n’a pas uniquement un rôle de stockage. Elle intervient aussi dans le traitement cognitif des éléments qui sont temporairement stockés, ce qui amène à la notion de mémoire de travail. La mémoire de travail intervient par exemple lors de la discrimination entre deux items présentés successivement. Dans cette tâche, le premier item doit être conservé en mémoire de travail et y être manipulé de façon à pouvoir être comparé au second. Alan Baddeley et Graham Hitch (1974) proposent une architecture de la mémoire de travail organisée selon trois composantes : un processeur central attentionnel, servant de système de contrôle et deux systèmes esclaves, la boucle phonologique, traitant des informations phonologiques, et le calepin visuel, traitant des informations visuo-spatiales. Richard Atkinson et Richard Schiffrin (1968) ajoutent un autre sous-système de mémoire précédant la mémoire à court terme dans le traitement de l’information et stockant des représentations structurales de la forme visuelle ou auditive d’objets ou de mots. Il est question alors de registre sensoriel (ou mémoire sensorielle), et les spécialistes parlent de mémoires iconique (Sperling, 1960) et échoïque (Darwin et al., 1972).

Figure 20. Représentation schématique de la mémoire en ses différents sous-systèmes. Les cadres en damier représentent les deux processus étudiés dans cette thèse (adaptée de www.lecerveau.mcgill.ca/).

Il est à noter, à ce stade de notre description, qu’un tel modèle ne peut pas s’appliquer parfaitement à la modalité sensorielle olfactive. Ainsi, la mémoire de travail, avec sa boucle phonologique et son calepin visuel, ne permet pas d’expliquer comment une odeur est stockée et manipulée en mémoire de travail. De même, la mémoire sensorielle est décrite uniquement pour des items visuels ou auditifs, non pas pour des items olfactifs. Cependant, ces inadéquations ne concernent pas les sous-systèmes de mémoire à long terme.

Peter Graf et Daniel Schacter (1985) distinguent deux types de mémoire à long terme : la mémoire implicite et la mémoire explicite. La mémoire implicite , aussi appelée mémoire non-déclarative puisqu’on ne peut pas en verbaliser le contenu, n’implique pas l’accès conscient aux connaissances ; elle est automatique. Elle est constituée de plusieurs sous-systèmes fonctionnels : la mémoire procédurale permet l’acquisition des habiletés motrices ; le conditionnement émotionnel et les réflexes conditionnés sont des apprentissages associatifs reliant un stimulus à une réponse émotionnelle ou comportementale ; et l’effet d’amorçage est une augmentation de nos capacités suite à l’exposition préalable d’une information pertinente.

La mémoire explicite , aussi appelée mémoire déclarative, puisqu’on peut en verbaliser le contenu, est accessible à la conscience. Elle regroupe les mémoires épisodique et sémantique (Tulving, 1972). La mémoire épisodique est parfois appelée mémoire autobiographique, car elle se réfère aux événements que l’on a personnellement vécus. En cela, elle appelle un repère spatio-temporel précis. La mémoire sémantique comprend quant à elle nos connaissances sur le monde ; son contenu est abstrait, indépendant du contexte spatio-temporel d’acquisition de ces connaissances. Les connaissances sémantiques sont souvent considérées comme étant issues des connaissances épisodiques décontextualisées, et les connaissances épisodiques sont vues comme influencées par les connaissances sémantiques. Ces points de vues réciproques supposent une constante interaction entre ces deux sous-systèmes.

L’étude du sous-système de mémoire explicite de la mémoire à long terme peut être abordée par l’analyse des mécanismes de restitution des informations qui y sont stockées. Le rappel implique une restitution active de l’information, alors que la reconnaissance nécessite seulement de juger si un item a été préalablement rencontré. Deux types de reconnaissances sont possibles: le souvenir , né de la récupération de toutes les informations associées à un item, dont le contexte spatio-temporel dans lequel il a été encodé, et le sentiment de familiarité . Ce dernier consiste en la récupération d’une partie des informations associées à cet item, produisant une sensation de déjà-vu, mais sans la récupération ni de l’identité de l’item, ni du contexte spatio-temporel dans lequel il est encodé.

Dans notre travail de thèse, nous étudions la mémoire olfactive à court terme par le biais d’une tâche de discrimination d’odeurs présentées successivement par paire, et la mémoire olfactive à long terme par celui d’une tâche de jugement de familiarité.