1. 2. Berlin, centre d'une réforme de la scénographie (1796-1828)

Au début du XIXe siècle, la ville de Berlin devient l'un des centres importants de l'art dramatique dans les territoires de langue allemande. Selon Heinz Kindermann, Vienne, Weimar et Berlin sont les trois pôles influents du théâtre à cette époque. Plusieurs facteurs ont favorisé cette évolution. Une rivalité avec Vienne suscite l'ambition de s'élever au rang d'une grande ville de théâtre. Il faut donc replacer les réformes entreprises par les deux directeurs dans ce contexte. L'émergence de la Prusse sur la scène politique allemande est un facteur non moins important. Dans le cas du comte Brühl particulièrement, on peut évoquer un arrière plan politique des réformes qu'il entreprit. La demande du chancelier Hardenberg adressée à Brühl et souvent citée dans la critique : "Faites le meilleur théâtre d'Allemagne et dites-en moi ensuite le prix" 56 est un témoignage de cette aspiration de Berlin à un rayonnement culturel et, au-delà, de l'utilisation du théâtre au service de la gloire d'un État. Le travail des deux directeurs successifs a contribué à faire du théâtre de Berlin un modèle pour les autres scènes. Nous voulons rappeler brièvement l'histoire du théâtre de Berlin pour introduire la présentation des deux directions.

Cette histoire est d'abord marquée par le passage de troupes ambulantes qui ne disposent pas de véritable théâtre pour se produire. Parallèlement, il faut mentionner l'activité de l'opéra italien au service de la cour, et la présence d'une troupe française au service du prince Henri de Prusse. C'est l'acteur Schuch le Jeune qui fait construire le premier théâtre en 1765. A partir de 1771, l'acteur Heinrich Gottfried Koch et sa troupe assurent la présence permanente d'un théâtre allemand à Berlin. Ils sont remplacés en 1775 par la troupe de l'acteur Carl Doebbelin jusqu'en 1787, date à laquelle on mettra le vieux directeur à la retraite. Vient ensuite la direction du professeur Johann Jakob Engel et de Karl Ramler. C'est une période intéressante du théâtre de Berlin durant laquelle se produisent de grands acteurs, dont Friedrich Ferdinand Fleck (très admiré des Romantiques) ; cette période a pour jeune témoin Ludwig Tieck qui l'idéalisera dans son souvenir. En 1792, Engel se retire de la direction. K. Ramler, F. F. Fleck et le conseiller Warsing assurent la gestion du théâtre avec beaucoup de difficultés. Le roi Frédéric-Guillaume II fait alors venir l'acteur et auteur Iffland, dont la renommée est grande, à Berlin. Le contrat est signé en 1796. L'intendance d'Iffland est marquée par les créations des pièces de Schiller, mais aussi par le contexte difficile des "guerres de libération" contre Napoléon. Malade, contesté, Iffland décède en 1814. Commence en 1815 l'intendance du comte Brühl, marquée par son désir de réforme, par le travail de K. F. Schinkel comme décorateur, et certaines créations importantes comme celle du Freischütz (1821). On notera notamment la représentation de la Flûte enchantée en 1816, au cœur du débat sur la scénographie. Lassé, épuisé à son tour, Brühl démissionne en 1828 et le roi lui trouve un successeur en la personne du comte Redern, musicien, homme sérieux et plutôt discret. C'est donc une ère qui se termine.

Il faut signaler encore en 1824 l'ouverture d'un autre théâtre, dont le répertoire est plutôt la comédie et l'opérette, sous la direction de F. Cerf, le Königstädtisches Theater. 57 Par ailleurs, Berlin ne fut pas le seul lieu de réformes de la scénographie. Ainsi, une évolution vers des costumes et décors historiques plus authentiques se produit conjointement à Vienne, notamment sous l'impulsion du directeur du Burgtheater J. Schreyvogel. Une série de gravures de costumes expose des habits très divers, certains plus authentiques qu'à Berlin et d'autres beaucoup moins. Nous n'avons pas intégré les pratiques scéniques des théâtres viennois à notre étude, et ce point pourrait faire l'objet d'une étude comparatiste intéressante.

Tel est, brièvement esquissé, le cadre de notre étude. Nous nous proposons maintenant de présenter en détail les réformes d'A. W. Iffland et du comte Karl von Brühl, ainsi que leur conception de la scénographie.

Notes
56.

"Machen Sie das beste Theater in Deutschland, und danach sagen Sie mir, was es kostet." Cité par E. Devrient, qui dit l'avoir entendu du comte lui-même. Devrient, Geschichte der deutschen Schauspielkunst, Band II., hrsg. von R. Kabel und C. Trilse, Berlin (Ost), 1967. p. 96.

57.

Nous n'avons pas intégré l'activité de ce nouveau théâtre à notre recherche, notamment en raison de la date tardive à laquelle il fut créé. Les réalisations de l'un de ses décorateurs, Karl Blechen, peintre de formation, mériteraient également une étude.