1. 2. 1. 2. Le travail d'Iffland sur la scénographie. Théorie et réformes.

L'œuvre d'August Wilhelm Iffland nous intéresse sous deux aspects : l'aspect pratique de son travail, c'est à dire ses réalisations en matière de costumes et de décors, et sa réflexion théorique, qu'il a exprimée dans plusieurs textes de nature diverse. Il faut garder à l'esprit que ses réalisations et sa conception de la scénographie contribuèrent à alimenter le débat. Certains des textes d'Iffland témoignent également, nous le verrons, de sa propre participation au débat, soit pour prendre position sur un sujet, soit pour défendre son travail.

Dans le domaine de la scénographie, Iffland s'est surtout attaché à la question de l'habillement de l'acteur, et il est juste de dire qu'il a élaboré une théorie du costume. Le vêtement de théâtre devait susciter tout naturellement son attention en tant qu'acteur, parce qu'il lui permettait de compléter son travail sur le jeu. Il s'y intéressa aussi comme régisseur, c'est-à-dire qu'il travailla sur l'ensemble des costumes dans un spectacle. Ce travail sur le costume prend donc une grande place dans notre étude. Cependant, en tant que régisseur qui ordonnait l'ensemble du spectacle et en tant que directeur qui veillait au succès de son établissement, Iffland fut également sensible à l'aspect et à la qualité des décors, et nous évoquerons rapidement ses prises de position à ce sujet. Le chapitre consacré au décorateur des théâtres berlinois Bartolomeo Verona permettra de compléter la présentation des pratiques théâtrales pendant la direction d'Iffland.

Les témoignages des contemporains et les écrits d'Iffland lui-même nous laissent entrevoir encore aujourd'hui que le nouveau directeur, en arrivant à Berlin, s'est parfois trouvé devant des pratiques d'habillement tout à fait individuelles et chaotiques, qui manquaient de cohésion et ne correspondaient pas à sa propre conception du costume. Iffland a voulu mettre de l'ordre dans ces pratiques et donner une ligne générale qui soit valable tant pour les premiers rôles que pour les figurants, ce que nous voyons en consultant les différents règlements qu'il a fait paraître. Son entreprise n'était pas une entreprise facile. Il fallait tenir compte de paramètres divers, la personnalité des comédiens, les possibilités financières, les attentes du public (sans compter les événements historiques). Il lui fallut parfois recourir à des mesures énergiques, des pénalités financières imposées aux comédiens qui ne respectaient pas les règles, par exemple. Les vêtements féminins furent traités avec une certaine souplesse ou ne furent pas concernés par les réformes  les comédiennes exigeant d'être libres dans le choix du costume. Pour des raisons économiques, les costumes des figurants des pièces historiques n'ont pas toujours pu être nouvellement créés, et Iffland a eu recours aux fonds déjà disponibles  une situation valable également pour la décoration. Ainsi, même si la critique de Karl von Brühl, son successeur à la tête des Théâtres berlinois, a parfois été justifiée sur un plan esthétique (le manque d'unité dans l'aspect extérieur des représentations, les erreurs au niveau de la vérité historique), elle reste sévère en regard des conditions difficiles qu'Iffland dut affronter.

Malgré tous les documents dont nous disposons aujourd'hui, il est difficile de dire quelle a été l'adéquation entre la théorie et la réalisation des projets d'Iffland. Iffland concède lui-même dans sa préface au premier Almanach qu'il "indique le chemin par lequel il s'efforce d'arriver au but, mais qu'il est loin de penser qu'il a atteint ce qu'il souhaite atteindre." 73 Toutefois, les textes de l'homme de théâtre gardent tout leur intérêt comme expression d'une certaine conception de la scénographie et comme prise de position dans le débat.

Les sources et leur place dans le débat sur les pratiques scéniques.

Deux types de documents nous renseignent sur le travail d'Iffland : des documents iconographiques et des documents littéraires.

Nous disposons d'abord d'une documentation iconographique importante. Iffland, mais aussi d'autres membres de sa troupe, ont été représentés sur des supports divers. Nous voulons citer ici les documents qui nous ont été plus particulièrement utiles. Premièrement, la série de dessins des frères Henschel représentant Iffland dans ses meilleurs rôles. 74 Une sélection de ces dessins, éditée par Heinrich Härle, est reproduite en fac-similé, donc plus accessible. 75 L'objectif des frères Henschel était de fixer le jeu d'Iffland sur le papier, et ce faisant, ils ont également représenté les costumes de l'acteur. Malheureusement, quelques dessins seulement représentent d'autres acteurs de la troupe, parfois très rapidement esquissés. Un autre document essentiel est la série de cahiers de gravures éditées à l'initiative du Théâtre Royal Costumes du Théâtre National et Royal de Berlin sous la direction d'A. W. Iffland. 76 Ces cahiers, qui contenaient chacun environ huit gravures, ont paru entre 1802 et 1812, soit au total 200 gravures environ mentionnant le nom du personnage et le titre de l'œuvre ; ils furent regroupés en deux tomes. Encore une fois, Iffland y tient la première place ; les gravures représentant d'autres acteurs n'indiquent pas leurs noms, mais on peut reconnaître quelques visages connus. L'Almanach pour le théâtre édité par Iffland entre 1807 et 1812 contient également quelques gravures d'acteurs dans leurs rôles, dont l'intérêt particulier est d'être accompagnées d'un commentaire.

Il faut bien mesurer l'importance des recueils de gravures de costumes à l'époque où ils ont été publiés. Ayant pour objectif d'être largement diffusées, les gravures furent une véritable publicité pour ce qui se passait à Berlin, en même temps qu'elles proposaient des modèles pour d'autres scènes. Mis à part les cas où l'acteur ou l'actrice ont créé librement leur costume, elles furent l'illustration de la conception du costume défendue par Iffland. Nous pensons que ces gravures peuvent être rattachées, au même titre que les textes à un "débat", à un échange sur la scénographie. Winfried Klara nous signale qu'à la toute fin du XVIIIe siècle apparaissent les séries systématiques de gravures de costumes. 77 Le Théâtre de Mannheim fut l'initiateur de ce type de publication (plus élaboré que des gravures isolées déjà existantes), avec une série gravée par Franz H. Wolf en 1795. A cette date, Iffland était encore régisseur à Mannheim, et les costumes portent déjà son empreinte. La série de gravures berlinoises était la suite, en plus beau, à plus grande échelle, de la série de Mannheim. Elle incita d'autres théâtres à faire connaître leurs propres efforts en matière de costumes et d'en publier une reproduction. La série berlinoise fut imitée à Vienne par les gravures de costumes des théâtres viennois à partir de 1807, puis encore à Munich en 1814 (une série qui fut rapidement interrompue, puis fut reprise en 1818). La parution des gravures s'arrêta à Vienne comme à Berlin au cours de l'année 1812, sans doute en raison des événements historiques. En 1819, Karl von Brühl reprit le flambeau et fit publier à Berlin des gravures sur le même modèle. Il ne nous a pas été possible de reproduire ici ces gravures en grand nombre, mais quelques exemples insérés dans le courant de notre analyse permettront au lecteur de mieux se rendre compte du travail d'Iffland et de K. von Brühl.

Nous disposons également de plusieurs documents littéraires dans lesquels Iffland s'est exprimé sur les questions de scénographie. Le premier est un règlement Règles et décrets pour le Théâtre National et Royal de Berlin 78 édicté à Berlin en 1802, par lequel Iffland désirait mettre de l'ordre dans les affaires du théâtre. Plusieurs paragraphes sont consacrés à l'habillement des acteurs. Iffland y rappelle des conditions de travail très concrètes ainsi que des principes esthétiques, et en profite pour réprimander certains manquements. Une autre source très importante qui exprime le point de vue d'Iffland est la série d'almanachs édités entre 1807 et 1812 79  : Almanach pour le(s) théâtre(s) et les amis du théâtre. 80 Dans les éditions de 1807 et 1808, les commentaires accompagnant des gravures de comédiens dans leurs rôles ont retenu notre attention. Ils contiennent parfois quelques indications sur le costume dans le cadre d'une analyse du personnage et du jeu de l'acteur. Des articles de taille plus importante abordent encore la question des décors et des costumes. Ainsi, toujours dans l'édition de 1807, un article intitulé "Fragments sur quelques exigences essentielles pour les artistes dramatiques sur la scène" contient un volet "Au sujet de la bienséance" immédiatement suivi de "Au sujet du costume". 81 Le terme de "costume" est employé par Iffland dans un sens plus large qui signifie à la fois habitude vestimentaire et habitude de comportement ; et l'idée du respect de la vérité historique est inhérente à ce terme de "costume". Toutefois il est bien question d'habits de scène dans ce dernier petit essai qui nous signale qu'Iffland a voulu donner son opinion sur certains points qui faisaient débat. Un autre article "Au sujet de la formation des artistes à la représentation du genre humain sur la scène" 82 (1808-1812) lui permet de critiquer certaines modes en matière de costume ; l'article "Situation actuelle des directions des théâtres comparée à la situation dans laquelle elles se trouvaient auparavant" 83 (dont le titre laisse déjà deviner la dimension polémique) accorde une large part à l'évolution de la décoration et de l'habillement des acteurs et aux contraintes qu'elle crée pour les directions.

Il faut souligner le fait qu'Iffland et son cercle d'amis ont consacré un peu de place aux questions de scénographie, car l'Almanach n'avait pas uniquement un objectif ludique. Il devint une sorte d'organe officiel de la scène de Berlin, permettant de propager les idées de la direction, et connut forcément une grande répercussion, car ce genre de publication était ensuite lu sur tout le territoire de langue allemande et Iffland était une personnalité renommée. L'une des éditions de l'Almanach, celle de 1809, a même fait l'objet d'une traduction en français, témoin d'un début de rayonnement du travail d'Iffland en France. Alors que les premiers almanachs expriment surtout la réflexion théorique d'Iffland et que le ton reste très didactique, Iffland adopte un ton beaucoup plus polémique dans celui de 1811 qui semble contenir des réponses à différentes attaques qu'il a subies. Nous pensons même qu'Iffland a répliqué plus particulièrement à Heinrich von Kleist et à ses collaborateurs des Berliner Abendblätter,dont la publication venait de commencer en octobre 1810 et qui furent le support d'une polémique plus ou moins explicite contre le directeur et l'acteur Iffland.

Il existe par ailleurs de nombreux témoignages sur Iffland et sa troupe dans des lettres et journaux de l'époque, plus spécialement dans des critiques théâtrales, qui ont été en partie déjà exploités par la critique littéraire. Il n'était pas possible de nous engager dans une recherche systématique de ce type de documents en raison des délimitations de notre propre étude. Il faut signaler toutefois deux des témoignages les plus connus sur Iffland comme acteur qui prennent en compte les costumes qu'il revêtait : Entwicklung des Ifflandischen Spiels in 14 Darstellungen auf dem weimarischen Hoftheater im Aprilmonat 1796, rédigé par le conseiller Karl August Böttiger, après qu'il eut observé Iffland dans les rôles qu'il donna à Weimar, et Briefe über Ifflands Spiel in Leipzig zu Ende des Junius 1804, dont l'auteur est Gottfried Wilhelm Becker. 84

Evidemment tous ces témoignages posent le problème de leur objectivité. Même les témoignages d'Iffland restent insuffisants sur certains points et il ne nous est plus possible de vérifier ses intentions exactes, ce qui pose parfois problème du fait des critiques qu'il a reçues. Nous pouvons toutefois donner une définition d'ensemble du costume qu'il a élaboré : un costume extrêmement réaliste et révélateur de la psychologie du personnage, aboutissement d'une évolution qui avait commencé depuis plusieurs décennies.

Malgré ces limites générées par la nature éphémère du théâtre, il nous est possible de préciser encore le sens de ce réalisme pratiqué par Iffland. En faisant appel aux textes de l'acteur et à la critique, nous présentons dans les pages qui suivent, à l'aide d'exemples précis, les caractéristiques principales du travail d'Iffland sur la scénographie.

Le travail d'August Wilhelm Iffland sur les costumes. Présentation générale.

Le principe majeur de la conception du costume de théâtre élaborée par Iffland est la caractérisation détaillée du personnage, et cette caractérisation est la conséquence logique de la forme de jeu particulière développée par Iffland tout au long de sa carrière. De même qu'Iffland construit son jeu avec une multitude d'éléments issus d'une étude empirique du comportement humain, de même, son costume est une reconstruction constituée de détails expressifs choisis avec soin. Selon H. Kindermann, Iffland introduisit cette forme de costume déjà à Mannheim. 85 Ce principe théorique le conduit à travailler sur tous les éléments du costume : coiffure, maquillage, accessoires, chaussures, texture, coupe et couleur des tissus. Une telle conception du costume signifie qu'il est en parfaite harmonie avec le rôle du comédien qu'il habille. Les sources nous confirment d'abord l'attention toute particulière qu'Iffland portait au costume moderne. C'est ici que sa théorie du costume de scène caractéristique trouvait sa meilleure application. Elle est liée à un type de répertoire particulier, celui du drame bourgeois et du théâtre populaire berlinois. Qu'en était-il ensuite des costumes historiques ? Nous montrerons un peu plus bas que le principe reste valable dans le cas des costumes historiques sous une forme atténuée.

Le travail d'A. W. Iffland a trouvé des échos très divers jusque dans la critique littéraire. Plusieurs historiens du théâtre allemand (notamment H. Kindermann, mais aussi R. Freydank et W. Klara) s'accordent à dire que le travail d'Iffland est fondé sur une esthétique du spectaculaire (Effektinszenierung), qui privilégie les effets de théâtre. C'est précisément ce choix esthétique qui a été reproché à Iffland par les Romantiques, un reproche qui transparaît parfois dans la littérature critique jusqu'à aujourd'hui. Si la réflexion théorique d'Iffland est plutôt critique sur les effets de théâtre, ses réalisations pratiques ont bien un aspect spectaculaire. Josef Gregor néanmoins, dans le tome consacré au costume de théâtre de son ouvrage Wiener szenische Kunst souligne avec raison les remarquables qualités de caractérisation et la théâtralité des costumes d'Iffland. 86 H. Schaffner, qui consacre de nombreuses pages à Iffland dans son étude sur les costumes du comte Brühl, juge qu'Iffland n'a pas réussi à créer des costumes historiques et en donne les raisons. Pour notre part, nous avons été frappée par la récurrence d'un terme dans les propos d'Iffland, celui de Anstand, que l'on peut traduire par "la bienséance", "le respect des convenances", qui évoque les notions de mesure et de dignité. Ce respect de la bienséance exigé par Iffland doit guider le choix du vêtement de scène (il implique des choix esthétiques), mais il oriente aussi notre réflexion vers un autre aspect : celui du statut du comédien et celui du statut du théâtre en général dans la société. La diversité des éléments qui caractérisent le travail d'Iffland nous permettra de le remettre en valeur.

Travail sur les costumes modernes.

L'exemple le plus explicite d'un costume créé par Iffland selon ses principes théoriques est sans doute celui de l'Avare (dans une version remaniée de l'Avare de Molière). Iffland a choisi de placer l'action à l'époque même de sa représentation, soit dans le Berlin du début du XIXe siècle. Cette transposition doit permettre une meilleure identification du public avec l'action présentée sur scène, et le costume y contribue fortement. Les acteurs de la pièce sont vêtus à la mode du temps, si l'on se fie aux dessins des frères Henschel (avec Iffland dans le rôle titre). L'Almanach de 1807 nous livre également une gravure et un commentaire d'Iffland dans le rôle. On voit dans l'exemple ci-dessous que la réflexion sur le costume est extrêmement élaborée. Evidemment, on peut se demander si Iffland (sans parler du reste de la troupe) faisait un tel travail analytique pour chacun de ses costumes. D'autres commentaires analogues (le personnage du bourgmestre Staar joué par C. Unzelmann dans Die deutschen Kleinstädter de Kotzebue) nous signalent qu'une partie des acteurs de la troupe le suivait dans sa démarche, suivait ses instructions. Voici donc quelques extraits du commentaire du rôle de l'Avare, devenu un personnage bourgeois, le conseiller Fegesack :

‘Du fait de la mesure qu'ils [les avares] gardent dans leurs mouvements doux et parcimonieux, on ne peut pas tellement dire que leurs habits soient déchirés. […] Leurs habits sont démodés, non pas parce qu'ils l'ont volontairement choisi, mais parce que leurs vêtements tiennent si longtemps que de nombreuses autres modes se sont succédées entre temps. 87

Le choix d'un vêtement démodé peut nous sembler évident, toutefois, il faut bien préciser qu'il n'était pas question pour Iffland de choisir un costume trop ancien, une exagération qui aurait fait basculer le rôle dans la caricature. Cet extrait donne aussi un exemple du lien entre costume et habitudes du personnage. Dans ce costume, que l'on qualifiera rapidement de réaliste, on retrouve le reflet d'études se voulant d'ordre scientifique 88 sur le comportement humain menées à la fin du XVIIIe siècle, des études qui présentent le corps comme manifestation extérieure des mouvements intérieurs que sont le caractère et les sentiments. 89 L'un des fruits de ces études, qui furent appliquées au théâtre, est le livre de J. J. Engel, Idées sur le geste et l'action théâtrale. 90 Or, Engel n'aborde pas la question des costumes dans son ouvrage. Iffland, lui, applique ces théories au costume de scène. La mesure dans les mouvements des avares est la conséquence physiologique d'une générosité très limitée et en devient le signe extérieur… et ce trait de caractère se manifeste aussi dans le vêtement. La citation qui suit donne un exemple de l'attention portée à des détails de couleur, de coupe, de texture :

‘Des couleurs résistantes, l'effort de limiter la dépense de tissu, l'épaisseur et la solidité inaltérable des tissus  sautent immédiatement aux yeux. Ce qu'il reste de l'ancien habit, et que l'on peut encore utiliser, est employé pour faire le nouveau. Il peut en résulter un contraste, assez fortement marqué  mais l'on doit voir tout de suite quelle économie domestique y a conduit. 91

Ce qui nous frappe encore dans cet extrait, c'est la double mention du regard du spectateur : les traits du costume "sautent immédiatement aux yeux", et l'on "voit tout de suite" les raisons d'un tel habillement. Le costume est conçu comme un livre dans lequel le spectateur lit l'intérieur du personnage. La théorie d'Iffland tient compte de la réception par le public. De même que le style de jeu (gestuelle) élaboré à la fin du XVIIIe siècle se prête très bien à une analyse sémiologique 92 , parce qu'il a été lui-même conçu comme un langage de signes, de même les costumes choisis par Iffland se prêtent bien à une étude de type sémiologique du costume de théâtre. En définissant le vêtement de scène choisi par Iffland comme "un costume 'parlant', qui participait à l'action", 93 Heinz Kindermann exprime avec des termes encore plus explicites le fait que le costume devient un message à déchiffrer. Iffland savait également l'importance des accessoires du costume et les capacités informatives dont ils étaient investis : par exemple l'éventail et son maniement délicat, qui accompagne les gestes de politesse, mais qui peut aussi indiquer d'une façon strictement codifiée les sentiments de sa propriétaire. Iffland encourage acteurs et actrices à reproduire ces accessoires sur la scène, à reproduire de façon exacte les codes qui existent dans le réel. Le résultat final est un costume hyperréaliste, qui s'efforce d'être une copie objective de la réalité. Le costume participe dans l'esprit d'Iffland à la fonction pédagogique du théâtre dans son noble but de faire connaître l'âme humaine (dans un sens psychologique, et non religieux) au spectateur. En ce sens Iffland se situe dans la ligne des réformateurs de l'Aufklärung.

Une telle conception du costume de scène nécessite de créer un costume entièrement nouveau pour chaque personnage. Elle est la réalisation poussée à l'extrême du mouvement d'individualisation des personnages qui apparaît à la fin du XVIIIe siècle. Les "types" disparaissent d'un répertoire qui accorde de plus en plus d'importance à la psychologie du personnage (et aux distinctions sociales, comme nous le verrons), et la pratique du costume évolue dans le même sens. Evidemment cette évolution se fait progressivement, et il ne faut pas être étonné de trouver même chez Iffland (plutôt dans les rôles tragiques) encore des signes plus stylisés, plus conventionnels.

Cette caractérisation détaillée est toutefois soumise à des limites. On aura remarqué que le conseiller Fegesack n'est pas vêtu d'une manière sale ou négligée. "Le grippe-sou malpropre n'a pas à paraître sur scène", 94 précise Iffland. Dans ce sens aussi, le naturalisme n'est pas le but de l'esthétique défendue par l'acteur. Il demande aussi de ne pas verser dans la caricature, notamment quand il s'agit de personnages ridicules ou méchants. Il faut citer ici le Franz Moor des Brigands de Schiller qui constitue un bon exemple. Iffland décrit le maquillage du personnage dans le commentaire d'une gravure qui le représente dans le rôle. La pièce elle-même indique que Franz est laid, extérieurement et intérieurement, ce qui l'oppose à son frère aîné Karl Moor, devenu brigand par désespoir, mais ayant gardé sa pureté de cœur. Précisons qu'Iffland donne une nouvelle interprétation du personnage (plus "objective" en ce sens qu'elle est moins manichéenne) ; il donne une interprétation psychologique de son attitude négative ; Franz n'est plus le "type" du méchant, incarnation du mal, mais plutôt l'homme torturé intérieurement et souffrant, manquant d'affection, rejeté par tous en raison de sa laideur. 95

‘[Le visage de Franz est] tout à fait pâle ou de cette indescriptible couleur de bile, qui, à cause du bouillonnement intérieur d'une fureur contenue, menace de s'épancher dans le sang et de faire exploser la machine.’ ‘Au-dessus de la sueur mortelle qui baigne un front bouillant pendent des cheveux rares, ternes et plats, d'une couleur indéfinissable. ’ ‘En ne mettant pas de rouge, et faisant apparaître une ombre bleu pâle sous les yeux, en choisissant des couleurs bizarres pour le premier costume  la première apparition de Franz sera sûrement suffisamment repoussante, sans faire naître le dégoût par une silhouette difforme ou une infirmité. 96

Le début de la citation est encore une fois un bon exemple des nouvelles conceptions du jeu scénique apparues à la fin du XVIIIe siècle. Les émotions, les profondeurs de l'âme se manifestent par des affectations physiques. Ici, le bouleversement intérieur du corps, dû aux sentiments haineux de Franz, se lit dans ses manifestations extérieures. L'acteur lui, devra reproduire  ici par le maquillage  ces signes extérieurs, afin de permettre au spectateur de juger de l'état intérieur du personnage. Une telle interprétation (qui se voulait objective à l'époque, même si nous la considérons comme une interprétation parmi d'autres aujourd'hui) minimise jusque dans le costume les traces de la peinture violente et contrastée du Sturm und Drang. La fin de la citation donne la preuve d'une forme de retenue demandée par Iffland. Toutes les instructions d'Iffland contiennent l'idée de mesure, du respect de la bienséance tant dans le jeu que dans le costume  un point sur lequel nous reviendrons plus bas, car il vaut autant pour les costumes modernes qu'historiques.

Des exemples frappants des capacités de transformation d'Iffland en personnages variés du drame bourgeois se trouvent parmi les gravures éditées à partir de 1802, ainsi que celles des frères Henschel (cf. les deux illustrations ci-dessous). Cette minutie, ces trouvailles ont dû impressionner le public, et en ce sens on peut effectivement parler d'une esthétique de l'effet. Il est possible qu'Iffland se soit laissé aller à choisir des effets faciles, sans atteindre la profondeur d'un personnage, un point de vue développé par Ludwig Tieck par exemple dans le Phantasus 97 , mais ce jugement est peut-être réducteur par rapport à l'apport intéressant que constitue la réflexion théorique d'Iffland sur le vêtement de l'acteur, qui devient partie intégrante de l'action dramatique.

Iffland dans le rôle du Docteur Flappert. "Hören Sie den Gesang".
Iffland dans le rôle du Docteur Flappert. "Hören Sie den Gesang".
Iffland dans le rôle de Ruttler. "Gott was mag das bedeuten ?".
Iffland dans le rôle de Ruttler. "Gott was mag das bedeuten ?".

Dessins des frères Henschel, reproduits en fac-similé in : Härle, Ifflands Schauspielkunst, 1925

Iffland et les costumes "historiques".

La présence grandissante de pièces à sujet historique dans le répertoire devait amener Iffland à se confronter également à cette question, alors que depuis une dizaine d'années déjà amateurs de théâtre et artistes réclamaient avec plus d'insistance dans des essais ou des critiques dramatiques un costume plus authentique. Quelle a été la pratique d'Iffland en matière de costumes historiques ? A-t-il développé une réflexion théorique à ce sujet ? Le répertoire concerné est différent de celui que nous évoquions plus haut pour le costume moderne. Il s'agit plutôt de drames historiques et de tragédies, toujours des œuvres d'Iffland et de Kotzebue, mais aussi de Shakespeare, Goethe, Schiller et même d'adaptations d'auteurs français (Corneille, Voltaire). Retrouve-t-on le principe de la caractérisation des personnages ? Une caractérisation psychologique est-elle même compatible avec les œuvres tragiques qui dans leur essence même reposent sur d'autres principes d'écriture dramatique ? L'analyse qui suit nous permettra de présenter le point de vue d'Iffland sur la question de la "vérité historique" dans la scénographie. Nous verrons justement que le travail sur les costumes historiques est plus complexe que le travail sur les costumes contemporains ; il semble qu'il soit moins systématique et qu'il ne soit pas toujours facile à évaluer en raison qu'un certain nombre de raisons que nous aborderons ci-dessous. En effet, le travail sur la vérité historique pose la question des connaissances du public et celle du degré de rigueur scientifique avec lequel on va choisir le costume. Notons que cette attention à l'exactitude scientifique est elle-même historique, qu'elle commence seulement à se développer à l'époque que nous étudions, à la suite d'une nouvelle perception du réel fondé sur l'expérience empirique. Quelles furent alors les solutions choisies par Iffland et sa troupe ? Nous dresserons un bilan de cet aspect du travail d'Iffland en faisant appel à son propre témoignage et à certains témoignages trouvés dans les textes d'autres auteurs du corpus de cette étude. Nous tâcherons d'expliquer ensuite les problèmes qu'Iffland et sa troupe ont pu rencontrer et qui expliquent que certains des costumes nous paraissent très peu historiques aujourd'hui.

Tout d'abord il faut noter que pour le répertoire tragique, Iffland choisit un autre style de jeu qui mêle en fait des détails caractéristiques et une gestuelle plus stylisée. Les gravures des frères Henschel montrent l'acteur dans des poses harmonieuses. L'acteur reproduit des codes issus du domaine pictural, s'inspire des canons classiques, et retourne peut-être même à des pratiques plus anciennes lorsque les règles de positionnement des bras et des pieds étaient proches de celles du ballet. Les gestes doivent toujours être vrais pour Iffland, mais cette fois-ci la beauté plastique ou le geste rhétorique reprend le pas sur les traits caractéristiques. Les gravures ci-après montrent néanmoins que la caractérisation du personnage n'est pas absente ; on le voit bien pour le cas de Lear, même s'il est ici rapidement esquissé. On constate aussi dans les gravures des frères Henschel, et W. Klara le confirme dans son étude, qu'Iffland drape souvent son manteau en plis élégants. Selon certaines critiques de l'époque, Iffland voulait que ces plis soient expressifs, surtout pour souligner la dignité ou la noblesse d'un personnage ; il exploitait aussi le manteau ou la toge pour s'y envelopper ou faire tomber brusquement le manteau, exprimant ainsi les sentiments d'un personnage. On retrouve l'idée d'un costume "parlant", mais avec d'autres moyens que ceux du réalisme.

Iffland dans le rôle du roi Lear. "Ihr […] Blitze sengt mein weißes Haupt". Iffland dans le rôle de Nathan le Sage. "Syta ? und nicht der Patriarch ?". Iffland dans le rôle de Sopir (dans Mahomet, de Voltaire). "O meine Götter, ihr betrogt mich nicht…".
Iffland dans le rôle du roi Lear. "Ihr […] Blitze sengt mein weißes Haupt". Iffland dans le rôle de Nathan le Sage. "Syta ? und nicht der Patriarch ?". Iffland dans le rôle de Sopir (dans Mahomet, de Voltaire). "O meine Götter, ihr betrogt mich nicht…".

Dessins des frères Henschel, reproduits en fac-similé in : Härle, Ifflands Schauspielkunst, 1925

Evidemment, on peut voir aussi ici l'utilisation du costume pour des "effets" de scène, destinés à susciter l'admiration du public. Dans tous les cas, le costume choisi par Iffland sert la dimension tragique des pièces concernées ; l'unité entre le costume et l'action est de nouveau recherchée. Ces différents éléments qui témoignent à la fois de similitudes et de différences avec les costumes modernes nous indiquent déjà que la pratique d'Iffland concernant les costumes historiques a été plus diversifiée, et il en allait de même pour les autres acteurs berlinois. Nous voyons ici que le costume est à la fois caractéristique et stylisé, si l'on reprend la distinction effectuée par W. Klara entre stylisation de l'apparence de l'acteur (Stilisierung) et caractérisation (Charakterisierung) du personnage. Dans la réflexion théorique du XVIIIe siècle, stylisation (idéalisation de traits essentiels, attention à l'harmonie de l'apparition, picturalité) et caractérisation (reproduction du détail alors que la beauté, l'harmonie passent au second plan), sont opposées. Une tendance à la stylisation dans le jeu théâtral se manifeste plus clairement à la fin du XVIIIe siècle : c'est le choix de Goethe et du classicisme de placer le style plus haut que la caractérisation. Les pièces populaires fondent quant à elles leur succès sur la caractérisation marquée des personnages, qui tend souvent à la caricature. Or l'étude des costumes historiques d'Iffland montre qu'il a cherché un compromis entre les deux principes, créant un style particulier.

Dans les Règles et décrets pour le Théâtre National (…) de 1802, nous trouvons une affirmation d'Iffland au sujet du "costume étranger" (Fremdes Kostüm). Il s'agit, comme on le voit dans la suite du règlement, de tous les vêtements non ordinaires : costume vieil allemand, costume turc, etc.

‘Les différentes directions du Théâtre National de Berlin n'ont jamais ménagé leurs forces pour atteindre la plus grande vérité possible dans les costumes étrangers. A cette fin, ils ont voulu se procurer les dessins d'un maître célèbre et les ont fait exécuter. Cependant, on les a tellement peu regardés ou l'on y a ajouté tant d'éléments personnels que ces vêtements de costume [sic!] sont devenus un extraordinaire mélange de caractère étranger et de nonchalance de notre temps. La juste critique par laquelle on lui a reproché ce fâcheux état a souvent placé la direction dans une situation bien délicate. 98

Effectivement, à plusieurs reprises, Iffland a fait appel à un artiste extérieur, J. W. Meil, pour dessiner les costumes "historiques" de ses mises en scènes  le même artiste qui avait proposé des costumes authentiques pour la première du Götz de Berlichingen. En effet, les peintres détiennent un savoir sur le "costume" au sens étymologique de "coutumes, mœurs" qu'ils acquièrent durant leur formation. Que l'objectif ait été respecté ou non, l'extrait constitue une déclaration officielle qui évoque en même temps les problèmes rencontrés. La difficulté de faire accepter les costumes historiques par les comédiens est bien réelle et elle explique déjà en partie le manque d'historicité des costumes. Mais la citation évoque peut-être aussi le fait que les membres de la troupe ont continué à choisir leur costume très librement, d'où un manque d'homogénéité dans certaines représentations théâtrales. Certains spectacles, montés avec un soin particulier, devaient présenter une harmonie  les drames de Schiller par exemple ‑, mais d'autres furent sans doute montés plus librement. Le successeur d'Iffland, le comte Brühl, s'est battu avec le même problème, mais a voulu se montrer plus ferme. Iffland semble indiquer que les directions précédentes, donc notamment celle de J. J. Engel et de K. Ramler, se sont efforcées de respecter la vérité historique ; or, nous pouvons signaler déjà ici que Ludwig Tieck défendra le point de vue opposé, louant la période de direction d'Engel (qu'il considérait comme exemplaire) pour le fait de ne pas avoir accordé trop d'importance à la vérité historique. Ces deux jugements opposés nous signalent où se trouve la difficulté pour évaluer la situation quant à l'historicité des costumes et des décors : le degré d'historicité des costumes n'est pas encore clairement délimité dans l'esprit des hommes du début du XIXe siècle ; ce que les uns considèrent comme effort vers la vérité historique est vu comme négligence par d'autres, etc. ; et ce que nous considérons aujourd'hui comme costume très peu authentique était peut-être à l'époque jugé comme un costume véritablement "historique". D'une façon générale, le degré d'historicité d'un costume sera jugé différemment selon le niveau de connaissances de celui qui le contemple, et il faut tenir compte de cette donnée.

Dans l'Almanach de 1811, plus précisément dans un article intitulé "Situation actuelle des directions des théâtres comparée à la situation dans laquelle elles se trouvaient auparavant", Iffland énonce la liste des costumes qui étaient nécessaires vers 1780-1790 et les accessoires correspondants, puis il dresse la liste considérablement augmentée des différents styles, époques représentés au moment où il rédige (1810). Cet énoncé est intéressant pour les informations précises qu'il apporte quant à l'évolution des pratiques scéniques. Nous verrons dans un chapitre ultérieur que cette constatation d'Iffland peut apparaître comme un regret et comme une réponse à certaines critiques qu'il a subies. Toutefois, la variété des époques et des lieux mentionnés nous signale bien qu'Iffland dut faire des efforts dans le sens de cette diversification.

Des documents écrits d'époque attestent encore les efforts d'Iffland à Berlin. Une de nos sources  les critiques de représentations berlinoises rédigées par A. W. Schlegel en 1802 et 1803 pour la Zeitung für die elegante Welt témoigne par exemple de l'utilisation de costumes antiques sur la scène en 1802, à l'occasion de la mise en scène de Regulus, tragédie de H. v. Collin, ou de Rodogune d'après P. Corneille. Dans les Cours sur l'art dramatique, Schlegel reconnaît que le "costume", c'est-à-dire le respect de la vérité historique "est vraiment enseigné et rigoureusement respecté dans certains des plus grands théâtres", 99 et il n'y a pas de raison que Berlin n'en fasse pas partie. Une autre indication nous est donnée par Ludwig Tieck dans son essai sur le costume : "A ma connaissance, Iffland a été le premier, et cela seulement à la fin de sa carrière, à rechercher une imitation plus exacte des costumes véritables." 100 Certes l'indication temporelle est un peu vague. Il est juste que les gravures plus tardives montrent des costumes plus authentiques, plus "historiques" que les premières dans lesquelles on sent encore l'influence de pratiques antérieures. Il semble qu'Iffland ait évolué vers une authenticité plus rigoureuse dans les dernières années de sa direction. Les "erreurs" autant que les efforts d'Iffland ont suscité des moqueries de la part de personnalités cultivées de l'époque. H. von Kleist ou l'un de ses collaborateurs, dans les Berliner Abendblätter dont il est l'éditeur, se moque de quelques détails très peu historiques (un aigle blanc sur le bouclier d'Agamemnon) et Tieck fustige à l'inverse telle ou telle trouvaille historique ridicule (des couvre-chefs incroyables) dans le même essai sur le costume cité ci-dessus.

Il est possible d'apporter une réponse à un autre point essentiel du travail d'Iffland, celui de la caractérisation des personnages qu'il a théorisée. Nous pensons qu'Iffland l'a appliquée aux costumes historiques  même sous une forme atténuée et moins systématique  et nous fondons cette affirmation sur un exemple de costume historique commenté par Iffland dans l'Almanach de 1809. C'est celui de la duchesse de Friedland, l'épouse de Wallenstein, dans le drame de F. Schiller.

‘Son habillement correspond au rang élevé qui est le sien, mais sans ressortir outre mesure. Certainement ses femmes, connaissant le penchant de son cœur, lui ont mis ce qui convient à cette journée sans aller contre son état d'esprit. D'une certaine manière, le vêtement simple et riche, constitué, selon les mœurs de l'époque, d'agrafes qui ferment les larges manches en plusieurs endroits, ou encore d'une riche pièce d'estomac rehaussée d'un brillant, obéit aux exigences de son fier époux (Wallenstein). Cette partie de l'habillement a pu être choisie sans son intervention. Il n'en est rien de sa parure, pour laquelle on peut supposer que son accord était nécessaire. ’ ‘Les convenances du rang, l'harmonie avec le reste de l'habillement peuvent se montrer dans la sobre splendeur de précieuses rangées de perles. Mises avec goût, elles ne font pas remarquer particulièrement la contradiction avec des yeux rougis par les larmes. 101

Nous voyons qu'Iffland accorde de l'attention à différentes parties du vêtement : la robe et la parure. Il s'intéresse à plusieurs aspects du personnage : son rang, et les émotions qu'il ressent à un moment donné de l'action. Le vêtement historique est décrit de façon plutôt sommaire ; on remarque qu'Iffland choisit les détails qu'il croit être les plus caractéristiques du vêtement (agrafes, pièce d'estomac 102 ). Le costume se veut historique sans être érudit. Iffland insiste plus encore sur le respect du statut, du rang du personnage. Mais dans le discours d'Iffland le choix du vêtement est effectué d'une manière hyperréaliste : la duchesse a accepté de mettre le vêtement préparé par ses femmes, en fonction des attentes de son époux. On notera le style de la description : le costume est déduit de la perspective du personnage comme si ce dernier était réel. L'ordonnateur des costumes entre dans la fiction, tout en gardant malgré tout une sorte d'objectivité par rapport au personnage. 103 La tristesse du personnage doit être lisible dans des signes vestimentaires réalistes (et non pas symboliques ici), comme le choix d'une simple parure de perles (au lieu d'un autre bijou plus travaillé et plus précieux). Ainsi, Iffland réussit à trouver un équilibre entre le rang, qui suppose la richesse, et l'émotion (la tristesse) qui doit s'exprimer par une certaine sobriété. Iffland définit la duchesse comme une personne qui souffre en silence ("stille Dulderin"), et l'apparition extérieure doit exprimer cela. On retrouve, de façon plus atténuée, avec un nombre de signes limité, mais toujours très réfléchis, la caractérisation du personnage qu'Iffland pratique pour le costume moderne. Il faut préciser encore que le personnage compte parmi les "rôles ingrats", auxquels Iffland consacre un article dans le même Almanach. La duchesse de Friedland n'a pas un rôle capital dans la pièce, ce n'est pas un personnage auquel on s'identifie facilement, et, de plus, c'est un personnage de mère, un rôle peu prisé des comédiennes. Les instructions d'Iffland signifient qu'il ne faut négliger pour autant ni le rôle, ni le costume. On voit que la caractérisation réaliste des personnages est demandée en théorie, dans un souci d'unité, pour l'ensemble des personnages, mêmes secondaires. L'acteur/actrice ne doit pas non plus se réfugier dans le luxe du costume pour rendre le rôle plus attractif, la réalité psychologique du personnage est première. Certes on peut remarquer qu'Iffland, en parlant de "contradiction", de "brillant" et de "perles", a peut-être rédigé cette note dans un esprit de compromis entre la coquetterie d'une comédienne et sa théorie du réalisme. Néanmoins, l'exemple ci-dessus nous montre que les signes qui indiquent le statut du personnage et sa psychologie sont plus importants pour lui que les signes du "temps" (l'Histoire) ; dans ce cas précis, Iffland fait le choix de signes réalistes.

Cependant, certaines gravures parues à partir de 1802 nous montrent des costumes dont l'aspect historique n'est qu'en partie ou à peine visible, surtout si on les compare aux gravures ultérieures éditées lors de l'administration du comte Brühl, pour ne pas parler des informations que nous donnent aujourd'hui les ouvrages scientifiques. Comment évaluer ces costumes ? Comment interpréter les mots du comte Brühl, directeur des Théâtres berlinois à partir de 1815, qui se plaint alors de "l'arbitraire", des "préjugés dépassés" qui régnaient auparavant ?

L'effort d'Iffland nous paraît incontestable, mais il faut en fait en préciser encore les conditions et les limites ; il faut préciser en particulier ce qu'Iffland entend par "la vérité" qu'il cite plus haut. Outre les raisons purement économiques (la diversification des époques demande sans cesse la création de nouveaux costumes, dont il faut ensuite vêtir l'ensemble des figurants) que nous évoquions déjà en début de chapitre, il est clair que le manque d'historicité des costumes est forcément dû à des erreurs ou à un manque de connaissances de la troupe, car même si le théâtre a acquis un fonds bien plus important de costumes historiques, les comédiens déterminent encore en partie leur costume des scène et ils n'ont pas tous une culture historique développée. D'ailleurs, les recherches de nature scientifique sur le costume commencent seulement à se développer à la même époque. Les "histoires du costume" sont encore peu nombreuses. W. Klara cite plusieurs ouvrages instructifs et exacts qui paraissent au tout début du XIXe siècle. 104 Sans doute que, dans plusieurs cas, "l'intention y était", mais la réalisation a donné lieu à des produits hybrides et un peu étranges. Un élément important : même si Iffland a engagé l'ensemble des acteurs à respecter la vérité historique, il concède que les femmes en sont plus ou moins dispensées. Le statut social des actrices, pour qui le paraître reste d'importance, ne leur permet pas de revêtir un costume qui n'aurait pas été seyant, qui aurait été trop décalé par rapport aux lois de la mode. Ni les admonestations des régisseurs, ni les remontrances des intellectuels et d'une partie du public n'ont changé la situation. Concernant la caractérisation détaillée des personnages historiques, les acteurs durent se trouver confrontés à des problèmes concrets. En effet, l'essai d'Iffland sur le "costume" dans l'Almanach de 1807 témoigne du fait qu'Iffland était conscient de l'historicité du maintien, de la démarche, de l'élocution d'un être humain. Comment réaliser un vêtement en respectant tous les signes possibles du caractère, de l'âge, des habitudes, du statut social d'un personnage, si cette réalisation demande une étude poussée que même les meilleures sources scientifiques ne peuvent encore livrer ? Et surtout, quel est le sens d'une telle caractérisation (tel détail significatif d'une coiffure au Moyen-Âge, la façon particulière de draper un vêtement ou de choisir un tissu), si le public n'a aucune connaissance de ces faits et serait de toute manière dans l'incapacité totale de les décrypter ? Nous formulons alors l'hypothèse suivante : premièrement, c'est qu'Iffland (au contraire de ce que fera le comte Brühl) a  dans certains cas  volontairement renoncé à approfondir ses connaissances sur le costume parce qu'il savait que le résultat ne serait pas lisible par le public (voire qu'il le choquerait pour des raisons esthétiques). Deuxièmement, nous pensons qu'Iffland a tenté de maintenir son principe de caractérisation, mais en travaillant avec des signes qui était connus du public. Cela expliquerait alors (en partie) pourquoi certains costumes conservent des aspects très "modernes". Le costume historique voulu par Iffland, doit, à l'instar du costume moderne, dire la vérité du personnage ; il la dira même avec des éléments réalistes, mais peut-être pas scientifiquement exacts. Ainsi, lorsque Charles VII, dans la Pucelle d'Orléans porte sur son pourpoint noir une décoration étoilée à cinq branches (voir l'illustration ci-dessous), il s'agit d'une pièce historiquement tout à fait inexacte, mais elle a été volontairement choisie comme signe du haut rang social du personnage, parce qu'elle parlait au public du début du XIXe siècle qui l'avait vue sur des portraits de grands personnages (Frédéric II, par ex.). La croix portée par Jeanne d'Arc dans le même spectacle constitue un autre exemple de signe non historique, 105 mais évocateur qui signifie et son mérite et son attachement au service du roi de France. Nous n'excluons pas que certains éléments aient été choisis par ignorance ou par vanité, mais nous pensons que d'autres furent délibérément choisis comme signes dans l'esprit des théories d'Iffland. 106 Ces différents éléments expliquent le manque d'authenticité de certains costumes, à la suite d'un choix délibéré au profit d'une "vérité" détachée des contraintes de l'Histoire.

Le roi de France en tenue ordinaire dans la tragédie La Pucelle d'Orléans. (Détail).
Le roi de France en tenue ordinaire dans la tragédie La Pucelle d'Orléans. (Détail).
Jeanne d'Arc dans la tragédie la Pucelle d'Orléans. (Détail)
Jeanne d'Arc dans la tragédie la Pucelle d'Orléans. (Détail)

Nous pouvons achever cette présentation du travail d'Iffland sur les costumes historiques en revenant encore une fois aux gravures éditées entre 1802 et 1812. Si l'on se penche plus longuement sur ces gravures, on peut y observer tout à la fois des traces de pratiques du costume plus anciennes fondées sur le système des types, et des formes tout à fait historiques. On retrouve des éléments de l'esthétique précédente : principalement le costume "espagnol" ou "vieil-allemand" avec son haut de chausses et ses crevés, qui, rappelons-le, signifiait déjà 'l'histoire", "le passé". La gravure représentant le roi Charles VII, dans un costume proche de ceux que l'on portait du temps d'Henri III, ne correspond évidemment pas à la période 1400, où le vêtement de base était la tunique. Il porte encore la trace du costume "espagnol", signe du rang élevé du personnage. Les pratiques antérieures étaient très ancrées, et ces éléments codifiés, non authentiques, disparaissent seulement progressivement. Encore une fois, il est possible qu'Iffland les ait tolérées, parce qu'elles permettaient une meilleure identification du personnage au vu des habitudes prises par le public. Mais ce que nous remarquons, si nous regardons l'ensemble des gravures, c'est que l'effort vers plus de vérité historique est indéniable, notamment si on compare ces costumes à ce qui se faisait auparavant sur les scènes allemandes : l'évolution vers des costumes plus exacts est alors flagrante. Aussi, nous pensons que le bilan tiré par le critique Hermann Schaffner au sujet des costumes historiques d'Iffland est trop catégorique :

‘Il ne s'agit aucunement d'un costume historique authentique ou d'un costume national, on partait bien plutôt de représentations tout à fait générales que l'on adaptait ensuite à la scène. Le costume espagnol continue de régner comme auparavant. 107

Certes il y a toujours adaptation (peut-être moins arbitraire à partir de cette époque) et il y a réappropriation, interprétation subjective. Certes il y a toujours stylisation des lignes trouvées dans les époques antérieures, et de nouvelles codifications pour signifier l'histoire ou la qualité d'un personnage apparaissent. La théâtralité des costumes relativise sans conteste, comme le soutient Schaffner, leur historicité, et ce fonctionnement est toujours valable aujourd'hui. Mais contrairement à ce qu'affirme H. Schaffner, le costume dit "espagnol" ou "vieil allemand" disparaît petit à petit, d'abord au profit de nouvelles lignes. Une veste ou une tunique sur une culotte droite remplacent les hauts de chausses, les crevés disparaissent. Les gravures nous présentent des costumes beaucoup plus variés et plus historiques dans les toutes dernières années d'Iffland (ce qui confirmerait l'affirmation de L. Tieck). Nous pensons ici aux costumes d'Iphigénie de Goethe une expérience d'authenticité facilitée par le sujet antique ; aux costumes de Nathan le Sage de Lessing ou mieux encore ceux du Mahomet d'après Voltaire, qui pour un regard européen présentent un Moyen-Orient convaincant ; aux costumes certes encore inexacts, mais à tendance historisante dans le drame de chevalerie La force consacrée (Die Weihe der Kraft) de Z. Werner (il s'agit de la vie de Luther) ou encore aux costumes des Templiers (Die Templer) plutôt réussis dans le style médiéval. Le degré d'historicité des costumes dépend évidemment de l'époque ou encore du sujet représenté. Les costumes américains ou chinois semblent être volontairement fantaisistes, et gardent des traces de décoration baroque. D'autres historiens, Winfried Klara et Heinz Kindermann, en s'appuyant sur les décrets pris par Iffland et l'intendant Dalberg lors de leur collaboration au Théâtre National de Mannheim vers 1790, affirment que la recherche d'une vérité historique accrue (das Historisierende) est déjà visible dans les costumes créés à l'époque de Mannheim, même s'il ne s'agissait là que des premiers stades du costume historique. 108 Iffland trouva à Berlin des pratiques moins homogènes et rigoureuses dans lesquelles il dut mettre de l'ordre ; mais il est logique qu'il ait ensuite poursuivi sur la voie de la vérité historique. Une autre confirmation nous est donnée par l'attention d'Iffland à un point particulier : le respect de la bienséance. Or pour Iffland, le costume au sens large (tradition culturelle) et au sens restreint (vêtement) est concerné par les règles de la bienséance.

Le respect de la bienséance appliqué au costume.

Nous en venons ici à un autre point important du travail d'Iffland. Le respect des convenances, de la bienséance (der Anstand), c'est ce qu'Iffland ne se lasse pas de réclamer pour le jeu de l'acteur et qu'il exige aussi pour le vêtement de scène. Dans l'Almanach de 1807, Iffland consacre un chapitre "Au sujet de la bienséance" ("Ueber den Anstand") pour lequel il s'est inspiré de l'ouvrage d'un maître à danser nommé Mereau sur le "maintien" (qu'Iffland traduit par Anstand) ; en effet les maîtres à danser sont ceux qui enseignent non seulement le bon maintien, mais aussi les codes du comportement en société. Les pages rédigées par Iffland contiennent la définition suivante :

‘[…] la bienséance est le comportement qui revient et correspond à la personne qui doit être représentée, dans la situation précise dans laquelle cette personne est représentée. 109

Le respect de cette exigence amène d'abord l'acteur à reproduire exactement le statut social, la condition du personnage (der Stand), son métier, sa place au sein de la société, par le ton, les gestes, les mimiques, mais finalement l'ensemble du personnage, avec son caractère ou ses sentiments, est concerné. L'exigence de "bienséance" apparaît de plus comme un appel à la mesure, à la maîtrise de soi, à la maîtrise des moyens scéniques en général. Il exige de l'acteur qu'il soit capable de faire oublier sa personnalité propre. Il permet de bannir une présentation trop arrogante, trop riche lorsqu'elle n'est pas demandée, autant qu'une présentation vulgaire ou quelconque. C'est bien là l'objectif d'Iffland qui tente de lutter contre des pratiques qu'il trouve sur la scène de Berlin. Appliquée au costume, cette exigence a des conséquences multiples : ainsi, les actrices qui jouent le rôle des mères ne doivent pas s'habiller et se comporter comme des jeunes premières, rappelle encore Iffland dans l'Almanach de 1811. Au contraire, l'emploi juste et significatif des accessoires est bienvenu : c'est justement dans les pages consacrées à la "bienséance" qu'Iffland vante le maniement de l'éventail. Le petit texte qui suit sur "le costume" (Ueber das Costume) à comprendre dans un sens large, comme nous l'avons déjà expliqué, commence par ces mots : "le costume est une partie des règles de bienséance". 110 Le respect des convenances, la nécessité de marquer le statut du personnage est ce qui dicte une certaine gestuelle et un habillement caractéristique et historiquement exact.

Mais surtout Iffland souligne à plusieurs reprises une idée intéressante : le lien profond entre jeu et costume, l'influence, le pouvoir même, du costume sur le comédien. Evoquant les costumes historiques, il écrit :

‘Il est certain que ces habits et ces formes de vêtement interpellent eux-mêmes celui qui a le don de se transporter facilement [dans un personnage] et donnent leurs instructions. 111

Il déplore l'uniformité des costumes sur la scène, reflet des modes du début du XIXe siècle, où les hommes vont principalement en noir et en brun, les femmes en blanc ; cette uniformité rend difficile la distinction entre les personnages et le respect de la bienséance.

‘Celui qui a observé un tant soit peu les acteurs débutants, doit savoir combien cette coutume et le manque de différentiation extérieure influe sur la négligence dont ils font preuve dans leur maintien et dans tout leur comportement. 112

Iffland cite toujours l'influence du costume sur le jeu de l'acteur, et insiste de nouveau sur une nécessaire différentiation entre les personnages. Iffland demande que les acteurs se détachent de la mode et de son uniformité, demande la variété des costumes pour permettre aux acteurs de mieux varier, changer leur jeu.

Nous avons vu ci-dessus que le respect de la bienséance doit permettre l'identification immédiate du personnage quant à la place qu'il occupe dans la société. Le costume joue donc un rôle essentiel dans cette identification et dans ce respect de la bienséance. Il y participe pleinement. Cette conception vaut autant pour les costumes contemporains que les costumes historiques. Cette exigence de l'attention au statut du personnage n'est pas le seul fait d'Iffland, elle revient dans d'autres textes d'hommes de théâtre durant les dernières décennies du XVIIIe siècle, elle est même l'exigence principale de tous ceux qui désirent réformer les pratiques scéniques et faire disparaître les traces du style baroque. W. Klara affirme :

‘La classe sociale est toujours la première des priorités pour le régisseur et les acteurs au XVIIIe siècle, ce qui correspond à la division de la société en classes. 113

Et Heinz Kindermann attribue ce même raisonnement à Iffland :

‘Dans le domaine historique, l'ordre hiérarchique et sa signature à travers le costume lui [Iffland] tiennent particulièrement à cœur  conformément à l'esprit de classes qui caractérise l'époque. 114

Mis à part le fait que l'attention au rang du personnage vaut pour l'ensemble des costumes (pas seulement "historiques"), nous adhérons à l'idée que cette conception du jeu et du costume reflète la conscience de l'existence de classes (pas seulement sur une ligne verticale, aussi sur une ligne horizontale entre les différents corps de métiers) qu'il n'est pas bienséant de franchir, ni dans un sens ni dans l'autre. La dignité de la personne repose justement sur un comportement conforme au rang auquel elle appartient, et en ce sens des personnes de rang différent peuvent atteindre l'égalité par une dignité égale. Le comédien est aussi un modèle, un exemple ; il montre au public le bon et le mauvais maintien en société. Le comédien, et ici la situation devient plus ambiguë et plus subversive, est celui qui est capable de tenir tous les rôles, de prendre toutes les identités. Mais ce travail d'Iffland sur la bienséance va plus loin que le domaine de la scénographie et de la mise en scène ; il est lié à la volonté d'Iffland de relever la dignité et le statut du comédien dans la société de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Il y a ici une dimension politique derrière ce choix esthétique : réhabiliter le métier de comédien, et l'art du théâtre lui-même. Iffland, à la suite des intellectuels de l'Aufklärung amoureux du théâtre, a beaucoup lutté pour que les comédiens ne soient pas considérés comme baladins sans tenue ni morale ; il avait une haute idée de sa valeur, il sut gagner la bienveillance de personnages hauts placés, tel que le chancelier Hardenberg au grand désespoir de ses adversaires comme H. von Kleist.

Des passages de l'Almanach nous indiquent encore qu'Iffland n'appréciait guère le costume (historique) qui était en usage à l'époque du Sturm und Drang. Ainsi dans l'Almanach de 1811, plus exactement dans l'article "Au sujet de la formation des artistes à la représentation du genre humain sur la scène", Iffland, en regardant en arrière les productions dramatiques des dernières décennies, exprime le peu de cas qu'il fait des drames de chevalerie et déplore les "mauvaises habitudes" que "le flottement des bottes, le cliquetis des éperons, les vestes qui pendent et s'étirent font facilement régner" et il demande que "tout, même le vêtement" puisse y remédier. 115 Le style relâché du théâtre du Sturm und Drang (dans les années 1770) le manque de retenue dont il fait preuve, le non-respect de la bienséance, devait déplaire à Iffland plus encore que l'inexactitude des costumes. Le "style génial" et la "force sauvage", pour reprendre les caractéristiques de ce mouvement, ne lui inspirent pas d'admiration. Iffland est un conservateur ; il se bat pour que la dignité des comédiens soit reconnue, mais pas dans un esprit révolutionnaire.

Le bannissement de la laideur que nous avons vu à l'exemple du maquillage de Franz Moor est encore une conséquence de cette attention à la "bienséance". Il en va de même de toutes les condamnations d'un vêtement trop luxueux pour un rôle. Nous voudrions maintenant développer un instant cette question du luxe qui touche particulièrement la scénographie, car elle est devenue l'un des sujets du débat. Iffland s'est exprimé sur la question dès ses premiers textes.

Iffland et la question de la richesse de la scénographie.

En effet, puisque le style de jeu élaboré par Iffland exige théoriquement un costume réaliste, caractéristique, c. à d. révélateur du personnage, de son caractère, de sa situation sociale, il ne peut être question de se vêtir avec des vêtements et accessoires luxueux, si le rôle ne l'exige pas. Le comédien doit se costumer selon son rôle, donc ne pas se mettre en valeur, ni faire un choix arbitraire. Iffland critique les comédiennes et leur vanité, comme le fera son successeur le comte Brühl dans ses commentaires. Dans son règlement de 1802, Iffland établit des règles qui visent à limiter les excès et demandent à chacun de se costumer selon son rôle. Même discours dans le court essai Ueber das Kostume de l'Almanach de 1807. Encore une fois la vanité des comédiens est fustigée. Iffland se sert d'un exemple caractéristique : l'abondance de plumes…

‘Un immense panache de plumes est un spectacle pitoyable, qui annonce immédiatement la tête creuse qui croit gagner de l'importance en s'en affublant. (…) Immanquablement la poitrine et l'estomac sont alors recouverts d'une rangée de grosses et fausses pierres, afin d'achever le ridicule. Chaque costume qui comporte plus d'éléments que le rôle ne le demande ou qui comprend des éléments contraires au rôle offense le bon goût. 116

Le port des plumes en lui-même n'est toutefois pas condamné, et la sévérité d' Iffland paraît ici plus relative, comme semblent le confirmer maintes gravures qui le représentent, dans des rôles tragiques, avec un élégant couvre-chef. Iffland ne veut-il fustiger que les excès ?

‘Plumes et panache constituent une belle parure sur les chapeaux et les casques du costume vieil-allemand. Dommage qu'ils soient si souvent mal employés. Une grande plume doit être portée avec goût. […] Lors de mouvements réfléchis, solennels de la tête, une grande plume peut prendre tout son sens, renforcer l'expression, devenir un baldaquin pour le regard. 117

On retrouve la volonté d'un costume qui ne soit pas purement décoratif mais aussi expressif. Le mouvement gracieux des plumes peut donner plus de prestance au personnage. Iffland met encore en garde contre les mauvaises interprétations du respect de la bienséance (Anstand) qui pourraient conduire un acteur à s'élever plus haut que nécessaire : que l'acteur n'aille pas s'imaginer que la bienséance réside dans le luxe ou dans des airs de grandeur.

‘Dans le mot "bienséance" de nombreux acteurs ne voient rien d'autre qu'un être extrêmement distingué. Ils croient y parvenir en portant la tête haute, mesurant leurs pas, en promenant leur regard autour d'eux faisant mine de ne rien approuver, ni respecter. Par conséquent ils choisissent facilement la silhouette qu'ils imaginent être la plus altière, la plus splendide comme figure idéale de la bienséance. 118

C'est à cet endroit de l'article qu'Iffland rappelle ce qu'il entend par "bienséance", une formule que nous avons déjà citée plus haut : "le comportement qui revient et correspond à la personne qui doit être représentée, dans la situation précise dans laquelle cette personne est représentée." Bien sûr, un rôle de noble exige que l'on se tienne d'une façon appropriée : la comédienne devra éviter "de défigurer la demoiselle allemande de noble origine ("das edle deutsche Fräulein") vêtue de sa lourde robe plissée en se tenant comme une laitière"… 119 On pouvait lire dans le respect de la bienséance (dont nous parlions plus haut), c'est-à-dire dans la différenciation des conditions sociales, la recherche d'une identité bourgeoise. C'est cette différenciation qui, paradoxalement, permet l'égalité. Le souci de l'équilibre et de la mesure qui caractérise les propos d'Iffland laisse émerger l'idée d'une critique de l'excès baroque et de la débauche du monde aristocratique. On peut lire plus clairement dans la critique du luxe de la décoration la critique d'une vie de cour sans mesure et sans dignité.

Toutefois, on peut se demander si Iffland et sa troupe ont respecté ces principes. Les voix qui condamnent le luxe ne datent pas seulement de la période fastueuse de l'intendance du comte Brühl, et les reproches transparaissent parfois même dans la littérature critique pour avoir trop privilégié le spectaculaire (par exemple pour les représentations de La Pucelle d'Orléans de Schiller : long défilé triomphal, nombreux figurants qu'il fallait vêtir en costumes historiques), dépenses pour de nouveaux décors, costumes, effets, coups de théâtre, même si l'on a puisé largement dans les toiles et éléments de décors restants). Nous nous intéresserons aux réponses données par Iffland lui-même, et sur lesquelles nous reviendrons plus loin : les difficultés de tous ordres que l'on rencontre en gérant une grande scène.

Le point de vue d'Iffland sur les décors.

Iffland s'est très peu exprimé sur les décors de théâtre, mais nous savons qu'il voulait qu'ils soient dignes du théâtre "National et Royal" dont il avait la charge. En effet, dans un texte adressé au théâtre de Mannheim 120 , il se fait entendre pour signaler qu'une décoration négligée, trop vieille et usée fait le plus mauvais effet sur le public ; il demande que le théâtre se constitue un nouveau fonds de décors. On retrouve ici la notion de "bienséance", d'abord dans le sens d'une dignité de la représentation dans tous les éléments qui la composent. Lorsque l'on a reproché à Iffland la richesse de la scénographie, ce sont les décors réalisés par B. Verona, le décorateur officiel des Théâtres Royaux berlinois et l'ensemble des effets de scène (défilés, illuminations, transformations du décor) qui étaient visés, plus que les costumes. Il faut replacer la vision des choses défendue par Iffland dans le contexte d'une concurrence entre le théâtre et l'opéra. C'est l'opéra, dont le répertoire est essentiellement français et italien, qui jouit de la bonne grâce des princes ; en essayant de rehausser l'éclat des représentations d'art dramatique, Iffland s'efforce de donner plus de poids à cet art et du même coup au répertoire allemand. Il poursuit à sa manière, en employant les moyens de la scénographie, l'entreprise qu'avaient lancé les hommes de théâtre et réformateurs du XVIIIe siècle. Le comte Brühl, successeur d'Iffland s'est engagé par la suite dans une démarche analogue.

Le soin apporté par Iffland à la décoration théâtrale s'est exprimé surtout lors des représentations des œuvres de Schiller. Par ailleurs, plusieurs extraits des Almanachs montrent qu'Iffland était conscient de l'évolution du goût vers plus de vérité historique, et qu'il a accompagné cette évolution en demandant à ses décorateurs de créer des décors plus variés. Nous reviendrons dans un instant sur les décors créés par Bartolomeo Verona.

Le travail d'Iffland dans son ensemble présente donc plusieurs aspects intéressants. Iffland s'inscrit dans la ligne des réformes de l'Aufklärung et réalise les exigences qui étaient apparues tout au long du XVIIIe siècle : le fait que le costume corresponde au caractère représenté, qu'il reflète sa condition sociale, et que les vêtements du passé soient reproduits avec plus d'exactitude. Il réalise ces réformes sur une scène influente et les applique sur une longue durée. Il faut noter surtout le fait qu'Iffland, l'un des premiers, intègre le costume dans la réflexion sur le spectacle, et ce, dans le cadre d'une réflexion théorique sur le costume. Pour reprendre l'expression d'un autre de nos auteurs, Karl Friedrich Schinkel, à propos des décors, nous pouvons dire que pour Iffland, le costume "fait partie intégrante du spectacle." Concernant les costumes historiques, il apparaît qu'Iffland s'est montré plus attaché à ce principe à la fin de sa carrière. Cependant nous avons voulu souligner un phénomène intéressant, le fait qu'Iffland se distancie de la vérité historique au profit de l'efficacité de l'information, au profit d'autres signes que les signes de l'Histoire. Iffland a cherché un équilibre entre exigence d'historicité et pouvoir expressif du costume. Sans vouloir faire de rapprochement inapproprié, nous pensons que cette démarche est moderne, c'est-à-dire proche des pratiques scéniques développées au XXe siècle. Certes, Iffland semble s'être moins intéressé aux décors de ses spectacles, ainsi se pose la question de l'unité des représentation d'un point de vue théorique. Toutefois, son travail sur le costume, même si d'autres esthétiques ont prévalu par la suite, annonce le travail des metteurs en scène du XXe siècle et du début du XXIe siècle.

Notes
73.

"Er zeigt den Weg an, auf welchem er das Ziel zu erreichen strebt, aber er ist entfernt zu glauben, daß er erreicht habe, was er zu erreichen wünscht." Almanach für Theater und Theaterfreunde auf das Jahr 1807, p. V.

74.

Henschel, Gebr., Ifflands mimische Darstellungen für Schauspieler und Zeichner. Während der Vorstellung gezeichnet zu Berlin in den Jahren 1808 bis 1811, 20 Hefte, Berlin 1811.

75.

Heinrich Härle, Ifflands Schauspielkunst. I. Teil : Bildertafeln, Berlin 1925, in Schriften der Gesellschaft für Theatergeschichte, Bd. 34.

76.

Kostüme auf dem Königlichen Nationaltheater in Berlin unter der Direktion des Herrn A. W. Iffland, Berlin, L. Wittich, 1802-[1812].

77.

W. Klara, Schauspielkostüm und Schauspieldarstellung, Berlin 1931. p. 30-31. Ces publications sont "systématiques", parce qu'elles contiennent plusieurs gravures de costumes d'un même spectacle.

78.

Gesetze und Anordnungen für das Königliche Nationaltheater zu Berlin, Berlin 1802.

79.

Nous avons pu consulter les exemplaires de la Staatsbibliothek de Berlin, qui en conserve deux par année, mais il faut signaler que l'almanach de l'année 1810 n'existe pas (erreur du catalogue informatique). Iffland, trop occupé ou contraint par les événements historiques, ne l'a pas édité cette année-là.

80.

Almanach für Theater und Theaterfreunde, aussi Almanach fürs Theater.

81.

"Fragmente über einige wesentliche Erfordernisse für die darstellenden Künstler auf der Bühne" ; "Ueber den Anstand" ; "Ueber das Kostume".

82.

"Ueber die Bildung der Künstler zur Menschen-Darstellung auf der Bühne", 1808-1812.

83.

"Verhältnisse der gegenwärtigen Theaterdirectionen, in Vergleich mit denen, worin die Directionen der Theater vormals sich befunden haben", Almanach fürs Theater auf das Jahr 1811.

84.

Entwicklung des Ifflandischen Spiels in 14 Darstellungen auf dem weimarischen Hoftheater im Aprilmonat 1796, [K. A. Böttiger], Leipzig 1796 ; Briefe über Ifflands Spiel in Leipzig zu Ende des Junius 1804. In den Rollen des Antonius, Hofrath Reinholds, de l'Epées, Von Balbergs, Lorenz Starks, von Langsalms, und Wallensteins, [G. W. Becker], Leipzig 1804.

85.

Cf. H. Kindermann, Theatergeschichte Europas, Band IV. p. 724.

86.

J. Gregor, Wiener szenische Kunst, Band 2 : "Kostüm", Wien, 1925. "das hervorragend Charakterisierende und Bühnengemäße". p. 113.

87.

"Bei der Bemessenheit ihrer [die Geizigen] sparsamen zahmen Bewegungen, kann man nicht eigentlich sagen, daß ihre Kleidungsstücke zerrissen [sind] […]. Sie sind außer der Mode gekleidet, nicht weil sie es absichtlich so gewählt haben, sondern weil ihre Kleidungen so lange halten, daß indeß viel mehrere Moden aufeinander gefolgt sind." Almanach, 1807. p. XIV.

88.

Cf. J. C. Lavater, Physiognomische Fragmente zur Beförderung der Menschenkenntnis und Menschenliebe (1775-1778) ; ou, dans sa remise en question par Lichtenberg : Über Physiognomik […].

89.

Cf. à ce sujet les explications d'Erika Fischer Lichte dans le deuxième tome de Semiotik des Theaters, Band 2 : Vom "künstlichen" zum "natürlichen" Zeichen. Theater des Barock und der Aufklärung, Tübingen, 1983 ; elles sont présentées sous une forme synthétique in : Kurze Geschichte des deutschen Theaters (1993) du même auteur.

90.

Engel, Ideen zu einer Mimik, 1785/1786. Il s'agit du titre de la traduction française de 1795.

91.

"Haltbare Farben, möglichste Verhinderung des Zeugaufwandes, unverwüstliche Dichtheit und Stärke der Zeuge  fallen gleich in die Augen. Was von dem alten Anzuge vorhanden und noch haltbar ist, wird zum Neuen mit genutzt. Daraus kann ein Kontrast entstehen, der etwas scharf abzeichnet  aber man muß gleich sehen, wie das haushälterischer Weise so hat kommen können." Almanach, 1807. p. XV.

92.

Il faut renvoyer ici aussi à la seconde partie de l'étude détaillée effectuée par E. Fischer-Lichte dans le deuxième tome de Semiotik des Theaters, op. cit.

93.

H. Kindermann, Theatergeschichte Europas, Band IV, "das mitspielende, 'sprechende' Kostüm." p. 724. Les termes "parlant" ("sagend"), "éloquence" "(Beredsamkeit"), "Ausdruck" reviennent aussi dans les écrits d'Iffland à propos de la gestuelle et des costumes. Mais ils ne sont pas le fait du seul Iffland. Une partie du public cultivé les emploie également dans ses critiques où ils deviennent critère de jugement.

94.

"Der schmutzige Geizhals ist kein Gegenstand für die Bühne." ibid., p. XVI.

95.

Cf. le commentaire au sujet du rôle in : Almanach, 1807. J'émets encore l'hypothèse que des motifs tout à fait humains ont peut-être incité l'acteur, qui devait jouer un rôle très ingrat, à suivre cette voie. L'interprétation d'Iffland, qui rappelle des interprétations plus proches de nous (une certaine humanité accordée au personnage méchant), n'en est pas moins intéressante.

96.

"Völlige Blässe oder jene unnennbare Gallenfarbe, welche bei dem innern Lodern verschlossener Wut in das Blut sich zu ergießen und die Maschine zu zersprengen droht.

Ueber den Todestropfen der kochenden Stirn hängt matt herab ein sparsames Haar, das bleich und weich, von keiner Farbe beinahe den Nahmen zu nehmen hat.

Wird kein Roth aufgelegt und unter dem Auge eine blas blaue Schattierung sichtbar, sind die Farben der ersten Kleidung bizarr gewählt  so ist die erste Erscheinung des Franz gewiß abweisend genug, ohne durch Mißgestalt und Körpergebrechlichkeit Eckel [sic] zu erregen." ibid., p. 67.

97.

Tieck, Phantasus, Deutscher Klassiker Verlag, 1985, p. 690-691 ; p. 1136-1137.

98.

"Die verschiedenen Direktionen des National-Theaters zu Berlin haben sich stets nach allen Kräften es angelegen sein lassen, in den fremden Kostümen die möglichste Wahrheit zu erreichen. Sie haben zu dem Ende Zeichnungen eines berühmten Meisters sich zu verschaffen gesucht und darnach arbeiten lassen. Allein man hat so wenig auf diese gesehen, oder so viel eigene Zusätze hinein getan, dass oft aus diesen Kostümkleidern die sonderbarste Mischung von Fremdheit und Negligée unserer Zeiten entstanden ist. Die Direktion ist durch den gerechten Tadel, mit der man ihr diesen Übelstand vorgeworfen hat, oft in nicht geringe Verlegenheit gesetzt worden." Gesetze und Anordnungen für das Königl. Nationaltheater, 1802. Cité par H. Schaffner, Die Kostümreform (…), op. cit, p. 29.

99.

Sämtl. Werke, Band V, hrsg. von E. Böcking 1846/1971 (reprint), p. 319 ; ou encore Vorlesungen über dramatische Kunst und Literatur. Zweiter Teil, hrsg. von E. Lohner, Stuttgart 1967, p. 215.

100.

"So viel ich weiß, war Iffland, und auch nur in seinen späteren Tagen, der Erste, der eine genauere Nachahmung der wirklichen Trachten beabsichtigte." L. Tieck, "Kostüm", in Dramaturgische Blätter […], Bd  2., Breslau, Max und Komp., 1826. p. 212.

101.

"Ihre Kleidung ist ihrem hohen Range angemessen, doch nicht hervorstechend. Es ist anzunehmen, daß ihre Frauen, welche die Neigung ihrer Seele kennen, ihr angelegt haben, was dem Tage gebührt, ohne der Stimmung ihres Gemüts zu widersprechen. Irgendwo mag das einfache, reichhaltige Gewand, es bestehe nach damaliger Sitte in Armspangen, die den weiten Ermel an mehreren Orten schließen, oder in einem fürstlichen Bruststück, durch einen Brillantschmuck gehoben, den Forderungen des stolzen Gemahls gehorsam begegnen. Dieser Theil der Kleidung kann ohne ihr Zutun besorgt seyn. Nicht so ist es mit dem Kopfputze, von welchem vorausgesetzt werden kann, daß ihre Zustimmung nöthig war.

Standesmäßigkeit, Uebereinstimmung mit der übrigen Kleidung kann sich in diesem Betreff in der einfachen Pracht kostbarer Perlenschnuren erweisen. Mit Geschmack angethan, fordern diese nicht auf, den Widerspruch mit verweinten Augen besonders zu bemerken." Almanach, 1809. p. 19-20.

102.

Je traduis "Bruststück" par "pièce d'estomac" : c'est une pièce de tissu de forme triangulaire, richement ornée, qui est fixée sur le devant de la robe (plutôt employée au XVIIIe siècle).

103.

Cet effort d'objectivité est bien réel, même si les propos d'Iffland nous paraissent aujourd'hui comme une interprétation parmi d'autres. Les Romantiques, partisans d'une interprétation subjective, soumettront les principes d'Iffland à leurs critiques.

104.

Selon W. Klara, le premier ouvrage significatif sur les périodes de l'Antiquité et du Moyen-Âge est celui de J. Malliot, Recherches sur les costumes, Paris et Strasbourg 1804. La version allemande parut en 1812. Klara, Schauspielkostüm […], op. cit., p. 35.

105.

Elle ressemble à diverses décorations que l'on retrouve sur les portraits de personnages de la noblesse ou de hauts dignitaires prussiens.

106.

Concernant le costume de la Duchesse de Friedland évoqué plus haut, j'ai eu l'impression, en lisant ce passage, qu'Iffland partait d'un usage contemporain, c'est-à-dire : dans les très hautes sphères, le serviteur excellent est celui qui est à l'écoute des besoins de ses supérieurs, etc. Je me suis représenté la scène à la cour de la reine Louise. On pourra me répondre que cette pratique était également valable au XVIIe siècle et par la suite (dans L'Homme difficile - Der Schwierige – d'Hofmannsthal), mais j'ai vraiment pensé d'abord qu'Iffland appliquait à une situation historique ses connaissances (bien observées par ailleurs) de la vie de cour.

107.

"Es handelt sich aber keineswegs um ein echt historisches oder Nationalkostüm, vielmehr ging man von recht allgemeinen Vorstellungen aus, die dann der Bühne angepasst wurden. Herrschend bleibt nach wie vor das spanische Kostüm (…)." H. Schaffner, Die Kostümreform […], op. cit., p. 22.

108.

Kindermann, Theatergeschichte Europas, Band IV, Salzburg 1959, p. 724.

109.

"Anstand ist das Benehmen, was der Person, die vorgestellt werden soll, in der Lage, worin diese Person sich befindet, zukommt und ansteht." Almanach fürs Theater, 1807. "Ueber den Anstand" est la suite de l'article "Fragmente über einige wesentliche Erfordernisse für die darstellenden Künstler auf der Bühne." p. 126.

110.

"Das Kostume ist ein Theil des Anstandes." "Ueber das Kostume", in : Almanach, 1807. p. 133.

111.

"Es ist gewiß, daß diese Gewänder und Kleiderformen, den, welcher die Gabe hat, sich leicht zu versetzen, selbst ansprechen und ihre Anweisung geben." ibid., p. 135.

112.

"Wer angehende Schauspieler nur einigermaßen beobachtet hat, kann es wissen, wie sehr diese Sitte und der Mangel an äußern Unterscheidung auf die Vernachlässigung ihrer Haltung und ihres ganzen Betragens Einfluss hat." Almanach 1811, "Ueber die Bildung der Künstler zur Menschendarstellung […]", p. 5-6.

113.

"Der Stand ist immer die erste Hauptsache für Regisseur und Schauspieler im 18. Jahrhundert, der ständi-schen Gliederung der sozialen Verhältnisse entsprechend." Klara, Schauspielkostüm […], op. cit., p. 65-66.

114.

"Im historischen Bereich ist ihm  gemäß dem ständischen Denken der Zeit  die Rangordnung und ihre Kostüm-Signatur besonders wichtig […]." Kindermann, Theatergeschichte Europas, Band IV, op. cit., p. 724.

115.

"Es ist nicht genug zu wünschen, daß alles, auch die Kleidung und jene Form der äußeren Bildung, welche daher veranlaßt werden kann, gegen die Verwöhnungen ausstreben möge, welche die schlotternden Stiefeln, die klappernden Sporen, und das Hängen und Dehnen in der Jacke, nur zu leicht herrschend werden lassen." Almanach, 1811. p. 4. ou encore Iffland in seinen Schriften als Künstler […], hrsg. von C. Duncker, Berlin 1859. p. 52.

116.

"Ein ungeheuerer Federbusch ist ein kläglicher Anblick, der sogleich den leeren Kopf verkündet, welcher sich damit zu etwas zu machen denkt. […] Es fehlt dann nichts, als daß Brust und Magen mit einer Chaussee von dicken, falschen Steinen belegt sind, um das lächerliche zu vollenden. Jedes Kostume, das mehr enthält als die Sache fordert, oder Dinge enthält, welche der Sache widersprechen, beleidigt den Geschmack." Iffland, "Ueber das Kostume", in : Almanach, 1807. p. 138.

117.

"Auf den Hüthen und Helmen der altdeutschen Tracht ist die Feder, der Federbusch eine schöne Zierde, Schade, daß sie so oft missbraucht wird. Die hohe Feder soll mit Geschmack getragen werden. […] Bei sorgfältigen, ernsten Bewegungen des Kopfes kann die hohe Feder von Deutung werden, den Ausdruck verstärken, ein Baldachin für den Blick werden". Iffland, ibid., p.137-138.

118.

"Unter dem Worte "Anstand" denken viele Schauspieler nichts anders als ein überaus vornehmes Wesen. Dies meinen sie durch einen hochgetragenen Kopf, bemessenen Schritt, nebst einem Umherschauen, welches nichts anerkennt, noch achtet, zu erreichen. Sie wählen daher leicht die hochgehendste, prächtigste Figur, die ihnen vorkömmt, zum Ideal des Anstandes." Iffland, "Ueber den Anstand", ibid., p. 125.

119.

das "faltenreiche schwere Gewand durch die Haltung der laitière zu verunzieren." Almanach, 1807. p. 134.

120.

Je ne dispose malheureusement pas de la date exacte de ce texte que j'ai trouvé réédité in : C. Duncker, Iffland in seinen Schriften […], Berlin, Duncker und Humblot, 1859.