1. 2. 2. 3. Réflexion théorique et réformes mises en place par le comte Brühl.

Le grand principe qui a marqué le travail du comte Brühl est donc celui de la recherche de la plus grande authenticité possible, du respect fidèle de l'histoire dans la scénographie, ce que nous appelons le principe de la "vérité historique" des costumes ou des décors, nous inspirant du terme de "vérité" repris par Brühl comme un leitmotiv. Cependant, comme le montre déjà Hermann Schaffner 153 , les costumes créés par le comte Brühl eurent encore d'autres caractéristiques qui méritent d'être prises en compte : le symbolisme des couleurs, une dimension allégorique dans les quelques costumes fantastiques que le comte eut l'occasion de déterminer.

Précisons que si le comte Brühl a réellement créé les costumes de nombreux spectacles, il n'a quasiment pas créé de décors  c'est à Karl Friedrich Schinkel qu'il demanda de les élaborer ou encore aux décorateurs officiels des Théâtres Royaux que nous présenterons rapidement un peu plus loin. Toutefois la réflexion théorique du comte Brühl englobe la scénographie dans son ensemble, donc les décors autant que les costumes. Le travail du comte a concerné des spectacles de genres différents, tant au théâtre (tragédies, drames à sujet historique) qu'à l'opéra (Singspiel, opéra italien), mais il est un domaine dans lequel il n'est pas intervenu, et c'est celui de la comédie moderne ou du théâtre populaire, ce que reflètent les cahiers de gravures de "nouveaux costumes" édités après 1819 qui n'en contiennent quasiment pas d'exemples. En revanche, un autre cahier de gravures exécutées par J. Stürmer montre les acteurs berlinois dans quelques rôles comiques célèbres. Nous ne développerons pas ce point qui n'apparaît pas réellement dans les textes du débat postérieurs à 1815. Nous pouvons toutefois préciser que les acteurs berlinois continuèrent à se costumer comme ils le pratiquaient déjà lors de la direction d'August Wilhelm Iffland, avec des costumes et un maquillage réalistes qui caractérisaient le personnage (les costumes de certains personnages, comme celui du Bourgmestre Staar restent identiques, même si le rôle est repris par un autre acteur). Les gravures de Stürmer montrent aussi une forme d'évolution du style réaliste vers la caricature. Il semble que les acteurs aient accordé du soin aux costumes, qui font partie du plaisir offert au public.

Max von Boehn, dans son Histoire du costume de scène, 154 présente les principes les plus importants du travail de Karl von Brühl, souligne l'uniformisation nécessaire des pratiques du costume que ce travail a apportée, et évoque longuement plusieurs réactions de personnalités célèbres (Goethe, E. Devrient, L. Tieck). Toutefois, sa présentation est plutôt descriptive. Hermann Schaffner apporte ensuite beaucoup d'informations sur le travail du comte dans son étude sur la réforme des costumes, pour laquelle il s'appuie à la fois sur les écrits de Brühl et sur de nombreuses archives. Il a recensé les sources utilisées et décrit avec précision les dépenses que la réalisation des costumes a générées. Il évoque les réactions des comédiens, aborde succinctement le travail sur la couleur ou encore les nombreuses réactions suscitées. Il propose une véritable analyse des réformes du comte, dont une réflexion intéressante sur le manque de théâtralité des costumes. La valeur de son travail n'est donc pas à remettre en question, cependant nous espérons pouvoir apporter certaines nuances ou certaines précisions importantes à nos yeux.

Dans l'analyse qui suit, il était difficile de dissocier pratique et théorie, car les réalisations pratiques nous aident à mieux comprendre la conception de la scénographie défendue par Brühl. Nous procéderons donc en deux temps : nous nous intéresserons d'abord au principe de la "vérité historique", en commençant par préciser quel fut le travail concret du comte, le sens de cette "vérité" dans son esprit et les justifications qu'il en donne. Dans un deuxième temps nous évoquerons les autres caractéristiques de son travail sur les costumes, ainsi que les limites données au principe de vérité historique. Cela nous amènera à terminer le chapitre sur deux points plus précis : la caractérisation des personnages à travers la couleur des costumes, et, comme nous l'avons déjà fait pour A. W. Iffland, la question de la richesse de la décoration.

Les sources et leur place dans le débat sur la scénographie.

Comme pour le travail d'August W. Iffland, nous disposons d'une documentation à la fois iconographique et littéraire. Il s'agit principalement de recueils de gravures reproduisant costumes et décors réalisés sur les scènes berlinoises. Brühl a exprimé officiellement les principes que le guidaient et les problèmes rencontrés dans les préfaces, commentaires, postfaces de ces recueils. Les cahiers de gravures étaient conçus à la fois comme un témoignage des réalisations berlinoises et comme un ensemble de modèles pour les autres scènes. Concernant les costumes, Brühl voulut faciliter la tâche de ses collègues, pensant qu'ils n'avaient pas toujours la possibilité d'effectuer de longues recherches au sujet d'un style, d'une époque. Ainsi, les cahiers prennent par moment le ton d'une "histoire du costume", tout en étant conçus aussi comme source de conseils pratiques. Parallèlement, les textes accompagnant les gravures procèdent, de la part du comte, d'une volonté de s'exprimer et de se justifier face aux réactions négatives que ses efforts suscitaient. La première série Nouveaux costumes des deux Théâtres Royaux de Berlin sous l'administration générale de Monsieur le comte de Brühl 155 paraît à partir de 1819 sous la forme de cahiers de huit gravures, une publication poursuivie jusqu'en 1831. 156 La préface constitue véritablement la déclaration d'intention du comte Brühl. Mais elle s'inscrit aussi directement dans le débat sur la scénographie à Berlin, car elle contient des éléments de réponse aux critiques que Brühl a reçues dès le début de son engagement, et à des dates plus récentes dans des journaux berlinois. Nous verrons ultérieurement de façon plus détaillée que les réactions à son travail n'ont pas manqué et qu'un véritable débat apparut au sein des deux principaux journaux berlinois, un échange même assez violent entre plusieurs critiques de théâtre, notamment au début de l'année 1818. On comprend alors l'importance de la préface (que Brühl n'était pas obligé d'ajouter). Les commentaires ajoutés aux gravures apportent quant à eux des indications sur la façon de procéder, le choix des tissus, de la coupe, les couleurs, les réticences des comédiens. Les textes ajoutés au dernier cahier de gravures n° 23 (une sorte de postface) permettent à Brühl de tirer un bilan à l'issue de sa direction.

Peu de temps après les Nouveaux costumes, toujours en 1819, commencent à paraître des gravures reproduisant les décors de Schinkel, Décors des Théâtres de la Cour Royale à Berlin 157 (jusqu'en 1824), avec une introduction et quelques commentaires rédigés par Brühl dans le premier cahier. Brühl y fait l'éloge de Schinkel et présente encore une fois l'esprit qui anime sa démarche. En 1827 paraît enfin une série de gravures représentant les décors exécutés par Karl Wilhelm Gropius, le décorateur officiel des Théâtres berlinois : Décors des deux Théâtres Royaux de Berlin sous l'administration générale de Monsieur le comte de Brühl. 158 Dans la préface, Brühl réitère de nouveau ses objectifs, revient sur des problèmes ou critiques rencontrées.

Mise en place des réformes.

Le comte était passionné par son projet. La biographie d'H. von Krosigk qui s'appuie sur le propre témoignage du comte le souligne. Wittich, l'éditeur des gravures de costumes du comte Brühl, confirme dans le dernier cahier paru en 1831, que "Monsieur le Comte déterminait lui-même les costumes jusqu'au moindre détail." 159 Il prépara en partie ses propres dessins ; il était secondé par un jeune artiste, le peintre J. Stürmer, auquel il donnait ses instructions, lui demandant par exemple de copier un tableau de personnage historique. La réalisation était ensuite confiée au personnel du théâtre. Pour déterminer un costume, le comte Brühl effectuait de longues recherches. Il s'est fondé principalement sur les œuvres d'art et les monuments historiques, sur les ouvrages spécialisés alors existants et encore peu nombreux. Il demanda conseil aux savants et spécialistes de l'Histoire ancienne. La démarche de Brühl est, comme nous allons le voir, de nature scientifique. Nous voudrions ici louer l'acuité du regard de Brühl et la qualité de son travail, même si des erreurs inévitables subsistèrent. Nous défendons même la validité de certains costumes qui pourraient paraître sur une scène actuelle sans choquer notre goût (quand les traces de mode sont presque absentes). 160

Brühl s'attacha rapidement à réformer la scénographie, même s'il ne pouvait tout transformer en une seule fois. Nous en possédons un témoignage dans le Dramaturgisches Wochenblatt, une sorte de journal officiel des théâtres berlinois, qui parut de juillet 1815 à juillet 1817. Dans les premières pages du journal, un auteur anonyme résume l'activité des Théâtres Royaux depuis l'arrivée du comte Brühl.

‘Aussi, les représentations de l'Épiménide, de l'opéra Cortez, de la tragédie Rosamunde de Körner, du Roi Lear et quelques autres encore ont fait apparaître avec quel soin minutieux l'Administration générale œuvre par le déploiement de tous les moyens de l'art et de la science pour mettre en place le costume conforme au temps et au lieu, avec la plus grande libéralité dans les frais lorsqu'elle est requise. 161

La volonté de réforme de Brühl est donc une chose officielle dès juillet 1815, ce qui signifie que les auteurs qui s'intéressent à la scénographie après l'été 1815 (Brentano, Müllner) ont forcément eu connaissance du travail de Brühl et de sa recherche d'une plus grande vérité historique. Dès janvier 1816, les nouveaux décors de Schinkel (sur lesquels nous reviendrons plus loin) pour la Flûte enchantée inaugurent la mise en place d'un nouveau style de décor qui remplit en partie les exigences de Brühl, car il est beaucoup plus réaliste dans la reproduction des styles architecturaux et des paysages que ne l'était le style de B. Verona. En 1817, un incendie réduit le bâtiment du théâtre en cendres et détruit tout le fonds de costumes et de décors. Il anéantit les premiers efforts de Brühl, mais lui permet d'appliquer sa réforme de façon plus conséquente par la suite. Le directeur a en effet saisi cette occasion pour renouveler entièrement le fonds de costumes et de décors selon les principes qui lui tenaient à cœur.

La vérité historique selon Karl von Brühl.

Le terme de "vérité" (Wahrheit) revient tout au long des écrits que nous possédons du comte Brühl, décliné dans des formules diverses, "stricte vérité" (strenge Wahrheit), "vrai et fidèle à la nature" (wahr und naturgetreu). Si Karl von Brühl se situe donc tout à fait dans la tradition de la mimesis, il faut néanmoins préciser comment il comprend exactement cette imitation fidèle de la nature. Quelle est exactement cette "vérité" pour lui et comment se situe-t-elle par rapport aux efforts d'August W. Iffland ?

Si l'on se réfère à la définition du vêtement comme signe, citée par E. Fischer-Lichte dans son ouvrage Sémiotique du théâtre, on peut considérer qu'il est constitué de trois unités signifiantes : la forme, la matière et la couleur. 162 L'analyse des costumes du comte Brühl montre qu'il s'est intéressé à chacune de ces unités pour rendre ses costumes plus authentiques. Nous voyons dans les gravures et dans les commentaires qui les accompagnent que Brühl s'attache d'abord à rendre les formes (première unité) des vêtements anciens : longueur, amplitude, plis. Il insiste sur le respect de ces lignes. Il est également très attentif aux tissus employés, donc à la matière des costumes (la deuxième unité), tout en reconnaissant les exigences pratiques (conditions d'éclairage). Quant au choix des couleurs (la troisième unité), la situation est plus complexe. D'une façon générale Brühl s'efforce de respecter l'authenticité des couleurs et des détails caractéristiques. Si l'on portait des vêtements sombres à telle époque, Brühl demande qu'on en tienne compte. Les couleurs sont également attribuées en fonction du statut social ou du métier du personnage. Une coiffe pourpre a été choisie parce qu'elle "sied à un personnage royal" ; Sarastro "porte les couleurs sacrées des prêtres, blanc, jaune et rouge" (Cahier n° 5, n° 33). Mais on voit aussi qu'un travail sur les couleurs a été fait dans le sens d'une caractérisation symbolique des personnages. On voit donc pour un certain nombre de personnages que les formes du vêtement sont rigoureusement historiques, et que les couleurs en indiquent le caractère. Ce travail intéressant sur des couleurs symboliques nécessite donc que nous y revenions dans un paragraphe ultérieur.

Quand des personnages historiques apparaissent sur la scène, Brühl construit leur costume d'après les portraits qu'il peut en trouver, et demande même à l'acteur, dans la mesure du possible, d'essayer de prendre les traits du visage de cette personne à l'aide du maquillage (par exemple, le duc d'Albe dans Don Carlos, cf. le Cahier n° 10, la gravure n° 76). Sauf pour des époques très reculées, il définit les costumes à une décennie près. Brühl est allé très loin dans l'étude et la reproduction des détails du costume : broderies, décorations, accessoires, bijoux. Il donne les détails de la garde d'une épée. Les hommes en armes, princes, hérauts, soldats, portent les couleurs (blason) de leur maison, de leur corps d'armée ; les hommes de pouvoir, les religieux portent les insignes qui leur sont attribués (le sistre 163 de la prêtresse égyptienne Beroé). Les commentateurs du travail de Brühl ont relevé cette méticulosité, en général d'ailleurs pour la critiquer. Brühl multiplie donc les signes du costume, et il multiplie surtout les signes du temps. En ce sens, il s'éloigne des pratiques antérieures dans lesquelles les signes indiquant le temps étaient plutôt limités, et c'est sans doute ce qui frappa le public.

Brühl poursuit en fait de façon rigoureuse ce qu'Iffland avait commencé à développer à la fin de ses années de direction. On peut relever des similitudes et des différences entre le travail des deux directeurs. Brühl ne néglige pas les signes qui indiquent le caractère et les habitudes d'un personnage, mais il les évoque moins dans ses commentaires. Brühl ne semble pas avoir pratiqué une caractérisation aussi détaillée que celle d'Iffland. On sent qu'il est sensible à la psychologie d'un personnage, mais qu'il y accorde moins d'importance qu'à la situation historique dans laquelle il se trouve. De même qu'Iffland, Brühl attache de l'importance aux signes qui indiquent le statut social, le rang du personnage, mais on a l'impression que cela se fait dans une perspective inverse à celle d'Iffland. Nous pouvons schématiser cela comme suit : Iffland a recours à des éléments historiques parce qu'ils indiquent le rang d'un personnage (éventuellement il y renonce au profit de signes plus contemporains) ; il lui importe de signaler la place du personnage dans la société, dans un désir de respecter les convenances. Brühl, à l'inverse, respecte les signes du rang parce qu'ils sont historiques, parce qu'il veut reproduire méticuleusement ce qui était.

L'absence du terme de vraisemblance dans les textes est frappante. La vérité que le comte Brühl espère reproduire sur la scène est une vérité scientifique et empirique. Brühl essaie même d'expliquer la forme des vêtements et de justifier l'aspect que les costumes prennent sur la scène par des données sociales ou climatiques. Ainsi, Jeanne d'Arc ne porte pas de robe blanche au premier acte, parce que "la couleur blanche n'est portée presque nulle part par des paysannes". La coupe de la tunique de la mexicaine Amazily dans l'opéra Fernand Cortez ressemble aux tuniques grecques, et Brühl pense que "ce genre de vêtement trouve tellement son fondement dans la nature qu'on le retrouve couramment chez tous les peuples de l'Antiquité, comme chez toutes les nations sauvages avec très peu de variantes." 164 Ce serait aller trop loin que de qualifier ses remarques d'anthropologiques, car elles ne sont pas approfondies, et ni exemptes d'erreurs ou de préjugés raciaux, mais on voit que Brühl tend vers cette direction dans son étude. Le soin qu'Iffland apportait à l'étude des traits psychologiques du personnage, reflétés par les signes du vêtement, Brühl l'applique maintenant aux données historiques et géographiques, et il est le premier à aller aussi loin dans cette démarche.

Exigence envers le décorateur.

Dans sa préface au Nouveaux costumes (1819), Brühl se montre intransigeant sur la vérité historique des décors : pour ce qui est de "l'indication de paysages, des essences d'arbres, des plantes et objets d'architecture caractéristiques", ces éléments doivent être représentés "de la manière la plus vraie et la plus fidèle à la nature" possible. Il insiste sur la nécessité de les reproduire exactement. Par conséquent, le décorateur doit avoir des connaissances dans de nombreux domaines. L'artiste dans sa formation est un savant. Etre décorateur exige un savoir, pas seulement un savoir-faire. Brühl formule l'exigence suivante :

‘Des connaissances approfondies tant dans l'Histoire générale que dans des domaines spécialisés de l'architecture de tous les temps et de tous les peuples, la plus grande maîtrise et exactitude quant aux règles de la perspective, des notions d'archéologie même, une connaissance parfaite de tous les genres picturaux, en particulier la peinture de paysages et le coloris naturel, voire des notions de botanique etc., afin que l'on puisse donner à chaque pays les formes des arbres, herbes, roches, montagnes qui conviennent, toutes ces exigences sont indispensables pour un décorateur tel qu'il devrait être. 165

Nous pourrions prendre comme exemple d'une mise en application des principes de Brühl le cinquième décor de Schinkel pour la Flûte enchantée, que l'on voit dans l'illustration suivante. Nous voyons ici un décor qui remplit les exigences de Brühl tout en portant la marque personnelle de Schinkel. On remarquera la reproduction soignée de diverses essences d'arbres. Pour la scénographie de la Flûte enchantée, Brühl avait choisi de se référer à l'Égypte antique.

K. F. Schinkel, Décoration V. pour la
K. F. Schinkel, Décoration V. pour la Flûte enchantée, 1816. Acte II, Scène 1.

Certes on n'imaginerait pas voir un tel paysage en Égypte, mais Schinkel dut composer avec le peu de connaissances et de documents alors disponibles. Une telle représentation de la nature était complètement nouvelle sur les scènes berlinoises, et elle dut profondément impressionner le public. Nous reviendrons sur les autres caractéristiques de ce décor dans le chapitre consacré au travail de Schinkel. 166

Justification du choix de la vérité historique.

Dans les passages suivants, Brühl explique la fonction qu'il attribue à la vérité historique et donne plusieurs arguments pour justifier son choix. La citation ci-dessous contient plusieurs éléments révélateurs de la pensée de Brühl que nous reprendrons ensuite séparément. Il semble utile de garder le paragraphe dans son unité.

‘S'agissant des costumes, la vérité satisfait généralement tout à fait le regard de l'amateur d'art ; et le parti pris délibéré de conserver le caractère principal de chaque particularité nationale introduit de la variété sur la scène, — procure à l'artiste une jouissance esthétique de nature critique — et donne au néophyte en matière d'arts plastiques l'occasion d'élargir ses connaissances. ’

De grands et somptueux ouvrages sur les mœurs, usages, vêtements, régions et plantes de tous les pays sont publiés ; ― et on les étudie avec zèle. Pourquoi la scène ne deviendrait-elle pas un tableau vivant riche d'enseignement, où abonderait la vérité dans la caractérisation ? Le poète s'efforce de saisir les particularités et les traits caractéristiques, pourquoi le directeur de la scène ne le seconderait-il pas dans cette tâche ? Pourquoi notre regard ne devrait-il pas être transporté par la forme extérieure des choses dans le pays ou dans la période où l'auteur nous emmène par le produit de son esprit ? Pourquoi le public ne trouverait-il pas au théâtre l'opportunité de toutes les formes de culture scientifique ? 167

Une justification intéressante du respect de la vérité historique est celle de la variété, de la diversité (Mannigfaltigkeit) qu'elle apporte. L'argument est à la fois d'ordre esthétique (relatif à la beauté) et fonctionnel. Pour Brühl "vérité" (science) et "beauté" ne sont pas opposées, comme nous le verrons encore. Brühl n'est pas le seul à évoquer l'exigence de variété. Goethe le rejoint dans la justification esthétique de la variété ; il s'est efforcé d'acquérir cette variété des styles, des formes, des coloris pour la scène de Weimar en engageant le décorateur Friedrich Beuther. A Berlin, la lutte contre la monotonie dans la décoration s'inscrit dans le contexte d'une évolution du goût : le rejet de l'esthétique du baroque tardif, qui propose des décorations-types et imaginaires (palais immenses, paysages de ruines), ce que l'on avait pu voir encore parfois dans les réalisations du vieux décorateur Verona sous Iffland. 168 On réutilisait ces décorations-types pour des pièces différentes ; l'esprit de réalisme exige maintenant la reproduction exacte du lieu de l'action. Iffland avait demandé que l'on sorte de l'uniformisation des costumes ; 169 mais pour lui, la recherche de diversité tenait moins d'un propos esthétique que de la volonté de rendre la multiplicité des caractères et des situations sociales.

Or, la présentation de paysages et de vêtements différents a une autre fonction très importante aux yeux de K. von Brühl, une fonction didactique, éducative. Le théâtre véhicule et transmet un savoir (d'où l'intérêt de varier les sujets), ce qui n'est possible que si ce qui est montré au théâtre est exact. Cette fonction didactique que Brühl attribue au théâtre est pour beaucoup dans son intransigeance. L'idée même d'une fonction didactique du théâtre n'est pas nouvelle, même si la nature de l'enseignement transmis doit être précisée. En 1729 déjà, dans son discours Les pièces de théâtre et particulièrement les tragédies ne doivent pas être bannies d'une république bien constituée, Gottsched 170 avait fait l'éloge de la capacité d'enseignement et de la moralité du poème tragique. Pour lui, la scène figure défauts et qualités des hommes. Elle est un miroir révélateur pour le simple bourgeois comme pour le prince, et plus encore pour le prince peut-être, un miroir qui doit inciter les hommes à choisir une conduite éclairée. Une dimension morale est clairement présente dans les drames bourgeois et drames larmoyants. En 1784, le jeune Schiller prend position sur cette question dans son essai La scène considérée comme une institution morale. Il faut préciser l'intention exacte de Schiller qui se cache derrière le titre. Schiller attribue plusieurs fonctions à la scène, dont une fonction didactique, car elle informe le spectateur et lui transmet une expérience de vie ; elle dénonce les travers des hommes, mais elle a surtout pour vocation de les unir dans le sentiment de leur humanité commune, et faire ainsi tomber les barrières qui les séparent ! Sur le même sujet, la position de l'auteur et acteur Iffland est encore différente. L'enseignement qu'il désire transmettre est double, à la fois moral (au moyen d'une action édifiante) et scientifique, en véhiculant une connaissance de l'âme humaine à travers son style de jeu (selon les théories de la fin du XVIIIe siècle que nous avons déjà évoquées). Or, la dimension morale n'apparaît pas dans la conception du théâtre proposée par Brühl en 1819, comme si le théâtre véhiculait maintenant une "culture scientifique". Le théâtre n'est plus tellement "édifiant" (erbauend), il transmet plutôt un savoir (unterrichtend) ; il s'agit de données culturelles, géographiques, historiques, et l'on voit la place importante que prend la scénographie dans ce nouveau rôle. La scène devient une suite d'images riches d'enseignement. On comprend alors l'importance de la dimension spectaculaire de la représentation, l'importance du regard qui est choisi comme le canal de transmission le plus approprié (peut-être parce que devant l'accroissement de l'information, il permet de montrer plus en une seule fois). La démarche de Brühl est le fruit de l'idéologie des Lumières, tout en ayant une orientation particulière. Brühl conclut la préface aux Nouveaux costumes par les mots :

"Le théâtre d'une grande capitale est […] à placer dans une même catégorie avec les autres instituts d'enseignement de l'art, les galeries de tableaux, les musées, etc." 171

Cela ne signifie pas que la dimension morale soit absente pour Brühl. Ainsi, en 1831 s'il parle toujours de "l'éducation du peuple" (Volksbildung) qui est la fonction du théâtre, il s'exaspère aussi du fait que quiconque "donne au théâtre un objectif plus élevé, poétique, moral et artistique", est "complètement décrié et considéré comme un doux rêveur." 172 A plusieurs reprises encore la dimension morale est mentionnée, ce qui rapproche Brühl à nouveau de ceux qui défendent la scène comme lieu d'un enseignement moral.

Il est un point qui rapproche Brühl du réformateur Gottsched : l'idée que la fonction didactique du théâtre, une vocation noble donc, lui confère une dignité. En effet, tout au long du XVIIIe siècle, les intellectuels et hommes de théâtre se battirent pour la reconnaissance de la valeur du théâtre, pour l'intégration des comédiens dans une société où ils étaient considérés comme de vulgaires baladins et amuseurs publics. Gottsched 173 le premier désirait, dans ses textes théoriques et par son activité réformatrice, réhabiliter le théâtre dans un moment où ce dernier était caractérisé par des pratiques disparates qui n'en donnaient pas toujours une image très noble (comédiens ambulants, farces). Il invoqua donc la possibilité de donner un caractère didactique et édifiant à la scène. Et la démarche est encore semblable pour Brühl en 1831, lorsqu'il parle de ces "moralistes respectables mais sévères qui veulent condamner tous les théâtres" 174 avec lesquels il ne peut être d'accord. Brühl a ressenti, même après les efforts et les succès d'Iffland en ce sens, la nécessité de lutter encore pour défendre la grandeur et l'utilité du théâtre qui n'est pas seulement un lieu de détente et de plaisirs vulgaires. En 1831, Brühl affirme encore que le théâtre doit être

‘non pas un tour de prestidigitation fallacieux, une pâle excitation des yeux et des sens, mais l'image mobile et fidèle de ce qui s'est produit dans le monde ou s'y produit encore. 175

De façon très pragmatique, et comme l'avait fait Iffland, Brühl s'efforça en premier lieu de mettre de l'ordre dans l'organisation et les pratiques des théâtres de Berlin. Puis il s'efforça d'en faire une institution au service de l'art, des artistes, du public. Nous voyons cependant que le théâtre n'est plus "tribune", mais une institution dépendant du pouvoir qui la gère. Mais plus qu'Iffland, Brühl avait particulièrement à cœur un point précis, lié à la question de la dignité du théâtre : le statut du théâtre et de ses composantes comme art.

Valeur artistique de la scénographie.

Ce point nous amène à une autre idée essentielle de la conception de la scénographie et du théâtre pour le comte Brühl, une idée qui transparaît ci-dessus, et que Brühl ne cesse de répéter dans les préfaces des différents ouvrages de gravures : pour lui, costumes et décors doivent être réalisés selon les règles de l'art, car le théâtre lui-même est une institution artistique" (Kunstanstalt). 176 Dans sa préface aux gravures de costumes, dès le premier paragraphe, Brühl s'adresse aux "amis de l'art" :

‘[Le Théâtre de Berlin] croit pouvoir s'autoriser de principes et de conceptions esthétiques qui ont fait leurs preuves, et on peut de ce fait donner aux amis de l'art l'assurance certaine qu'aucune directive en matière de costumes et de décor n'est donnée sans mûre réflexion, sans examen détaillé, sans recherche des meilleures sources, sans consultation fréquente d'artistes et d'amis de l'art. 177

La scène est une "image vivante" (lebendes Bild) affirme Brühl, et pour cela il faut suivre les règles d'agencement d'un tableau (coloris, disposition des personnages) en réalisant décors et costumes, et reproduire le vrai, sans ostentation. La réflexion de Brühl pose la question du décor comme œuvre d'art indépendante. Sa réflexion sur l'art au théâtre pose aussi la question de la représentation comme œuvre d'art et la question des costumes et décors comme partie intégrante du spectacle. Il semble que Brühl ne conçoive pas encore clairement la représentation comme une œuvre unique, ce que feront les metteurs en scène à partir de la fin du XIXe siècle (nous voudrions revenir sur ce point dans notre dernière partie).

La volonté de traiter la décoration comme un art a eu des conséquences pratiques : l'imitation des peintres et des œuvres d'art.

‘La toile et les couleurs ne reviennent pas plus cher si on les utilise à la manière d'un Claude Lorrain, Poussin, Ruysdael ou Schinkel, au lieu de laisser un peintre de décors les couvrir de ses ébauches banales, comme c'est presque toujours le cas. 178

La demande de Brühl fut réalisée au pied de la lettre puisque le décorateur Karl Gropius créa plusieurs décors d'après des toiles de Poussin et Le Lorrain. Le choix de Poussin, représentant de la rigueur historique, du respect du costume au sens étymologique (cf. l'article "costume" de l'Encyclopédie de 1748) n'est donc pas arbitraire. Ce n'est pas seulement le respect d'architectures ou de lignes de vêtements anciens qui entre ici en compte, c'est aussi un choix de coloris plus doux et plus nuancé, plus réaliste que Brühl continue de poser en modèle. En 1801 pourtant, A. W. Schlegel avait qualifié Poussin de peintre "froid","sans génie" et "savant". 179 On voit que Brühl ne tient pas compte de cette prise de position et continue de prendre le peintre classique français comme modèle. Dans la pratique, ce choix esthétique de Brühl devait faire des décors des éléments indépendants dans le spectacle. Toutefois, dans sa théorie, Brühl n'évoque pas cette conséquence, et cet attachement à d'autres artistes apparaît plutôt comme un garantie de la qualité du travail effectué.

Les règles de l'art auxquelles pense Brühl sont diverses, mais la première est bien sûr la reproduction fidèle de la "vérité", de la réalité empirique. Pour Brühl, l'art "imite la nature" (treue Nachahmung der Natur) ; et nous voyons que pour lui, science et art ne s'opposent pas. Le respect de cette vérité scientifique est même la garantie du statut d'œuvre d'art de la décoration. Dans l'esprit de Brühl, la vérité objective, empirique est la condition du plaisir des artistes et amateurs d'art.

Le traitement de la scénographie comme art est l'une des idées marquantes de l'esthétique défendue par Brühl. Elle vise sans doute plusieurs groupes de personnes. On sent dans les textes le désir de Brühl d'obtenir la reconnaissance des artistes et intellectuels, mais aussi de se défendre contre les attaques qu'il subit. Dans une perspective plus large, il désire poursuivre la lutte pour la reconnaissance de la valeur du théâtre en général à travers son statut d'œuvre d'art.

La question du goût et l'aspiration à une validité universelle.

Le choix de la "vérité", et donc de l'authenticité peut s'expliquer encore par le caractère relatif que Brühl attribue au "goût" qu'il distingue implicitement de la "vérité". Cette position de Brühl est d'abord la conséquence de la résistance de certaines comédiennes aux vêtements historiques, parce qu'elles préféraient porter des habits de scène plus proches des modes de leur temps, et du désir des acteurs de créer leur costume à leur gré et sans concertation.

‘Dès que le costumier de théâtre ne suit plus la vérité, […] il livre un terrain immense à la critique de tout un chacun, car qui est à même de décider, si tout est seulement une affaire de goût ?" 180

Ce passage laisse entendre le désir de Brühl de ne pas de prendre de risques, de ne pas s'exposer à une critique, de trouver une valeur refuge face à l'arbitraire (Willkür) des différentes composantes du théâtre : comédiens et comédiennes, critiques et public. "On ne peut faire grief au directeur du fait que l'on portait des vêtements long et larges au XIVe siècle et courts et serrés au XVe siècle," se défend Karl von Brühl, "ou du fait que la cour de Philippe II était vêtue de velours et de soie, l'entourage d'Arminius, en revanche, de peaux d'ours et de peaux de loups." 181 A travers le respect strictement fidèle de la réalité, Brühl vise une sorte de validité universelle et permanente. Il vise une validité universelle, globale de son principe puisqu'il défend le chemin choisi devant les critiques, devant l'ensemble du monde théâtral allemand, voire européen (les gravures et les conseils sont destinés aux autres directions de l'époque) ; Brühl revendique ce principe de la vérité en opposition à ce qui se fait en France, en Italie. Nous reviendrons plus loin sur cette dimension "nationaliste" de son choix esthétique. Il vise aussi la pérennité de son choix esthétique. Il n'est pas question de suivre la mode, car la mode change. Or, même si le temps passe, les données historiques sont immuables, et les costumes resteront donc valables tant que leur état de conservation permettra de les utiliser… Logiquement, le seul changement que le comte pourrait envisager est une amélioration de la scénographie après avoir accédé à une meilleure connaissance des données du réel (pour Brühl, il n'y a pas de relativité dans la vérité historique). Dans la pratique, Brühl choisit des tissus de qualité et des matières authentiques (qui coûtent cher) afin d'en permettre une plus longue conservation et une meilleure réutilisation. Il affirme travailler sur la longue durée, prévoit une rentabilité à long terme et déplore les restrictions budgétaires imposées par Wittgenstein.

Le strict respect de la vérité historique dans la scénographie permet effectivement dans l'absolu d'éviter toute contestation, mais elle empêche aussi toute fantaisie et expression personnelle. Brühl ne parle-t-il pas de "bannissement de tout maniérisme" (Verbannung aller Manier) dans la préface aux décors de Schinkel ? Peut-être peut-on voir dans l'aspiration à une vérité immuable de l'art, à une esthétique qui serait absolue et permanente, incontestable, la manifestation d'un esprit conservateur, à replacer dans le contexte historique du bouleversement politique et social que connaît l'Allemagne au début du XIXe siècle, une attitude conservatrice qui cherche dans l'art une stabilité ou des valeurs perdues dans le quotidien.

Das Charakteristische.

Il est encore un terme qui revient tout au long des textes du comte Brühl et que nous n'avons pas évoqué jusqu'ici : "das Characteristische" [sic !], que l'on peut traduire par "trait caractéristique". Qu'entend-il par cette notion ? 182 Brühl présente cet aspect caractéristique comme ce qu'il faut atteindre dans les costumes et la décoration :

Ce qui est caractéristique est ce vers quoi doivent tendre les directions des théâtres" ’ ‘[…] sur la scène berlinoise sans exception, seul ce qui est caractéristique est considéré comme juste et bon. 183

L'emploi qu'en fait Brühl le fait apparaître comme une autre manière de dire le principe de vérité historique. L'exigence est importante ; dans le Cahier de gravures n°10, rédigé vers 1821, Brühl déplore à nouveau les réticences des comédiens à accepter un costume caractéristique et s'en réfère à Goethe pour conforter sa position :

‘[…] si l'on avait encore besoin d'une autorité à ce sujet, on pourrait citer ici les mots de notre maître Goethe, qui, dans le troisième cahier du deuxième tome Del'art et l'Antiquité page 131 dit la chose suivante en parlant des efforts de la scène berlinoise : "ce qui est caractéristique est le meilleur fondement de l'art." 184

La citation est tout à fait exacte. En 1820, Goethe a fait paraître un article dans la revue De l'art et de l'Antiquité (Über Kunst und Alterthum) au sujet des décors de trois peintres-décorateurs de l'époque, A. Sanquirico, F. Beuther et K. F. Schinkel. Brühl lui avait fait parvenir les premiers cahiers de gravures de costumes et de décors berlinois, ce qui avait suscité à Weimar le désir de comparer le travail des trois artistes. Brühl fut tout heureux de trouver les quelques mots d'encouragement à la fin de l'article, de pouvoir s'appuyer sur une autorité reconnue pour se défendre, mais il s'est hélas mépris sur le sens exact de la formule de Goethe, qui contient aussi une mise en garde à demi-mot, comme nous aurons l'occasion de le montrer plus loin en présentant le point de vue de Goethe. Brühl n'a sans doute pas bien compris la pensée du "Maître" et a continué à défendre son principe d'exactitude historique en dépit des critiques rencontrées.

L'exigence ultime : l'unité de la représentation.

L'un des objectifs essentiels que Brühl a voulu réaliser est l'unité des décors et des costumes dans le spectacle.

‘Il est une exigence principale qui ne doit pas être négligée, l'harmonie la plus parfaite de tous les costumes dans une même pièce. Elle ne doit être pensé que dans un seul esprit, mise en scène que dans un seul style. C'est par là seulement que l'ensemble peut donner une impression de beauté. 185

Le respect de l'Histoire a pour but de permettre cette unité des costumes entre eux, avec les décors, entre le texte et l'aménagement extérieur, et sur ce point, Brühl a trouvé l'assentiment de Goethe. L'insistance de Brühl, son intransigeance s'explique alors par le fait qu'il n'a pas vu d'autre moyen de réaliser cette unité, qu'il n'a pu concevoir une unité qui se serait fondée sur d'autres éléments que les données scientifiques. Déjà Iffland avait demandé une unité entre texte, jeu et costume. Brühl inclut l'ensemble de la décoration, et même l'éclairage ; mais il lui manque la souplesse d'esprit pour percevoir pleinement que l'unité de l'œuvre d'art que devient la représentation n'est pas fondée uniquement sur des éléments extérieurs. Replacée dans le contexte de l'histoire du théâtre, la demande de Brühl semble annoncer l'importance que prendra à partir de la fin du XIXe siècle le metteur en scène, qui doit permettre par sa présence la réalisation de cette unité.

La présentation détaillée de la caractéristique principale du travail de Brühl et de ses implications fait maintenant surgir deux questions : l'application de la "vérité historique" des costumes a-t-elle connu des limites ? Et quelles furent les autres caractéristiques du travail de Brühl sur les costumes ? Comment a-t-il procédé pour les spectacles dans lesquels l'action se déroulait dans un monde imaginaire ? A-t-il accordé de l'attention au caractère et à la psychologie des personnages, comme le faisait Iffland ?

Les limites de l'application de la vérité historique.

L'étude des points précédents a montré combien le respect de la vérité historique et scientifique dans la scénographie semble être pour Brühl une exigence absolue, et son intransigeance se manifeste à plusieurs reprises. "Faire les choses à moitié est plus préjudiciable que de s'écarter radicalement de la vérité", affirme Brühl, en critiquant "le compromis avec les modes régnantes". 186 Pourtant deux passages contiennent une allusion à des limites possibles de l'application de la vérité historique. "La stricte vérité des costumes ne doit pas toujours être appliquée inconditionnellement et sans quelque modification", concède-t-il dans le deuxième paragraphe de la préface aux gravures de costumes. 187 En 1831, il s'exprime dans le même sens : "il est vrai que [le directeur de théâtre] ne doit ni ne peut dans ses œuvres représenter la nature dans sa plus stricte vérité" 188 , explique Brühl, demandant toutefois que la nature et l'art soient mêlés de telle façon que la représentation de la nature apparaisse comme vérité. Hélas, il ne livre aucune explication plus concrète, et il nous faut ici émettre des suppositions. Quelles purent être les limites à la reproduction exacte du réel ? Plusieurs cas de figure se présentèrent, d'ordre esthétique, social, voire éthique. Après les avoir présentés, nous aborderons un instant la question du costume des personnages merveilleux et fantastiques.

Brühl écrit dans le cahier n°15, qui présente des costumes de personnages indiens dans l'opéra Fernand Cortez, que "l'on est devenu dernièrement bien plus tolérant sur la scène" et ajoute :

‘Cette tolérance est visible aussi dans d'autres cas, lorsque l'on ne trouve plus inconvenant de montrer de vrais uniformes, voire des décorations. 189

Ce passage nous indique la censure qui régnait auparavant concernant certains insignes, notamment ceux qui étaient encore en usage. 190 Dans la suite du texte, Brühl réitère la demande que la scène soit le portrait exact de la vie ; nous avons déjà vu qu'il reproduisait méticuleusement des insignes et attributs de personnages historiques. Il est vrai que dans certains cas particuliers, des raisons religieuses ont empêché la stricte reproduction du réel sur la scène, par exemple s'il s'agissait d'objets ou d'éléments du culte plus particulièrement importants. La question se posait dans la Pucelle d'Orléans pour le défilé du couronnement de Charles VII.

La "beauté" des décors et costumes apparaît ensuite comme un correctif possible à la rigueur historique. Les passages suivants se trouvent dans les préfaces rédigées par Brühl : il "faut satisfaire aux exigences de l'art et de la vérité tant que possible en union avec le beau" ; "il ne faut pas laisser la règle de la beauté hors de vue." 191 Or, les auteurs qui intervinrent dans le débat sur la scénographie critiquèrent à plusieurs reprises le manque de beauté des costumes crées par Brühl (L. Tieck, d'autre auteurs plus anonymes dans les journaux). Pour déterminer si Brühl a respecté la règle de la beauté ou non, il faudrait d'abord clarifier ce qui est considéré comme beau. Sa compréhension du terme correspond-elle à celle les comédiens, du public, aux normes esthétiques des mouvements de l'art à la même époque ? Encore une fois, Brühl lui-même ne précise guère quelle est cette beauté… sinon peut-être celle de la vérité historique !

La "beauté" signifie d'abord la décence des costumes. Brühl montre un esprit ouvert devant le problème de la nudité posé par les costumes américains, indiens et égyptiens. Il a tenté de découvrir les corps là où l'histoire l'exigeait, mais en corrigeant habilement les costumes afin de cacher la poitrine des comédiens par des bandeaux, des bijoux. 192 Dans une lettre au critique Böttiger, il se justifie après avoir reçu des critiques dans l'un des journaux berlinois, Der Gesellschafter. L'éditeur Friedrich Wilhelm Gubitz lui reprochait l'indécence des costumes. "J'avais allié le plus possible la beauté à l'exactitude", se défend Brühl, " mais bien évidemment je n'ai pas laissé voir de nudités […]". 193 Cette affirmation de Brühl nous confirme que la "beauté" des costumes signifie bien leur décence et qu'une certaine ligne n'a pas été franchie. Brühl a toutefois beaucoup exigé des acteurs, par exemple en leur demandant de revêtir des tissus très fins pour changer leur couleur de peau (tricot). Il a demandé aux actrices de cacher leurs cheveux, ce qui les a scandalisées. L'illustration ci-dessous présente trois costumes de l'opéra Nittetis (d'après un livret de Metastase, musique composée par le baron Poißl) qui fut donné pour la première fois en 1819. On reconnaît la méticulosité de Brühl à l'attention portée aux accessoires, aux objets de culte (croix d'Ankh), aux motifs décoratifs. C'est justement pour le costume de la prêtresse Beroé que Brühl demanda à l'actrice de couvrir complètement ses cheveux avec la coiffure traditionnelle.

Amasis dans l'opéra Nittetis. Beroé en vêtements religieux dans l'opéra Nittetis. Sammetes dans l'opéra Nittetis.
Amasis dans l'opéra Nittetis. Beroé en vêtements religieux dans l'opéra Nittetis. Sammetes dans l'opéra Nittetis.

Cahier n°11. Numéros 81, 85 et 82.

Pour les comédiennes, les lignes de la beauté étaient les lignes des vêtements de l'époque (manches bouffantes, taille haute, coiffure, chaussures plates). Brühl aurait voulu faire disparaître ces signes du présent, mais il n'y est pas arrivé. Il fit certaines concessions là où les lignes des costumes historiques étaient par trop différentes (la taille basse des costumes espagnols et la raideur du corset ne fut pas appliquée). Ses commentaires témoignent des protestations des comédiennes. Il concède qu'il faut être indulgent pour les comédiennes, "là où cela est possible sans nuire à la vérité, il faut bien faire quelques concessions aux femmes et ne pas laisser hors de vue la règle de la beauté, cependant ce qui est juste ne doit pas devenir une erreur parce que l'on a cédé par faiblesse." 194 Ces propos résonnent véritablement comme une concession faite à contrecœur.

Il faut poser la question d'une idéalisation esthétique comme limite à la reproduction exacte du réel, notamment en regard des styles artistiques du début du XIXe siècle (style néo-classique). L'éditeur Gubitz que nous évoquions ci-dessus, réclame dans son article que "ce qui est correct soit corrigé par l'idéal" et estime que "de faire cela avec goût est bien plus difficile qu'une copie". 195 En concédant que le directeur de théâtre ne peut reproduire la "nature dans sa plus stricte vérité" (die Natur in strengster Wahrheit), Brühl prouve qu'il fait une différence entre le beau et le vrai. Mais les différents exemples cités ci-dessus semblent indiquer que Brühl n'a pas voulu reproduire la "belle nature" idéalisée qu'exigeaient certains théoriciens du XVIIIe siècle. Nous pensons qu'il n'y a pas eu amélioration de la vérité historique dans le sens de canons esthétiques particuliers, mais il est possible qu'il y ait eu une censure inconsciente de certaines formes ou de certains motifs. Iffland avait rejeté la saleté et la difformité sur la scène. Certes, la réalité historique créée par Brühl n'est ni sale, ni miséreuse. Cette situation est liée aussi au répertoire. Pour voir une autre réalité sur la scène, il faudra attendre le naturalisme, et les auteurs et les metteurs en scène du XXe siècle. 196 La conclusion qui se dégage sur la question des limites de la vérité historiques est plutôt que Brühl a essayé de repousser le plus possible les limites éthiques et esthétiques que la société du début du XIXe siècle imposait dans la reproduction de la réalité.

Eléments du merveilleux, cas des personnages fantastiques.

Un certain nombre de pièces dont l'action est située en dehors de l'Histoire furent représentées sur la scène de Berlin, des pièces dont l'action n'est pas liée à une époque précise, les pièces dont l'action et les personnages sont complètement imaginaires. Certes Brühl a créé quelques costumes fantastiques, comme nous le verrons ci-dessous, mais dans l'ensemble, il fit en sorte que les costumes de personnages fantastiques gardent quelque chose d'historique. Voici deux exemples de la façon dont Brühl procède. Il s'agit d'abord d'une comédie espagnole de Moreto (XVIIe siècle), dont le sujet n'est pas historique :

‘Le sujet de la comédie Donna Diana n'est certes aucunement historique, de ce fait cette pièce n'exige pas une authenticité aussi rigoureuse dans les costumes, cependant, comme il a été jugé juste d'après les principes adoptés ici [à Berlin] de partir de quelque chose de vrai même dans le cas de costumes fantastiques, afin de produire une unité pour l'ensemble des figures d'une pièce, c'est ainsi que l'on a pris comme échelle de mesure le type de vêtement qui était porté au XVIe siècle au temps du chevalier Gaston de Foix […]. 197

Les raisons qui ont confirmé Brühl dans ce choix esthétique sont le désir de réaliser l'unité du spectacle. H. Schaffner juge que "l'objectif de Brühl est ici aussi de produire un costume homogène, et il croit de nouveau ne trouver cette unité que dans un costume authentique, car il veut pas s'en remettre aux caprices de l'imagination." 198 On touche peut-être ici aux limites des capacités de Brühl lui-même, non inspiré pour trouver cette unité dans des costumes merveilleux. Dans le cas de l'opéra Alcidor, il tâche de respecter les réalités géographiques :

‘Alcidor est en fait un opéra merveilleux, et par conséquent la stricte exactitude du costume n'est pas ici nécessaire ni applicable, toutefois l'ordonnateur (des costumes) a cru ne pas faire d'erreur en gardant les traits caractéristiques de l'Inde, puisque la scène a été placée par le poète dans ce pays. 199
Oriane dans l'opéra merveilleux Alcidor.
Oriane dans l'opéra merveilleux Alcidor.
Alcidor dans l'opéra du même nom.
Alcidor dans l'opéra du même nom.

Les costumes des gravures ci-dessus présentent effectivement quelques traits indiens (le spencer et le croisement de la veste, le tissu moucheté). Le costume d'Oriane révèle à la fois des erreurs et l'effort de Brühl de recréer un costume indien qu'il connaissait mal. La coiffure avec ses petites plumes blanches est plus fantastique. Il est possible, ce que Brühl ne dit pas, qu'un goût de la cour et du public pour des costumes et décors exotiques ait motivé les décisions du comte en dehors de son attachement à un principe réaliste. Ce phénomène d'historicisation du merveilleux et de l'intemporel n'est toutefois pas le seul fait du directeur des théâtres berlinois ; Diana de Marly, auteur d'une histoire du costume de théâtre en Angleterre, cite l'exemple d'Hamlet au début du XIXe siècle : on attribue une période très précise à la pièce, celle que l'on suppose être la bonne, le IXe siècle, et cette attribution lance les recherches pour retrouver les vêtements du IXe siècle au Danemark (pendant que le décorateur s'efforce de recréer l'architecture danoise du IXe siècle.) Brühl procéda de façon analogue et l'on voit qu'il se retrouve dans des situations absurdes lorsqu'il déplore le manque de documentation sur une époque et s'excuse de l'inexactitude possible des costumes, alors que personne (à part quelques spécialistes) dans le public n'a de connaissances ni d'exigences à ce sujet. Ce point reviendra dans la critique effectuée par les Romantiques.

Karl von Brühl a cependant créé quelques costumes que l'on peut qualifier d'imaginaires, lorsque le répertoire l'exigeait absolument, tels les opéras Nurmahal et Alcidor. Nous pensons ici au génie de la source Djindara dans Nurmahal, ou au prince des esprits de l'air, Almovar, et au prince des esprits de la terre, Ismenor, dans Alcidor. Brühl précise aussi que le costume de la Reine de la Nuit dans la Flûte enchantée est tout à fait "imaginaire" (phantastisch), mis à part la tiare qui rappelle celle des reines du Moyen-Orient. Ces costumes "fantastiques" contiennent en général des éléments allégoriques et nous permettent de faire la transition vers une dernière caractéristique des costumes du comte Brühl.

Autres aspects du travail de Karl von Brühl : Caractérisation des personnages et utilisation de couleurs symboliques.

Les costumes du comte Brühl ont encore d'autres caractéristiques que l'indication de la période historique et du rang des personnages, même si elles sont moins développées et moins visibles. Brühl a accordé de l'importance à une autre fonction du costume : celle de révéler le caractère du personnage. Schaffner qualifie cet aspect du personnage, les traits de caractère et l'état d'esprit (Stimmung), de "caractéristique intérieure", qu'il distingue des "caractéristiques extérieures" que sont le respect de l'époque et de l'appartenance sociale du personnage. Cette indication du caractère se fait principalement au moyen de la couleur, parfois des accessoires. Un autre aspect du travail de Brühl sont les traits allégoriques (indiqués notamment par la couleur) qu'il a donné à quelques personnages. Nous en citerons quelques exemples. Finalement il faut prendre en compte un dernier aspect du travail de Brühl : le fait qu'il a de nombreuses fois choisi les costumes des personnages dans leur relation les uns aux autres, et ici la couleur joue encore une fois un rôle important.

La critique a déjà relevé ces autres formes de travail sur les costumes : ainsi Heinz Kindermann juge que l'attention au milieu temporel ou social est la plus importante, mais ajoute que "là où l'on ne pouvait éviter de prendre en compte les particularités de caractère, on procéda à l'aide de couleurs symboliques". Le jugement de Kindermann, qui ne pouvait certes développer cet aspect dans son Histoire du théâtre européen est juste, mais nous voulions quand même préciser les choses et surtout, alors que le commentaire de Kindermann est plutôt dépréciateur, présenter le travail sur les couleurs comme quelque chose d'intéressant notamment dans le cas où elles sont symboliques. L'analyse antérieure d'H. Schaffner est plus exacte et plus approfondie. Schaffner distingue d'abord quatre utilisations (autres qu'historiques) de la couleur des costumes : tout d'abord le cas où la couleur n'a pas de valeur symbolique, mais a été choisie "pour des considérations pédagogiques" (aus Bildungserwägung) ; ensuite les costumes où la couleur "acquiert une valeur symbolique" (die Farbe gewinnt Symbolwert) ; dans le cas de certains costumes, la couleur signale l'état d'esprit dans lequel se trouve un personnage (die Farbe wird zum Stimmungsträger) ; finalement la couleur a une signification allégorique (die Farbe hat allegorische Bedeutung). 200 Le premier point, l'idée de considérations pédagogiques, n'est pas clair à nos yeux, et les exemples donnés par Schaffner nous paraissent discutables. En revanche, nous dirions que parfois la couleur ou les motifs décoratifs n'indiquent pas tant le caractère que l'essence du personnage et les exemples auxquels nous pensons (Ondine, la Reine de la Nuit) se recoupent avec ceux que Schaffner range dans le troisième groupe (sens allégorique de la couleur). Nous avons également voulu étudier si Brühl a travaillé dans la continuité des théories d'Iffland et de la fin du XVIIIe siècle, c'est-à-dire si la couleur choisie est réaliste, si elle est la conséquence rationnelle de la psychologie du personnage (par ex. le choix de couleurs voyantes par une personne très extravertie), non déterminée arbitrairement par le costumier et donc non symbolique. Cette différence entre le choix d'une couleur "réaliste" ou "symbolique" est parfois difficile à déterminer. Nous allons expliquer notre pensée par quelques exemples qui nous semblent les plus marquants. Si nous insistons sur cet aspect du travail de Karl von Brühl, c'est parce que nous pensons que ce travail sur la couleur, ou encore sur les signes allégoriques, n'est pas anodin dans l'évolution qui a conduit à l'arrivée de la mise en scène, en ce sens qu'il enrichissait la fonction du costume, et en diversifiait les signes  les costumes de Brühl sont une étape de plus dans cette direction.

Brühl s'est expliqué lui-même sur le sujet dans ses commentaires sur les gravures de costumes, ainsi cela nous permet de mieux comprendre les différents cas de figure. Dans le premier cahier de costumes, Brühl donne une indication générale :

‘Les couleurs ont, le plus possible, été choisies d'après la particularité des caractères qui doivent être représentés, c'est pourquoi il est possible qu’elles apparaissent de temps à autre vives et tranchantes. 201

Dans un autre endroit, au Cahier n° 9 qui contient les gravures des costumes de Torquato Tasso de Goethe, le comte précise de nouveau : "on a cru devoir adapter le plus possible les couleurs au caractère des personnages". 202 Brühl ne dit pas s'il a appliqué régulièrement ce principe, mais au vu des différents exemples dans les commentaires, nous supposons qu'un certain nombre de costumes peuvent être lus dans cette perspective, même si Brühl n'a pas toujours mentionné le sens des couleurs et accessoires attribués.

Cependant, plus loin dans les commentaires, dans le Cahier n° 14 sur Wallenstein, une nouvelle affirmation du comte montre bien qu'il ne s'agit pas d'une obligation, d'un principe aussi catégorique, aussi élaboré que celui de la vérité historique, et nous livre une explication à cette façon de procéder :

‘Bien que le choix des couleurs ne puisse se faire toujours et inconditionnellement d'après les traits distinctifs des caractères qui doivent être représentés, le costumier cependant a certainement bien raison d'y accorder une attention particulière. Cela facilite forcément son affaire et donne au spectateur l'occasion de juger du caractère du personnage déjà d'après son apparence extérieure. 203

Le principe de la définition du caractère par la couleur est loin d'être aussi réfléchi et théorisé que celui de la vérité historique. Dans aucune des trois citations ci-dessus, Brühl ne parle lui-même de symbole. Quant à la nécessité de la lisibilité du costume, elle est donc exprimée chez Brühl comme chez Iffland.

Un premier exemple très parlant que nous reprenons à la suite d'Hermann Schaffner est celui du Duc d'Albe dans le Don Carlos de Schiller.

‘De la soie rouge sombre garnie de velours de même couleur semblait appropriée au caractère sérieux et cruel de cet homme, de même que le manteau de velours noir garni de rouge. Pour l'habit d'un homme de guerre taciturne, on a voulu éviter les décorations d'or et d'argent. Seule la grande chaîne de la Toison d'Or signale son haut rang. 204

La couleur du costume est ici symbolique, c'est-à-dire que ce n'est pas le personnage Albe lui-même qui a choisi cette couleur, d'autant plus que la couleur officielle du vêtement des Grands à la cour d'Espagne au XVIe siècle est le noir. Le costume révèle la vision que Brühl 205 a du personnage. L'absence volontaire des broderies et l'unique et imposant bijou  l’ordre de la Toison d'Or  viennent ici compléter le choix de la couleur. Cependant, si la couleur est tout à fait symbolique, l'absence des décorations signale l'attention à un trait psychologique du personnage, et relève donc plutôt du "réalisme psychologique" tel que le pratiquait Iffland. Face au Duc d'Albe, le jeune prince Don Carlos, est tout vêtu de satin blanc, et cette couleur est à nouveau symbolique : "Pour le caractère serein et pur de Carlos, il a paru le plus approprié de choisir un vêtement blanc et or." 206 Brühl a ajouté au costume du Marquis de Posa, entièrement vêtu de noir, une grande croix blanche "qui donne quelque chose de très solennel à cet habit." 207 C'est toute l'apparition de Posa qui lui donne une grande noblesse et aussi une forme d'austérité (ici le noir est au service de la grandeur). Posa, l'homme d'action, montre des traits de caractère inverses à ceux du prince Carlos. Nous voyons que Brühl travaille les couleurs les unes par rapport aux autres, et les différences entre les costumes des trois hommes font bien ressortir une certaine lecture de la constellation des personnages. (cf. illustrations complémentaires à la fin de cet ouvrage.)

Dans La Pucelle d'Orléans, Jeanne d'Arc porte d'abord, et pour plusieurs raisons (notamment historiques), une robe rouge. Mais, lorsque Jeanne l'échange pour une robe blanche à l'occasion de la procession du couronnement de Charles VII, Brühl mentionne bien qu'elle n'a plus besoin de ce "vêtement couleur de sang" (das blutfarbige Gewand), puisque les armes ont été déposées  plusieurs significations se superposent ici.

Brühl travaille aussi à faire apparaître le caractère du personnage par l'assemblage ou le contraste des couleurs. Voici le costume du personnage de Buttler, dans la Mort de Wallenstein de F. Schiller (Cahier n° 14) :

Costume du personnage de Buttler, dans la
Costume du personnage de Buttler, dans la Mort de Wallenstein de F. Schiller (Cahier n° 14) :
‘On a choisi la couleur rouge pour l'habit de Buttler, car bien qu'Irlandais de naissance, il commandait un régiment de cavalerie légère. On a donc pensé ne pas faire de faute en lui donnant les couleurs de l'armée anglaise. [Suit une description avec détails de type historique.] Il a semblé approprié, et convenant bien au caractère de Buttler de choisir une couleur criarde pour son habit, c'est pourquoi son collet 208 rouge est garni de noir, son gilet en cuir est rayé de noir, et on lui a même donné des gants noirs. 209

Il faut noter ici que Brühl tente pour le personnage Buttler une sorte de fusion entre les deux principes du respect de la vérité historique (les conventions militaires) et de la caractérisation du personnage. Le choix de Brühl ne trouva pas l'assentiment du critique Karl August Böttiger. Il trouvait le costume de Buttler "trop fleuri et trop chargé" pour "une tête grise tenace sortie du rang et qui méprisait sûrement tous les colifichets". 210 Cette description de Böttiger est encore faite dans le même esprit que celui de l'analyse qu'il avait faite du jeu d'Iffland et de ses costumes en 1796. Les costumes y sont présentés comme hyperréalistes et signes de la psychologie du personnage. Brühl répondit en donnant sa propre description du caractère de Buttler. Toutefois, le choix qu'il fit du contraste entre des décorations noires et le rouge, ne semble guère réaliste.

Un autre personnage encore, Donna Diana, dans la pièce Donna Diana (El Desden con el desden) de Moreto, possède dans son costume des signes que l'on peut qualifier de symboliques. Donna Diana ne veut donner son cœur à aucun homme. En signe de son indifférence, Brühl a choisi pour elle une robe blanche. Au cours de l'action, Diana s'éprend pourtant de Don César. Voici la troisième robe du personnage, portée à l'occasion d'une fête.

‘La couleur blanche reste la propriété de Donna Diana, sauf qu'elle est ici décorée de pourpre ardente comme couleur du désir. La ceinture nouée négligemment, presque détachée, n'est pas non plus un ajout anodin. Les manches larges font voir les bras dénudés tout en respectant tout à fait l'exactitude du costume. Les ardentes fleurs de grenadier autour de la tête et sur la robe ont été choisies avec préméditation. 211

Dans la suite du texte, Brühl présente d'autres détails du costume comme issus du choix du personnage, et on peut poser encore une fois la question de la nature réaliste ou symbolique des signes. Ici, dans le cas de Donna Diana, les signes (couleur brûlante, ceinture détachée) nous semblent à la fois entrer dans la logique du personnage, mais venir aussi de l'interprétation du costumier et être un signal pour le spectateur. Il y a une accumulation (non réaliste) de signes ; sur la robe, dans les cheveux, ainsi ils deviennent des symboles, les symboles du désir de Donna Diana, convenus entre un "metteur en scène" et le spectateur.

Un autre exemple est celui d'Egmont, dans le drame de Goethe du même nom. Dans son costume, la couleur indique sans conteste le caractère du personnage, mais la nature du signe, symbolique ou réaliste, est moins claire. Le jeune homme est vêtu d'un collet beige et de chausses rouges, d'élégantes bottes noires garnies de dentelles ; il porte un large chapeau clair avec une plume et toute son allure est marquée par l'élégance, la jeunesse, le désir de séduire. Brühl remarque que les couleurs ont été choisies d'après un portrait d'un jeune homme de l'époque. L'attention à la vérité historique est toujours présente, et la nature des couleurs et le choix des matières (dentelle) sont déjà plus réalistes, en ce sens que le personnage lui-même désire mettre de l'éclat dans son apparence. Brühl concède dans son commentaire que l'assemblage des couleurs peut paraître trop contrasté, mais que cela correspond au caractère du personnage qui évoque lui-même avec dérision les "loques colorées" dont il est vêtu (bunte Lumpen). Brühl détaille plusieurs éléments du costume, la veste demi-ouverte qui laisse entrevoir la dentelle blanche, les rangées caractéristiques de petits boutons argentés. Nous estimons que ce choix de détails historiques fut réussi dans ce cas précis, car il rend très bien l'image d'un jeune homme fringuant. Bien sûr on peut dire aussi que la luminosité des couleurs indique de façon symbolique le caractère insouciant et conquérant du jeune prince. Brühl joue aussi dans cette pièce sur les contrastes entre les personnages. (cf. illustrations complémentaires.) Ainsi, Guillaume d'Orange est vêtu de noir. Brühl explique :

‘Pour Orange, un habit noir a été choisi, garni de velours noir, avec des nœuds et des manches bouffantes de couleur orange, et un large baudrier orange brodé d'argent, et ce, non seulement parce que le noir était le vêtement préféré et l'habit officiel des classes aristocratiques aux Pays-Bas, mais pour donner à la silhouette d'Orange en opposition à celle d'Egmont quelque chose de plus sérieux, de plus posé. 212

La couleur orange est une allusion directe au nom du personnage. Le noir est à la fois historique et symbolique et nous nous trouvons une fois de plus devant un exemple de double nature des signes du costume.

Un autre personnage de la même pièce, un personnage du peuple, un tailleur (der Schneider) porte un vêtement constitué de plusieurs étoffes, et Brühl explique que cela indique le métier de l'artisan qui n'a pas hésité à se servir au moment de réaliser les commandes pour les clients. Cette remarque est en revanche faite dans l'esprit des théories réalistes d'Iffland. Brühl a donc eu recours à plusieurs pratiques différentes.

Nous voudrions évoquer maintenant un autre type de costumes, ceux qui traduisent l'essence du personnage ou contiennent un aspect allégorique, notamment à travers leur couleur. C'est le cas de la robe d'Ondine "en satin bleu clair et argent, brodé de perles 213 dans l'opéra du même nom de Friedrich de la Motte-Fouqué et d'E. T. A. Hoffmann, qui est une allusion à l'élément naturel qui constitue l'origine d'Ondine (cf. illustrations complémentaires). Ce sens n'est pas noté explicitement dans les commentaires, et il s'agit ici de notre propre interprétation.

On peut penser aussi au costume de la Reine de la Nuit, dans la nouvelle production de la Flûte enchantée de 1816, dont la robe de velours noir est constellée d'étoiles argentées brodées. Hermann Schaffner classe déjà ce costume parmi ceux dont la couleur est allégorique. En effet, la Reine de la Nuit apparaît bien comme une personnification des forces obscures (opposée à l'esprit éclairé qu'est Sarastro, dont les vêtements sont rouge, blanc et or). Un article de l'architecte Louis Catel paru le 10 février 1816 dans la Berlinische privilegierte Zeitung (Vossische Zeitung) confirme cette lecture de l'œuvre, et nous indique que cette lecture devait sans doute être celle de la majeure partie du public.

Un autre exemple nous paraît intéressant : Jeanne d'Arc, dans la Pucelle d'Orléans porte au moment des scènes de bataille un costume tout à fait historique, une armure sur une robe rouge, nous avons vu plus haut que cette couleur rouge possède aussi une signification symbolique (le sang, la guerre). Brühl a également donné à Jeanne un attribut qui donne au personnage une dimension surnaturelle :

Jeanne d'Arc, dans la
Jeanne d'Arc, dans la Pucelle d'Orléans
‘Il n'a pas semblé faux de lui donner une épée flamboyante, et d'évoquer en cela les représentations des archanges porteurs d'armes tels qu'ils apparaissent dans plusieurs tableaux. 214

Le costume transmet une certaine interprétation du personnage, voire du message de la pièce, interprétation que nous pouvons préciser. L'épée flamboyante donne d'abord une dimension allégorique au personnage, qui devient une personnification de la justice ; ensuite la comparaison avec l'archange qui chasse les pécheurs du Paradis fait paraître Jeanne comme un être surnaturel, et renforce l'idée de la mission salvatrice donnée à Jeanne qui chasse miraculeusement les Anglais de France ; elle souligne une lecture manichéenne des événements. Une lecture plus idéologique du choix de ce costume est sans doute possible. On peut se demander si Brühl n'a pas effectué une transposition : Comme le peuple allemand désire fonder une seule nation qui ne soit pas régentée par des forces étrangères (Napoléon, par exemple), il est identifié ici au camp des Français qui se défendent contre les Anglais.

Nous avons déjà vu plusieurs exemples dans lesquels Brühl travaille sur plusieurs personnages d'une pièce, en déterminant leurs costumes les uns par rapport aux autres. Brühl a beaucoup exploité les possibilités d'expression qui naissent du contraste entre les costumes. Nous voudrions citer encore un exemple de spectacle dans lequel une couleur choisie intentionnellement crée une unité entre les costumes, voire l'unité de l'ensemble du spectacle. Il s'agit du Freischütz de K. M. von Weber, dont la première eut lieu à Berlin le 18 juin 1821. Tous les costumes des personnages sont réalisés dans des tissus verts, sauf pour les demoiselles d'honneur d'Agathe :

‘Les personnages principaux de cet opéra sont tous des chasseurs, par conséquent tout le monde est vêtu de vert, avec seulement des nuances différentes. 215

Cette couleur verte, ainsi que l'ensemble des costumes choisis par Brühl possèdent un sens plus profond. Nous reviendrons sur le sens de la couleur verte dans un instant, après avoir présenté les costumes plus en détail. Les lignes des costumes sont historiques (XVIIe siècle), même si Brühl reconnaît qu'il n'était pas question ici d'un "fait historique" (ein historisches Faktum) ; en cela il ne s'éloigne pas de son principe favori. Afin de différencier les personnages, Brühl attribue des couleurs différentes aux doublures des vestes, ou aux jupes des femmes, et varie les éléments décoratifs. Tous ces éléments sont significatifs. Il fait ressortir à la fois leur rang social et leur importance dramatique dans la pièce (un col garni de dentelle pour le duc Ottokar, des manches jaunes  couleur lumineuse  pour le jeune premier Max). Brühl mélange tous les genres de signes : signes "réalistes" lorsque les chasseurs ont tous fixé des feuilles de chênes à leurs chapeaux dans l'espoir d'une chasse heureuse ; des signes symboliques quand Caspar porte une veste à manches noires et une petite plume de coq rouge à son chapeau en signe de son attachement à un personnage particulier du nom de Samiel que l'on peut identifier au diable.

Cuno dans l'opéra Le Freischütz.
Cuno dans l'opéra Le Freischütz.
Agathe en tenue domestique dans l'opéra Le Freischütz.
Agathe en tenue domestique dans l'opéra Le Freischütz.
Annette dans l'opéra Le Freischütz.
Annette dans l'opéra Le Freischütz.

Voici maintenant comment Brühl a déterminé le costume d'Agathe, la fiancée de Max :

‘Il a semblé indispensable de donner un aspect presque campagnard à la fille du forestier vivant à la campagne au milieu de la forêt par […] la coupe du vêtement, la petite coiffe noire, et les manches de chemise. Il serait très inadéquat de l'orner plus. La robe est bien sûr en drap de laine vert, garni de manchester vert-sombre. […] la petite croix attachée au cou ne doit pas faire défaut. 216

La simplicité du costume d'Agathe correspond à sa personnalité très intérieure et effacée. Pour caractériser le personnage d'Annette (Ännchen), et marquer la différence de personnalité avec Agathe, Brühl lui donne la même forme de costume, mais avec une jupe rouge, signe de sa vivacité, de sa joie de vivre. Cette démarche est tout à fait consciente et Brühl s'en explique dans les commentaires. Cette caractérisation n'est pas novatrice, et l'on retrouve ici les traces du système des types qui sont d'ailleurs inscrites au sein du livret même. Pour la robe des fiançailles d'Agathe, Brühl a volontairement choisi un tissu de laine, car "dans les monts de Bohême on ne se serait pas permis de vêtir une fille de forestier avec une robe de soie." 217 La blancheur de la robe des fiançailles correspond à la pureté du personnage, mais nous voyons aussi que Brühl a voulu bannir toute forme de luxe de cette "mise en scène". Or, cette simplicité sur laquelle Brühl insiste tant est essentielle. Il faut resituer le spectacle dans le contexte des événements théâtraux à Berlin. Le Freischütz est donné un mois après la création de l'opéra Olimpia de Gasparo Spontini, une commande royale pour laquelle de grandes dépenses furent effectuées, notamment pour la scénographie. Schinkel livra plusieurs décors et Brühl créa des costumes somptueux. La "mise en scène" du Freischütz contraste donc fortement avec celle d'Olimpia. Les représentations des deux œuvres ont des implications d'ordre esthétique et idéologiques plus profondes. L'œuvre de Spontini et la mise en scène complexe qu'elle exigeait ont été comprises par Brühl et une partie du public comme un style étranger qui ne représentait en rien la culture allemande. Au contraire, le Freischütz fut qualifié d'emblée d'œuvre "nationale", et Brühl s'est efforcé à travers ses costumes de rendre justice à la dimension "nationale" de l'œuvre. Brühl s'exclame avec enthousiasme :

‘L'opéra Le Freischütz, œuvre des plus charmantes grâce au traitement de la fable et grâce à sa musique excellente et indépassable dans ses traits caractéristiques, semblait exiger une attention particulière dans le choix des costumes et l'ensemble de l'agencement scénique, et le Théâtre de Berlin s'est fait un devoir de réaliser cet objectif, en raison de la haute considération en laquelle il tient les créateurs de ce chef-d'oeuvre national ! 218

Dans cet "opéra national", tout est national, y compris les costumes. La couleur verte prend alors un autre sens. Elle est la couleur de la forêt, élément qui marque les paysages allemands, la couleur de la nature, la couleur de l'Allemagne, en fait. Et la simplicité, la sobriété deviennent des caractéristiques d'une esthétique allemande qui s'oppose à la pompe du style italien.

Or, le roi de Prusse Frédéric Guillaume III, qui appréciait les œuvres italiennes et françaises soutenait Spontini ; il s'intéressa de plus près à la représentation d'Olimpia. U. Harten cite le témoignage de K. A. von Varnhagen selon lequel les remarques critiques dans les journaux au sujet du spectacle furent interdites par un ordre royal. 219 Le débat autour des œuvres prit un tour plus politique lorsque des opposants au pouvoir royal s'approprièrent la représentation du Freischütz et le travail de Weber, faisant circuler des tracts dans lesquels le pouvoir était ridiculisé au travers du personnage de Spontini ou d'éléments de mise en scène, mettant Weber, Spontini, Brühl lui-même dans une situation délicate qu'ils n'avaient pas voulue. 220 De la part de Brühl évidemment, de la part de l'administrateur, serviteur du roi, il n'y a pas eu de critique politique au sens d'une remise en question du pouvoir royal et de la société de classe, mais Brühl a été blessé du manque d'intérêt du monarque pour la culture allemande. Brühl se situe dans la lignée de ceux qui revendiquent un théâtre national allemand, un répertoire national, voire une esthétique nationale de la "mise en scène". Mais la critique d'une esthétique trop luxueuse effectuée par Brühl n'est pas celle des intellectuels bourgeois du XVIIIe siècle, qui, à travers une critique du style baroque associé à l'opéra italien, critiquent le pouvoir absolu des princes ; elle n'est pas non plus celle des jeunes intellectuels, artistes, journalistes qui ont ensuite participé au Vormärz et qui réclamèrent un théâtre plus social et plus engagé (Ludwig Börne, Heinrich Laube, Eduard Devrient).

Pour conclure sur la caractérisation des personnages et l'utilisation de couleurs symboliques, nous dirions qu'elle apporte une forme de richesse aux costumes par rapport à la rigueur de la vérité historique, en apportant une diversité des signes théâtraux. L'introduction de signes symboliques même modestes paraît intéressante face à la règle de la reproduction mimétique de la réalité. Certes la profondeur des symboles est discutable. Elle s'explique en partie par l'exigence d'une lisibilité pour le public qui nécessite de recourir à des signes reconnus, courants. L'utilisation des couleurs (surtout d'une couleur unique) pour définir les caractères offre des possibilités limitées et conduit immanquablement à traiter les personnages comme des types. Pour Hermann Schaffner, les traits de caractère qui se dégagent des commentaires sur les costumes ne sont pas très approfondis. Selon lui, ce que Brühl perçoit sont des choses très simples, voire erronées (le poète Torquato Tasso est vu comme un jeune homme doux et tendre ; l'aspect maladif de sa personnalité échappe à Brühl). "En revanche, les caractères bien dessinés […] lui sont clairement accessibles." 221 L'idée de Schaffner est juste et l'on ne peut nier les limites des capacités de Brühl. Cependant, il faut aussi replacer le travail de Brühl dans un contexte culturel et politique qui ne favorisait peut-être pas certaines interprétations qui ont pu s'exprimer sur la scène ultérieurement. Une remarque d'E. Fischer-Lichte à propos d'un autre phénomène de l'histoire du théâtre, la troupe des Meininger, pourrait confirmer notre propos :

‘Alors que le théâtre du XIXe siècle cherchait d'ordinaire à protéger son public de la laideur et de l'obscénité, de comportements étranges et contraires aux normes, les Meininger ne lui épargnèrent rien de ce qui se trouvait dans les œuvres classiques. 222

Nous constatons que les costumes publiés par Brühl possèdent très peu de traits caricaturaux. Même la noirceur des traits des personnages est atténuée dans le choix des couleurs et par le réalisme de la vérité historique. L'expression des caractères se fait (pour le costume) avec une certaine mesure, et en ce sens Brühl poursuit le travail d'A. W. Iffland quand celui-ci se fondait sur les règles de la bienséance. La différence avec Iffland est dans l'attention aux traits psychologiques du personnage, une attention beaucoup plus poussée chez Iffland, et parfois limitée chez Brühl, comme nous l'avons vu ci-dessus. On peut poser encore la question d'une possible influence de Goethe à propos du choix de couleurs symboliques. La biographie de Brühl nous indique qu'il a connu le travail du directeur de théâtre de Weimar. Ce point exigerait une analyse plus précise qui prenne en compte tant la réflexion théorique (Die Farbenlehre) que les réalisations pratiques de Goethe. Sans vouloir approfondir davantage ce point dans le cadre de ce travail, nous penchons pour une influence très limitée. Nous ne pensons pas qu'il soit possible de voir dans le travail de Brühl l'application de théories goethéennes ; Goethe lui-même ne put pas toujours réaliser les mises en scène dont il rêvait. Seule la connaissance d'une possible utilisation symbolique de la couleur peut avoir encouragé Brühl à travailler dans ce sens. Il faut mentionner enfin que Brühl revient une dernière fois sur la question des couleurs à l'avant-dernière page du dernier cahier de gravures paru en 1831. Il recommande de procéder à la manière des peintres de genre ou des peintres d'histoire qui font ressortir les personnages principaux et attribuent des couleurs plus effacées aux personnages secondaires. Ce principe esthétique, qui peut se justifier d'un point de vue technique, a été maintes fois repris par la suite jusqu'au XXe siècle. Mais il n'est plus explicitement question de caractérisation des personnages dans ces dernières pages, et le choix de la couleur, lorsqu'il n'est pas prescrit dans l'œuvre ou par la situation est laissé au bon vouloir des directions ou des acteurs. Ce point représente, dans la recherche d'une représentation homogène, un pas en arrière. En contrepartie apparaît l'idée d'une variation possible, d'une liberté relative dans le choix des couleurs. Peut-on y voir un premier pas vers une plus grande liberté dans la création des costumes ?

La question de la richesse de la décoration.

Il nous faut évoquer, comme nous l'avons fait pour A. W. Iffland, le point de la splendeur, de la richesse des décors et des costumes qui est revenu à plusieurs reprises dans le débat. Brühl a répondu aux critiques qui lui ont été faites dans ses préfaces, aussi nous voulions commenter ses réponses après avoir présenté les critiques qui lui furent faites. Toutefois il était nécessaire de faire quelques remarques préliminaires et de poser le cadre de la discussion.

Brühl, en s'exprimant sur la fonction des décors, semble catégorique :

‘Les décors peints ne doivent jamais devenir l'essentiel, ils doivent seulement servir, doivent placer l'image vivante du jeu scénique dans un cadre convenable et beau, et doivent constituer pour lui un fond agréable qui produise un effet bienfaisant. 223

Cette affirmation du comte est aussi une déclaration de combat contre l'esthétique du baroque tardif, celle qui prévalait encore sur de nombreuses scènes allemandes, et dont on trouvait des traces encore dans le travail du décorateur Bartolomeo Verona. Aux yeux de Brühl, cette esthétique est l'héritage des décorateurs italiens, il identifie ce style comme un style italien, un style étranger. À la richesse et à la profusion du style baroque, Brühl oppose la sobriété d'une reproduction exacte du réel (contre le palais à volonté, les architectures complexes, les couleurs éclatantes). Il y a une dimension nationaliste dans le choix de la vérité historique, le désir de trouver une esthétique particulière qui se distingue de celle qui marquait les pratiques auparavant.

Le principe de la vérité historique lui-même constitue théoriquement une limite à un développement inadéquat de la scénographie, de même que l'attachement aux "traits caractéristiques" (das Charakteristische). En effet, il s'agit de montrer ce qui était, donc simplicité et richesse ont toutes deux alternativement leur place sur la scène. Quand la simplicité est vraiment requise, quand l'enjeu est important, Brühl choisi cette simplicité. On ne peut ignorer que pour l'un des spectacles qui lui ont tenu le plus à cœur et que nous venons d'évoquer, le Freischütz, Brühl fait le choix de décors et de costumes sobres, de tissus ordinaires. Le théâtre n'est pas "un tour de prestidigitation fallacieux", ni "une pâle excitation des yeux et des sens..." 224 Il ne faut pas oublier que l'exactitude des costumes et des décors est déjà une réponse à l'argument d'une richesse inutile de la décoration. Le respect de la réalité sociale comme celui de la vérité historique sont déjà une réforme visant à remédier à une trop grande profusion de la décoration. C'était là déjà la demande de Gottsched en 1730. Brühl se retrouve dans cette logique, mais avec un arrière-plan différent. La dimension politique que l'on pouvait trouver chez Gottsched et d'autres intellectuels des Lumières, celle d'un théâtre réaliste et national contre la richesse du théâtre de cour, n'est plus valable pour Karl von Brühl, qui se trouve en position de serviteur de la cour. Les exigences de ce service l'ont amené à produire une scénographie plus riche qu'il ne l'avait souhaitée ; toutefois, Brühl porte aussi sa part de responsabilité dans cette situation par son intransigeance dans la reproduction de la réalité. Bijoux et accessoires, broderies précieuses furent réalisés dans des matières authentiques. Les tissus le plus employés sont le velours et la soie. La richesse des costumes est aussi celle de la multiplicité des tissus et différents éléments du costumes (châles, franges, gants, cordelettes, bouillonnés) qui, sans être précieux, multiplient les signes du costume et attirent le regard surtout s'ils sont réalisés dans des couleurs chatoyantes. Et sur ce point la critique des Romantiques est de nouveau intervenue. Mais alors qu'Iffland, en homme de théâtre pragmatique, avait veillé à équilibrer le budget, quitte à faire des sacrifices dans d'autres domaines, Brühl aspire encore à une autre relation entre art et économie. Evoquant en 1831 après son départ encore une fois l'objectif de faire du théâtre une image fidèle de ce qui est et a été, il affirme :

‘De pénibles épargnes ne peuvent entrer ici en compte  de toute façon, l'art au sens propre ne les tolère pas. 225

L'enthousiasme de Brühl pour ses réformes l'a poussé à faire de grandes dépenses pour les réaliser. Là où cette dépense ne servait plus l'œuvre dramatique, elle est devenue un luxe qui a nui à l'objectif premier.

La conception du théâtre défendue par Karl von Brühl révèle encore une influence de l'Aufklärung, notamment dans la dimension didactique qu'il accorde à la scénographie, mais elle annonce au même moment des courants de pensées du XIXe siècle, comme l'Historisme ou le positivisme. On peut se demander encore pourquoi Brühl a tant insisté sur le principe de vérité historique. Sur le plan de l'esthétique, Brühl renonçait (consciemment ou non) suivant la voie de la vérité historique à choisir un style. Il s'attachait à un principe qui, pour lui, objectivement, avait une valeur universelle. Mais le principe de vérité historique, apparaît dans une perspective plus moderne, comme un choix de neutralité. Brühl lui-même écrit dans les premières lignes de sa préface qu'il ne veut "se rapprocher d'aucune opinion particulière" 226 dans le débat qui s'est élevé. Il parle du chemin "séparé" des théâtres de Berlin. Nous émettons l'idée, peut-être audacieuse, que le choix de la vérité historique était pour lui un moyen d'échapper aux débats artistiques et littéraires. De façon plus certaine, si l'on replace Brühl dans le contexte social et culturel des théâtres de Berlin, on voit nettement qu'il est pris entre plusieurs feux : les désirs et l'intérêt du roi et de la cour, le public et ses attentes, les intellectuels et leurs exigences esthétiques, et d'autres revendications plus politiques. Il est possible que sa marge de manœuvre ait été réduite. La vérité historique a peut-être encore, ce que Brühl ne dit pas, été choisie pour contenter les exigences des uns et des autres, dans une sorte de compromis entre le désir de gloire, de beauté, d'évasion, de grandeur et même de simplicité. Choisir un "costume" historique pour une pièce, c'est éviter des allusions à l'époque contemporaine peut-être malvenues. Dans le domaine de l'esthétique, si l'on prend en considération les avancées révolutionnaires du Sturm und Drang, l'évocation de la scène élisabéthaine par les Romantiques (comme nous le verrons en deuxième partie), la stylisation harmonieuse du classicisme de Weimar  alors que tous expriment leurs attentes envers la scène de Berlin  la vérité historique apparaît parfois comme une sorte de valeur refuge. L'étude du débat sur les pratiques scéniques montre que le choix de Brühl a rencontré néanmoins beaucoup d'opposition. Son entêtement et son incapacité à empêcher le développement du spectaculaire sur la scène y auront contribué, en dépit de la sincérité de sa démarche.

Notes
153.

Schaffner Hermann, Die Kostümreform des Grafen Brühl an den Königlichen Theatern zu Berlin, Diss. Köln, Institut für Theaterwissenschaft, 1926. Diss. Erlangen.

154.

Boehn, Das Bühnenkostüm in Altertum, Mittelalter und Neuzeit, Berlin, Cassirer, 1921. p. 424-429.

155.

Neue Kostüme auf den beiden Königlichen Theatern in Berlin unter der General-Intendantur des Herrn Grafen von Brühl, Berlin, Wittich, 1819-1831. (i. e. dans les pages suivantes : Neue Kostüme.)

156.

Ulrike Harten a reproduit l'ensemble des préfaces et la postface de 1831 dans son ouvrage sur K. F. Schinkel, Die Bühnenentwürfe (2000). Je voudrais indiquer ici que certains mots de la publication originale sont soulignés par Brühl (Sperrschrift) et que les rééditions ou citations dans la littérature critique ne respectent pas toujours cette typographie. Dans la mesure du possible, à chaque fois que j'ai eu un exemplaire original sous les yeux, je me suis efforcée de respecter la typographie d'origine dans mes propres citations.

On peut encore retrouver de larges extraits de la préface sur les costumes dans le catalogue de l'exposition "Bretter, die die Welt bedeuten", édité par E. Berckenhagen (Berlin 1978) ; et (en résumé) dans le chapitre que H. Kindermann consacre aux réformes du comte Brühl (Theatergeschichte Europas, Band V) ; ou encore une réédition de la préface sur les décors de Schinkel et de Gropiusin H. Boersch-Supan, K. F. Schinkel. Bühnenentwürfe, Berlin, 1990.

157.

Dekorationen auf den königlichen Hoftheatern zu Berlin, Berlin, Wittich, 1819-1824. Les décors de Schinkel ont fait l'objet de plusieurs rééditions : 1847-49, 1861, 1874 et par H. Boersch-Supan, op. cit., 1990.

158.

Carl Gropius, Dekorationen auf den beiden königlichen Theatern in Berlin unter Generalintendantur des herrn Grafen von Brühl, Berlin, [Wittich], 1827.

159.

"der Herr Graf Brühl [ordnete] unmittelbar alle Kostüme ohne Ausnahme [an], selbst bis in die kleinsten Details." Note de L. Wittich dans le dernier Cahier des Neue Kostüme […], 1831.

160.

La discussion sur la valeur des costumes se placerait à un autre niveau, non scientifique, mais artistique : le choix de la vérité historique manquerait d'originalité, le luxe des costumes serait indécent, on reprocherait surtout le manque de "contenu", de "message". Les Romantiques nous ont bien devancés dans la plupart de nos arguments.

161.

"Auch haben die Vorstellungen des Epimenides, der Oper Cortez, des Trauerspiels Rosamunde von Körner, König Lear und einige andere zu erkennen gegeben, mit welcher Sorgsamkeit die General-Intendantur im Aufbieten aller wissenschaftlichen und Kunstmittel zur Herbeischaffung eines Zeit und Ort ganz angemessenen Kostüms, selbst mit dem liberalsten Kostenaufwande, wo es erforderlich, zu Werke geht." Dramaturgisches Wochenblatt in nächster Beziehung auf die Königlichen Schauspiele zu Berlin, N°4, 29 Juillet 1815, p. 27.

162.

Je me réfère ici à la définition donnée par E. Fischer-Lichtein Semiotik des Theaters, Band 1, Tübingen, 4. Auflage, 1998 (1. Auflage 1983), p. 122.

163.

Le sistre est un instrument de musique à percussion employé comme instrument de culte dans l'Égypte antique. (Cf. l'illustration du costume de Beroé dans les pages suivantes.

164.

"weil diese Farbe fast nirgends von den Bäuerinnen getragen wird." (Neue Kostüme, Cahier n° 6, gravure n° 43) ; "allein diese Art Kleidung ist auch so durchaus in der Natur begründet, daß sie sich durchgängig bei allen Völkern des Alterthums, so wie bei fast allen wilden Nationen mit sehr wenigen Veränderungen vorfindet." (Cahier n° 15, gravure n° 118).

165.

"Gründliche Kenntnisse in der allgemeinen und speciellen Geschichte der Baukunst aller Zeiten und Völker, die größte Fertigkeit und Genauigkeit in der Perspective, selbst archeologische Kenntnisse, genaue Bekanntschaft mit allen Zweigen der Malerei, vorzüglich der Landschaftsmalerei, und des wahren Colorits, ja selbst Pflanzenkunde u.s.w., damit jedem Lande die anpassenden Formen der Bäume, Kräuter, Felsen und Berge gegeben werden können, sind unerlässliche Erfordernisse für einen Decorateur, wie er seyn soll." Decorationen, préface.

166.

Cf. encore une autre illustration du respect de la vérité historique par Schinkel à la fin de cet ouvrage.

167.

"In Hinsicht auf Kostüme thut dem kunstgewöhnten Auge die Wahrheit gewöhnlich sehr wohl ; und die bestimmte Beibehaltung des Haupt-Characters jeder nationalen Eigenthümlichkeit bringt Mannigfaltigkeit auf die Bühne — giebt dem Künstler einen kritischen Kunstgenuß — und dem Layen in der bildenden Kunst Gelegenheit seine Kenntnisse zu erweitern.

Große Prachtwerke werden zu Tage gefördert über Sitten, Gebräuche, Kleidungen, Gegenden und Pflanzen aller Länder ; ― und werden emsig studirt ! Warum soll nicht auch die Bühne ein unterrichtendes lebendes Bild werden, voller characteristischer Wahrheit? Der Dichter sucht nach Eigenthümlichkeit und Characteristik zu streben, warum soll der Bühnen-Director ihn darin nicht unterstützen ? Warum soll unser Auge nicht auch durch die äußere Form in das Zeitalter oder das Land versetzt werden wohin uns der Dichter durch sein Geistes-Product zu versetzen strebt? Warum soll das Publikum nicht im Theater Gelegenheit finden zu jeder Art von wissenschaftlicher Bildung ?" Neue Kostüme, préface, 1ère et 2ème pages.

168.

Cf. l'article de Louis Catel du 29 déc. 1808 dans les Berlinische Nachrichten (Spenersche Zeitung).

169.

Cf. les articles "Ueber das Costume", Almanach, 1807, p. 136 ; "Ueber die Bildung der Künstler zur Menschendarstellung […]", Almanach, 1811, p. 4.

170.

J. C. Gottsched, Die Schauspiele und besonders die Tragödien sind aus einer wohlbestellten Republik nicht zu verbannen, 1729.

171.

"Die Bühne einer großen Hauptstadt ist in dieser Hinsicht mit den übrigen Kunstlehranstaltungen, Bilder-Gallerien, Museen, usw. vollkommen in eine Cathegorie zu stellen." Neue Kostüme, préface, 5ème page. C'est nous qui soulignons.

172.

"Wer irgend nur einen höheren poetischen, moralischen und künstlerischen Zweck […] damit verbindet, wird verketzert, für einen lächerlichen Phantasten angesehen […]." Neue Kostüme, préface du dernier cahier (n° 23) de gravures.

173.

Rappelons que Gottsched trouva une précieuse collaboratrice en sa femme Luise Adelgunde, qui était, notamment par ses traductions, une figure importante du théâtre de l'époque.

174.

"[…] jenen ehrwürdigen, aber strengen Moralisten […], welche alle Theater zu verbannen wünschen." ibid. Brühl ne précise pas à qui il fait allusion. Peut-être certaines personnalités religieuses.

175.

Das Theater ist "keine leere Gaukelei, kein blasser Augen- und Sinnenkitzel, sondern das bewegliche und treue Bild dessen, was in der Welt vorgegangen ist, oder noch vorgeht." ibid.

176.

Neue Kostüme, préface, 5ème page ; Cahier n° 23 (préface).

177.

[Die Berliner Bühne] glaubt sich durch erprobte Kunstansichten und Grundsätze stützen und berufen zu können, und es kann daher den Kunstfreunden die bestimmte Versicherung gegeben werden, daß keine Anordnung in Hinsicht auf Kostüme oder Decoration ohne reifliche Überlegung, ohne genaue Prüfung ohne Aussuchung der besten Quellen, ohne öftere Beratung mit Künstlern und Kunstfreunden vorgenommen werden. Neue Kostüme, préface, 1ère page.

178.

"Leinewand und Farben werden dadurch nicht teurer, daß sie nach Claude Lorrain, Poussin, Ruysdael, oder Schinkel verbraucht, statt von einem Decorationsmaler, wie wir sie sie fast überall finden, - mit seinen alltäglichen Entwürfen bemalt zu werden." ibid.

179.

Schlegel, Die Kunstlehre, hrsg. von E. Lohner, Stuttgart, Kohlhammer, 1963. p. 199.

180.

"Sobald der theatralische Kostümier nicht mehr nach der Wahrheit [folgt], […] so gibt er der Kritik eines jeden Einzelnen dadurch das ungeheuerste Feld, denn wer mag entscheiden, wenn es nur auf Geschmack ankommen soll ?" Neue Kostüme, préface, 2ème page.

181.

"Dem Director kann es nicht zur Last gelegt werden, wenn man im 14. Jahrhundert lange und weite, und im 15. Jahrhundert kurze und enge Kleider getragen, oder wenn der Hofstaat Philipps II. in Sammt und Seide, die Umgebung Hermanns aber, in Bären- und Wolfshäute gekleidet gewesen."

182.

Le sens n'est pas toujours limpide tant Brühl l'emploie dans des formules différentes : "particularité et trait caractéristique" (Eigentümlichkeit und Charakteristik), et même "vérité caractéristique" (charakteristische Wahrheit). Grimm renvoie au sens 2 du terme Character : unterscheidendes merkmal, grundzug et la notion de trait distinctif est effectivement présente chez Brühl.

183.

"Das Charakteristische ist es, wonach die Directionen streben müssen […]." Decorationen (Schinkel), préface ; "da auf der Berliner Bühne unbedingt das Charakteristische als allein recht und gut angenommen wird", Neue Kostüme, Cahier n° 10 (costumes de Don Carlos).

184.

[…] wenn es noch weiter hierzu einer Autorität bedürfte, so könnte man die Worte des Altmeisters Göthe hier anführen, welcher im dritten Heft des II. Bandes über Kunst und Alterthum Seite 131, indem er von dem Streben der Berliner Bühne spricht, folgendes sagt "das Charakteristische ist als die trefflichste Grundlage der Kunst zu betrachten." Neue Kostüme, Cahier n° 10. Brühl a redonné encore la même citation dans la postface aux gravures de costumes rédigée en 1831.

185.

"Ein Haupterfordernis darf durchaus nicht vernachlässigt werden, nämlich die vollkommenste Überein-stimmung aller Kostüme in einem und demselben Stücke. Nur in Einem Geiste muß es gedacht, nach Einem ähnlichen Schnitt muß es ausgefürt werden. Dann nur erreicht sich der Zweck eines schönen Gesamteindruckes." Neue Kostüme, préface, 3ème page.

186.

"Alles Halbtun ist in dieser Hinsicht [i. e. die Annäherung an die herrschende Mode] nachteiliger, als gänzliche Abweichnung von der Wahrheit." Neue Kostüme, préface, 2ème page.

187.

"daß auf der Bühne strenge Wahrheit der Kostüme nicht immer unbedingt und ohne einige Abänderung anzuwenden ist […]" ibid., 1ère page.

188.

"wenn [der Bühnen-Director] in seinen Werken nicht die Natur in strengster Wahrheit darstellen darf noch kann […]." Neue Kostüme, Cahier n° 23, préface.

189.

"[…] obgleich in neueren Zeiten, man auch auf der Bühne toleranter geworden. Diese Toleranz wird in andern Fällen auch dadurch bemerklich, daß man nicht mehr unschicklich findet, wirkliche Uniformen und selbst Ordenskreuze auf der Bühne zu zeigen […]." Cahier n° 15.

190.

Max von Boehn cite plusieurs lettres du duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar à Goethe, dans lesquelles il lui demande de bien veiller à ce que tous les vêtements de service (livrées, insignes) n'apparaissent plus sur la scène, car cela contrevient aux règles de la bienséance. Boehn, Das Bühnenkostüm […], op. cit., p. 419-420.

191.

"nur das Kunstgerechte und Wahre [muß] aufgesucht, dasselbe nach Möglichkeit mit dem Schönen vereinigt [werden]", Neue Kostüme, préface, 3ème page ; […] die Regel des Schönen nie aus den Augen gesetzt werden", ibid., 2ème page.

192.

Cette nudité n'est pas érotique. Brühl tance les actrices qui jouent un rôle de nonne vêtues d'une mousseline légère, les bras et le cou dénudés, afin de mieux faire voir les belles formes de leur corps. Surtout, il fulmine contre l'évolution du ballet, dont les nouveaux pas très osés réveillent la lubricité des spectateurs.

193.

"Ich hatte möglichst die Schönheit mit der Richtigkeit vereinigt,  aber natürlich nicht Nuditäten sehen lassen […]". Lettre du 27 déc. 1819 à K. A. Böttiger. Cité par U. Harten, in : K. F. Schinkel . Bühnenentwürfe, München 2000, p. 344.

194.

"Da wo es unbeschadet der Wahrheit geschehen kann, muß wohl den Frauen einigermaßen nachgesehen und die Regel des Schönen nie aus den Augen gesetzt werden, doch darf auch aus weichlicher Nachgiebigkeit das Recht nicht zum Unrecht werden !" Neue Kostüme, préface, 2ème page.

195.

"Auf der Bühne aber soll das Correkte durchaus vom Ideellen corrigiert werden ; dies mit Geschmack zu thun, ist bei weitem schwieriger als ein Copieren." F. W. Gubitz, Der Gesellschafter, 6.12. et 8.12.1819. Cité par U. Harten, Schinkel . Bühnenentwürfe, op. cit., p. 344.

196.

Le cinéma de la fin du XXe siècle a (en réaction à la propreté hollywoodienne ?), à mon sens, parfois exagéré dans le sens inverse. On ne compte plus les films avec des visages encrassés, cheveux hirsutes, vêtements maculés du Moyen-Âge au XVIIIe siècle.

197.

"Das Lustspiel Donna Diana hat zwar durchaus keinen wirklichen historischen Stoff, erheischt daher auch keine ganz kritische Strenge in Hinsicht der Kostume, da es indeß nach den einmal hier angenommenen Grundsätzen für recht anerkannt wird, selbst bei phantastischen Kostumen von etwas wahrem auszugehen, um so bei allen Gestalten eines Schauspieles Uebereinstimmung hervorzubringen, so ist auch in Donna Diana die Art der Kleidung zum Maaßstabe genommen, welche in dem sechzehnten Jahrhundert zu den Zeiten des Ritters Gaston de Foix getragen wurde […]." Neue Kostüme, Cahier n° 8. Introduction.

198.

"Brühls Bestreben ist auch hier, ein einheitliches Kostüm zu geben, und er glaubt, diese Einheit wieder nur im echten Kostüm finden zu können, da er sich der Willkür der Phantasie nicht überlassen will." Schaffner, Die Kostümreform […], op. cit., p. 89.

199.

"Alcidor ist zwar eine Zauber-Oper, und folglich die strenge Richtigkeit des Kostums hier nicht erforderlich und nicht anwendbar, doch hat der Ordner, da die Scene von dem Dichter nach Indien verlegt worden, auch nicht zu fehlen geglaubt, wenn er die indischen Haupt-Charaktere beibehalten." Cahier n° 21. Introduction.

200.

Schaffner accompagne chacune de ces catégories de plusieurs exemples. Pour beaucoup de costumes nous sommes arrivée aux mêmes conclusions, sauf pour tel ou tel cas que nous aurions rangé dans une autre catégorie, mais nous avons pensé que cette liste appesantirait inutilement notre propos. L'essentiel était pour nous de donner un aperçu des différentes manières de travailler sur les costumes.

201.

"Die Farben sind möglichst nach der Eigenthümlichkeit der darzustellenden Charaktere gewählt worden, und darum erscheinen sie wohl zuweilen grell und scharf abschneidend." Neue Kostüme, Cahier n° 1 (1819).

202.

"Die Farben glaubte man so viel als möglich dem Charakter der Personen anpassen zu müssen." Cahier n° 9.

203.

"- Obgleich die Wahl der Farben sich nicht stets nach der Eigenthümlichkeit der darzustellenden Charaktere unbedingt richten kann, so hat doch der Kostumier gewiß sehr Recht, besondere Rücksicht darauf zu nehmen. Unbedingt erleichtert es sein Geschäft und giebt dem Zuschauer Gelegenheit, schon nach der äußern Erscheinung auf den Charakter der Rolle zu schließen." Cahier n  14.

204.

"Dunkelrothe Seide mit gleichfarbigem Sammet besetzt, hat für den ernst-grausamen Charakter dieses Mannes passend geschienen ; ebenso der schwarze, mit roth besetzte Sammetmantel. Bei dem Kleide eines ernsten Kriegsmannes hat man Gold- und Silberbesetzungen vermeiden wollen. Nur die große Kette des goldnen Vließes bezeichnet seinen hohen Rang." Cahier n° 10, n° 76.

205.

Il s'agit sans doute aussi d'une vision plus largement répandue dans le public.

206.

"Zu dem heiteren und edlen Charakter des Carlos hat es am zweckmäßigsten geschienen, das Kleid weiß und gold zu wählen." Cahier n°10, n° 75. L'interprétation du caractère par le comte Brühl mérite d'être commentée. Brühl ne semble pas voir l'ambivalence du caractère de Carlos, à la fois passionné en amour, hésitant dans l'action politique. Cependant l'éclat éthéré du costume blanc est, à mon avis, plutôt bien choisi.

207.

"Das große weiße Kreuz auf der Brust und auf dem Mantel […] giebt auch dem ganzen Anzuge etwas sehr ernstes." ibid., n° 77.

208.

Collet : type de veste (en général en cuir) avec ou sans manches portée au XVIIème et XVIIIe siècle. Cf. M. Leloir. Dictionnaire du costume, 1951.

209.

"Buttlers Kleidung ist roth gewählt worden, da er selbst als geborner Irländer ein Regiment leichter Reiter befehligte. Man hat deshalb nicht zu fehlen geglaubt, ihm die Farben der Engl. Kriegskleidung zu geben. [...] Es erschien zweckmäßig, und mit dem Charakter des Buttler passend, die Farbe seiner Kleidung grell zu wählen, darum ist sein rothes Collet mit Schwarz besetzt, sein ledernes Unterwamms schwarz gestreift, und ihm sogar schwarze Handschuhe gegeben worden." Cahier n° 14, n° 110.

210.

"[…] für den eisernen Graukopf, der von der Pike sich aufschwang und gewiß allen äußern Tand verachtete, viel zu blumig und überladen." Abend-Zeitung (Dresden), Artistisches Notizenblatt, Nr. 23, Jahrg. 1822. La réponse de Brühl parut dans le Artistisches Notizenblatt de la Abend-Zeitung Nr. 192, Jahrg.1823 et l'échange fut republié dans le Cahier n°17 des Neue Kostüme.

211.

"Die weiße Farbe bleibt Donna Diana's Eigenthum, nur ist sie hier mit brennendem Purpur als der Farbe des Verlangens besetzt. Auch der nachlässig geschürzte, beinah gelöste Gürtel ist nicht ohne Bedeutung hinzugefügt worden. Der weite Ärmel läßt den nackten Arm sehen, und ist zugleich keineswegs gegen das richtige Kostum. Die brennenden Granat-Blumen um den Kopf und auf dem Kleide sind mit Vorbedacht gewählt worden." Brühl, Cahier n°9, n° 60.

212.

"Nicht allein, weil Schwarz die Lieblingstracht und die Staatskleidung der vornehmeren Klassen in den Niederlanden war, sondern um der Gestalt des Oranien im Contrast mit Egmont etwas Ernsteres, Gesetzteres, zu geben, wurde ihm ein schwarzes Kleid bestimmt, mit schwarzem Sammt besetzt, mit orangen Schleifen, Aufpauschen in den Aermeln und einem breiten, orangen mit Silber bestickten Degengehänge." Cahier n° 17, n° 2.

213.

"licht blaue Levantine und Silberstoff, ganz mit Perlen gestickt". Cahier n° 2, n° 15.

214.

"Es hat nicht unpassend geschienen, ihr ein geflammtes Schwerdt zu geben, und dadurch an die in mehreren Gemälden vorkommenden Abbildungen der waffentragenden Erz-Engel zu erinnern." Cahier n° 6, n° 44.

215.

"Die handelnden Haupt-Personen in dieser Oper sind sämmtlich Jäger, folglich ist alles grün gekleidet, nur nach verschiedenen Abstufungen." Cahier n°13. Introduction.

216.

"Man hat es für unerläßlich gehalten, der auf dem Lande, mitten im Walde lebenden Försters-Tochter, durch den Schnitt der Kleidung, durch […] das schwarze Häubchen und die Hemdsärmel, ein fast ländliches Ansehen zu geben. Sie mehr zu schmücken würde wohl sehr unpassend seyn. Das Kleid ist natürlich nur von grüner Wolle mit dunkelgrünem Manchester besetzt. […] auch darf das einfache Kreuzchen an dem Halse nicht fehlen." Cahier n° 13, n° 102.

217.

"man würde sich nicht erlaubt haben, eine Försterstochter im böhmischen Gebirge, zumal im 17ten Jahrhundert, in Seide zu kleiden […]."

218.

"Die durch die Behandlung ihrer Fabel und ihre vortreffliche, ja unübertrefflich charakteristische Musik höchst reizende Oper : der Freischütz, schien auch in ihrer Kostumierung, so wie in ihrer scenischen Einrichtung, eine besondere Sorgfalt zu erheischen, und die Berliner Bühne hat sich dies aus wahrer Hochachtung für die Schöpfer dieses nationalen Meisterwerkes zur besonderen Pflicht gemacht !" Cahier n° 13. Introduction.

219.

Cf. U. Harten, K. F. Schinkel . Die Bühnenentwürfe, op. cit., p. 375.

220.

Cette dimension politique que prit le succès du Freischütz a été plusieurs fois soulignée par la critique (Weinrau, Kindermann, Freydank, Harten).

221.

"Dagegen sind ihm eindeutig fest umrissene Charaktere zugänglich […]." Schaffner, Die Kostümreform, op. cit., p. 92.

222.

Während das Theater des 19. Jahrhunderts sonst sein Publikum vor Häßlichkeit und Obszönität, abnormem und normwidrigem Verhalten zu schützen suchte, ersparten die Meininger ihm nichts, was in ihren Klassikern stand." Fischer-Lichte, Kurze Geschichte des deutschen Theaters, Tübingen, 2. Auflage, 1999. p. 221. Il n'y a pas de contradiction avec ce que nous affirmions plus haut, le fait que Brühl va assez loin dans le réalisme des costumes. C'est une certaine interprétation du personnage qui a peut-être été censurée. Brühl lui-même se trouvait pris dans le conflit entre ce qui était admis et la vérité.

223.

"Die Dekorationsmalerei soll nie als Hauptsache hervortreten, sie soll nur als dienend erscheinen, soll nur das lebende Bild des Schauspiels in einen schönen und passenden Rahmen einfassen, und ihm einen angenehmen, für das Auge wohltuenden Hintergrund geben."

224.

"keine leere Gaukelei, kein blasser Augen- und Sinnenkitzel", Neue Kostüme, préface du cahier n° 23.

225.

"Aengstliche Geld-Ersparung kann hierbei freilich nicht in Betracht kommen  die Kunst im eigentlichen Sinne verträgt ohnehin dergleichen nicht." ibid. Reproduit aussi in : Harten, K. F. Schinkel . Bühnenentwürfe, op. cit., p. 72.

226.

"Ohne irgend einer Meinung zu nahe treten zu wollen, hat die Berliner Bühne ihren eigenen Weg eingeschlagen." Neue Kostüme, préface, 1ère page.