1. 2. 2. 4. Les principaux décorateurs durant l'administration Brühl : Karl Friedrich Schinkel et Karl Gropius.

Dans cette présentation des deux décorateurs principaux des Théâtres Royaux durant la période d'administration du comte Karl von Brühl, nous voulons expliquer en quoi les aspirations de ce dernier furent ou non réalisées, et comment les réalisations des artistes se retrouvèrent au cœur du débat sur la scénographie.

Plusieurs artistes travaillèrent comme décorateurs lors de la période d'administration du comte Karl von Brühl. Le plus célèbre d'entre eux, Karl Friedrich Schinkel, peintre et architecte, n'était pas engagé de façon fixe et fut en quelque sorte "artiste invité". Toutefois, c'est bien lui qui a marqué par ses œuvres les pratiques scénographiques des Théâtres Royaux berlinois. Il faut néanmoins rendre justice aux décorateurs officiels des Théâtres Royaux, au nombre de trois : les peintres Karl Gropius (1793-1870), Johann Jakob Gerst (1792-1854) et Friedrich Köhler. Parmi eux, le personnage principal est Karl Gropius, c'est pourquoi nous avons choisi de le présenter également. Les projets de Schinkel furent réalisés sous la direction de ces artistes ; C. Gropius et J. Gerst créèrent régulièrement leurs propres décors, mais nous n'avons pas trouvé d'informations semblables pour F. Köhler, qui peut-être les assistait.

Les décors de Schinkel ont fait l'objet de nombreuses études et ont déjà été évoqués dans les ouvrages d'histoire du théâtre en Allemagne. Plus récemment, Ulrike Harten, sous la direction de deux spécialistes de Schinkel, Helmut Boersch-Supan et Gottfried Riemann, s'est efforcée dans le grand ouvrage Karl Friedrich Schinkel. Décors (2000) 227 de constituer une synthèse des ces recherches. L'ouvrage est également un catalogue raisonné de tous les décors, ébauches, projets de décors et copies, qui les présente dans leur contexte avec les divers commentaires (articles, lettres, souvenirs, etc.) dont ils ont fait l'objet  un outil de travail très précieux dans le cadre d'une recherche qui prend en compte réactions et échanges. Il ne s'agit donc pas pour nous de présenter le détail de son œuvre, mais de faire apparaître quelle fut la place de Schinkel dans le débat sur la scénographie.

Or, Schinkel s'est trouvé dans une situation particulière du fait qu'il participa d'abord à la critique des pratiques en place, avant que ses œuvres ne deviennent elles-mêmes objet de débat. Nous avons voulu dissocier ces deux situations différentes, quitte à bouleverser la chronologie des événements. Nous présentons ci-dessous le travail effectué par Schinkel pour la scène de Berlin (avec celui de K. Gropius), afin de compléter le tableau des pratiques scéniques lors de l'administration Brühl. Quand à l'intervention critique de Schinkel (sa candidature au poste de décorateur en 1813), nous la présenterons en même temps que les autres interventions critiques. Ulrike Harten consacre également un chapitre aux peintres décorateurs Gropius, Gerst et Köhler. Nous lui devons donc en grande partie les informations factuelles qui suivent.

Les décors de K. F. Schinkel pour les Théâtres de Berlin.

Karl Friedrich Schinkel est né en 1781 à Neuruppin près de Berlin. Schinkel s'intéressa au théâtre dès sa jeunesse. Dans la tradition des architectes de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle, il a formé des projets de réforme au sujet de l'architecture et de la décoration des théâtres de son temps, inspiré comme le furent plusieurs de ses maîtres (Friedrich Gilly) ou amis (Louis Catel) par l'antiquité grecque et romaine. Les premières œuvres architecturales de Schinkel datent d'après 1815. Ce n'est donc pas son activité d'architecte qui a motivé son engagement par le comte Brühl. En effet, son succès sur la scène de Berlin ne peut être compris sans explications sur une activité qui le fit d'abord connaître auprès du public : la réalisation de dioramas et panoramas. Après avoir invité Schinkel à créer des décors pour les Théâtres Royaux, Brühl le fit engager pour reconstruire le théâtre qui avait brûlé en 1817. Au travers de cette œuvre architecturale, Schinkel réalisa, en partie seulement, ses aspirations à un lieu théâtral ayant la noble vocation d'être un temple de l'art qui élève le spectateur. Sur la scène, il ne put réaliser pleinement la décoration idéale qu'il avait souhaité pour cette vocation du théâtre. Au début des années 1820, Schinkel prit ses distances par rapport au monde du théâtre. Mais Brühl, Spontini et la cour continuèrent de faire appel à lui, parce qu'on l'estimait seul capable de réaliser la scénographie appropriée aux œuvres programmées. Parallèlement, Schinkel mena une vie riche de productions artistiques dans des genres très différents (architecture, mobilier, arts décoratifs…) ; et on peut le considérer comme l'un des derniers "génies universels" capables d'exercer dans différents domaines de l'art. Il est décédé en 1841 à Berlin.

L'importance des dioramas et panoramas.

Ulrike Harten consacre dans son étude un chapitre aux dioramas et panoramas réalisés par Schinkel, et il nous semble qu'il faut insister sur l'importance de cette activité qui fit connaître son style et sa manière de peindre au grand public, et qui témoigne aussi du goût de l'époque. Dans les deux cas il s'agit d'œuvres peintes qui représentent des monuments ou des paysages célèbres. Dans les deux cas, et plus encore pour les dioramas, elles sont mises en valeur par un éclairage. Les panoramas sont peints sur une surface courbe et plus large, le spectateur se déplace librement pour les contempler, son regard passe d'un objet à l'autre sans se concentrer sur un point unique. Les dioramas sont de plus petite taille, il s'agit alors d'une succession de tableaux ; dans leur forme la plus élaborée, les dioramas sont présentés au public sous la forme d'un spectacle, c'est-à-dire dans des lieux réservés spécialement à leur exhibition, appelés eux-mêmes "théâtres" ; les différentes toiles étaient alors accompagnées d'une musique appropriée et l'ensemble accessible avec un billet d'entrée pour une somme modique. Ainsi, le père du décorateur K. Gropius possédait lui-même un tel "théâtre" et les publicités pour son entreprise reviennent régulièrement dans les journaux de Berlin, surtout lorsqu'il présentait des sujets nouveaux. A juste titre, Harten signale que par ces dioramas, on donnait à voir au spectateur des décors sans action dramatique sous la forme d'une suite ordonnée. 228

Les sujets représentés autant que l'esthétique développée par Schinkel nous semblent importants. Les tableaux transportent les spectateurs de région en région. La plupart des spectateurs, parmi lesquels se trouvèrent aussi des écrivains romantiques séjournant à Berlin (Eichendorff, Brentano), n'avaient jamais vu les pyramides d'Egypte, ni l'intérieur de la basilique Saint Pierre de Rome. Au mieux, on connaissait certains monuments ou paysages par des peintures à l'huile ou des gravures. Dans les deux types d'œuvres, les jeux de lumière et les coloris renforcent l'effet visuel et la nouveauté de la vision. Schinkel a traité les thèmes de façon réaliste en reproduisant avec exactitude les architectures, la végétation, les activités et vêtements des figures ; au moyen de la lumière et des coloris, il donna un caractère romantique à ces tableaux. Aux connaisseurs et aux spécialistes, ce genre de spectacle procurait le plaisir de la reconnaissance, aux non connaisseurs, il apportait le plaisir de la découverte et une part de sensationnel. L'évolution des pratiques scéniques depuis le XVIIIe siècle, qui allait vers une esthétique plus réaliste, et la forme même du diorama ("théâtre"), ainsi que le plaisir goûté par les spectateurs, ont dû rendre évidente l'idée d'une transposition en grand vers la scène. Une telle transposition fait apparaître plusieurs problématiques : la réalisation technique et le coût, le choix esthétique, la fonction du décor et son rapport à l'œuvre dramatique  des points de réflexion que l'on retrouve dans le débat sur la scénographie. L'architecte Louis Catel (1776-1819) a vanté le diorama parce qu'il permettait au spectateur de saisir l'ensemble de la scène d'un seul coup d'oeil, parce que le regard (guidé par le dispositif scénique qui cadrait strictement les toiles comme dans un tableau encadré) se concentrait sur un seul point central. 229 Cette remarque de Catel, lui-même théoricien réformateur des pratiques scéniques, était fondée sur un rejet du théâtre à l'italienne : en effet, celui-ci, avec son système de châssis, fait "éclater" l'image constituée par la scène, et, selon L. Catel, détourne le spectateur de l'action. Plusieurs personnalités, dont L. Catel justement, émirent l'idée que Schinkel soit engagé comme décorateur. 230 Lorsque Schinkel proposa sa candidature à Iffland en 1813, ce dernier la refusa. C'est Karl von Brühl qui appela Schinkel à partir de 1815 à travailler pour la scène de Berlin.

Caractéristiques des décors de Schinkel.

Les décors de Schinkel ont introduit une esthétique nouvelle sur la scène, dans le traitement des paysages et de l'architecture, dans le rendu des couleurs et de la lumière. Les catégories traditionnelles du classicisme et du romantisme ne peuvent être employées pour caractériser l'ensemble de son travail. En effet, les bâtiments, éléments d'architecture et paysages sont travaillés dans plusieurs styles différents. Cette situation s'explique en partie par le fait que Schinkel s'est adapté à l'oeuvre qu'on lui demandait de décorer, par le fait que les décors reflètent aussi la façon dont Schinkel percevait les différentes époques et civilisations. La force des œuvres de Schinkel est de créer une atmosphère.

Dans les premières années, les créations furent très nombreuses, parfois plusieurs décors pour un même spectacle. Schinkel élabora les 12 décors de la Flûte enchantée, mais cette possibilité de déterminer l'ensemble des décors d'un spectacle resta unique. Il intervint moins fréquemment après 1819. Harten distingue trois périodes dans l'œuvre de Schinkel : une première période durant laquelle Schinkel réalisa des décors "symboliques" (symbolische Entwürfe) de fin 1815 à 1816 ; une deuxième période allant de 1816 à 1819, constituant une première phase d'oeuvres "caractéristiques" (charakteristische Entwürfe), et une dernière période plus tardive de décors caractéristiques de 1819 à 1829. 231

K. F. Schinkel, IIIe décor pour Ondine (1816), 2. Acte, scène 1.
K. F. Schinkel, IIIe décor pour Ondine (1816), 2. Acte, scène 1.

Illustration tirée de U. Harten, K. F. Schinkel […], 2000

Pour U. Harten, les décors sont symboliques en ce sens qu'ils rendent ce qui est typique (bezeichnend) dans un type d'architecture ou un paysage, sans ajouts superficiels. Plus explicite est l'exemple d'Ondine d'E. T. A. Hoffmann, où la représentation de la nature et les éléments d'architecture médiévale traduisent l'esprit de la pièce, une certaine conception romantique de la nature et du merveilleux. La représentation de la forêt ou des flèches gothiques évoque des paysages allemands qui se distinguent d'autres paysages et styles d'architecture. Les décors disent quelque chose de l'âme allemande, et c'est aussi en ce sens qu'U. Harten parle de décor symbolique. Mais les premiers décors contiennent aussi des symboles plus formels, ainsi la pyramide de la scène finale de la Flûte enchantée peut sans aucun doute être lue comme un symbole maçonnique. (Cf. l'illustration à la fin de notre ouvrage.) Les décors de l'opéra de Mozart sont le travail le plus symbolique de Schinkel, et les contemporains en ont très bien compris le sens, comme en témoignent deux articles de journaux au sujet des décors de l'opéra. 232

Par l'adjectif "caractéristique" (charakteristisch), Harten entend "le fait d'accorder une importance particulière au cadre historique et naturel de la mise en scène", 233 c'est-à-dire une attention à la vérité historique telle que la demandait le comte Brühl. S'il est possible de discuter la périodisation proposée par Harten, il est exact que les décors de Schinkel ont évolué du symbolisme vers une reproduction plus neutre des monuments et des paysages comme un simple accompagnement du texte. Pour le comte Brühl et pour nombre de contemporains (ce que l'on peut lire dans les critiques dramatiques de l'époque), les décors de Schinkel étaient des "décors historiques". Mais les contemporains étaient aussi sensibles à la signification symbolique des décors, comme en témoignent les articles rédigés par Louis Catel sur les décors de la Flûte enchantée et d'Ondine. 234

Un autre trait caractéristique est celui d'une évolution allant d'une certaine simplicité dans les lignes et la composition vers une plus grande pompe et une plus grande richesse du décor. Les premières créations de Schinkel se rapprochent le plus de l'idéal qu'il avait défini en 1813 en proposant sa candidature à Iffland. Cet idéal est celui d'une simplification de l'espace scénique et du placement de l'action sur le devant de la scène. Cette simplification, sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir, doit remettre l'action au centre de l'image scénique et au centre de l'attention du spectateur. Schinkel obtient cette simplification au moyen de plusieurs effets stylistiques, que cite U. Harten : "une composition symétrique dont la perspective est centrale", des "formes géométriques basiques", "réduites à l'essentiel", avec le traitement d'un sujet unique sur la toile, sans ajouts superficiels, conservant seulement les traits typiques d'un style. Effectivement, dans les décors plus tardifs, Schinkel reproduira avec exactitude et avec accumulation de détails les éléments d'architecture et les éléments naturels. Il choisira plus fréquemment une perspective angulaire, une composition plus complexe. Pour U. Harten, la participation du spectateur à l'action est remplacée par une attitude contemplative. 235

On pourrait schématiser l'évolution qui s'est produite en disant que Schinkel a su traduire dans ses premières créations l'esprit des œuvres, drames et opéras. Plus tard, ses décors furent plus "décoratifs" sans véhiculer d'interprétation de l'œuvre. Bien évidemment, il s'agit ici d'une ligne générale, et l'analyse de tel ou tel décor particulier permettrait de nuancer notre propos. Cette évolution s'explique aussi par la nature des œuvres programmées (opéras à grand spectacle) qui n'appelaient pas de décor symbolique.

Pour rendre plus concrètes les exigences du comte Brühl, nous avions inséré une illustration représentant le 5ème décor de la Flûte enchantée, la "forêt de palmiers", en soulignant la reproduction réaliste des essences d'arbres. Ce projet de décor a aussi d'autres caractéristiques. L'indication scénique du livret original de Schikaneder demande une "forêt de palmiers" en or et en argent, avec une pyramide en arrière-plan. Schinkel a transformé ces éléments merveilleux en éléments naturels. Les ombres bleuâtres et violettes de la montagne combinées avec les nuances de vert de la vallée donnent au paysage une atmosphère particulière. Le traitement du sujet est à la fois "réaliste" et "romantique". Selon U. Harten, la nature révèle aussi la grandeur de Sarastro ; la forme triangulaire de la montagne est symbolique, ainsi que la luminosité qui s'en dégage et qui irradie doucement la vallée, signe de la sagesse de Sarastro qui éclaire ceux qui l'entourent. Certes, la signification symbolique du décor apparaît plus clairement sur d'autres planches de décor, mais on peut noter le travail d'ensemble fourni par Schinkel. La forme triangulaire de la montagne ou de la pyramide qui apparaît de façon récurrente en arrière plan en est un signe.

Parmi les derniers projets de décor de Schinkel, se trouvent plusieurs esquisses pour un opéra Agnès von Hohenstaufen. Cet opéra fut mis en musique par Spontini d'après un texte du poète Ernst Raupach, qui avait entrepris d'écrire l'histoire allemande au Moyen-Âge sous la forme d'une série de drames. Les représentations de cet opéra étaient aussi une commande royale et furent données à l'occasion de deux mariages princiers au sein de la Maison de Prusse. Les planches de décor élaborées par Schinkel témoignent de l'évolution de son style vers une reproduction plus exacte et chargée des bâtiments anciens. Mais cette représentation plus riche résulte aussi d'une attente de la Maison royale. La représentation témoignait par sa splendeur de la grandeur de la Maison de Prusse. U. Harten cite le témoignage de contemporains qui notent ce fait (sans qu'il s'agisse d'une critique  peut-être ne pouvait-elle s'exprimer que de façon cachée). 236

K. F. Schinkel, IIIe décor de l'opéra Agnès von Hohenstaufen, 1827.
K. F. Schinkel, IIIe décor de l'opéra Agnès von Hohenstaufen, 1827.

Illustration tirée de U. Harten, K. F. Schinkel […], 2000. Kat. 122.

Les explications données ci-dessus nous ramènent à un constat que nous faisions déjà au début de ce chapitre, le fait que Schinkel a de nombreuses fois adapté sa production au style de l'œuvre représentée, à "l'esprit de l'œuvre", aux événements qui motivaient la représentation. En agissant ainsi, Schinkel franchissait un pas de plus que Brühl qui avait pourtant veillé à différencier les œuvres et à se mettre à leur service, mais en s'attachant d'abord aux caractéristiques "extérieures" (pour reprendre une classification employée par les Romantiques) de l'action que sont l'indication de lieu et de temps. A l'occasion du travail sur Flûte enchantée ou sur Ondine, la décoration a été choisie en fonction de l'œuvre et traduit quelque chose de son sens profond, en même temps qu'apparaît une cohésion entre les différentes toiles du décor. Or, le travail sur les deux opéras, même s'il s'agit d'expériences restées sans lendemain, évoque un travail sur la décoration tel qu'il sera fait au XXe siècle.

Le décorateur Karl Gropius (1793-1870)

Karl Wilhelm Gropius est né en 1793 à Braunschweig. Son père, venu s'installer à Berlin, possédait, comme nous l'avons déjà dit plus haut, une entreprise de diorama à laquelle il collabora. Comme de nombreux autres artistes de son époque, il effectua des voyages d'études à travers l'Allemagne, la Suisse et à Paris. Il fut également l'élève de Schinkel. Engagé en 1815 comme décorateur dans les Théâtres Royaux de Berlin, il a souvent dirigé la réalisation des décors de Schinkel. Il créa de très nombreux décors ; il fut ainsi le décorateur du Freischütz, et, selon G. Wahnrau, le décorateur d'un autre opéra de Weber : Preciosa. Le comte Brühl fit éditer un recueil de gravures représentant des décors de Gropius ; nous en avons déjà évoqué la préface parmi les textes issus de la plume de Brühl. 237 Dans cette préface, Brühl fait l'éloge de l'artiste qui s'est fait un devoir de suivre les principes esthétiques choisis par la direction, donc de respecter la vérité historique des lieux et paysages représentés. U. Harten caractérise le style de Gropius comme massif et simple, et estime qu'il n'avait pas le sens de l'atmosphère et du fantastique que possédait Schinkel ainsi que l'autre décorateur Johann Jakob Gerst. Le style de Gropius a contribué à générer la critique d'une décoration trop riche qui apparut dans plusieurs journaux vers 1818-1819.

L'illustration ci-dessous révèle l'influence de Schinkel dans la composition de l'ensemble (symétrie et perspective frontale). Ici, les lignes sont encore plus nettes et géométriques. Il est possible que les arbres et les sculptures sur les deux côtés de l'espace étaient représentés sur des châssis et que l'escalier à l'arrière plan était praticable. D'un point de vue technique, la composition est habile et sert l'illusion théâtrale. Le fait de placer le bâtiment monumental dans une ouverture derrière une façade (escalier) de premier plan qui pouvait être représentée ou réalisée dans une taille proche de la réalité permet de résoudre les problèmes de disproportion entre la taille des acteurs et la taille réelle des monuments.

Karl Gropius, Projet de décor final pour Preciosa de K. M. von Weber.
Karl Gropius, Projet de décor final pour Preciosa de K. M. von Weber.

Illustration tirée de G. Wahnrau, Berlin, Stadt der Theater, 1954.

Notons encore que Karl Gropius contribua à la collecte de documents et de témoignages sur Schinkel. Comme l'indique U. Harten, son œuvre n'a fait l'objet d'aucune recherche de plus grande ampleur, et elle mériterait à son tour une étude systématique. Gropius est décédé en 1870 à Berlin.

Le bilan des efforts d'Iffland et du comte Brühl fait apparaître des éléments positifs et négatifs. Les réticences de la troupe, le manque de connaissances rendent difficile l'unification de l'esthétique de la représentation. La délicate gestion d'une scène amène les directeurs à faire des choix pratiques qu'ils rejettent dans leurs textes théoriques. Cependant, par l'attention que les deux directeurs successifs apportèrent à la scénographie, les théâtres de Berlin devinrent un moteur pour les autres scènes. Dans d'autres villes, des voix s'élèvent pour demander des décors nouveaux à la place des vieilles toiles palies. Les réformes des directeurs eurent également une postérité en ce sens qu'ils contribuèrent faire progresser une scénographie vériste et historisante sur la scène.

Il faut souligner encore le fait que les représentations d'œuvres dramatiques ont atteint une beauté, une élégance qui était auparavant le privilège de l'opéra. Dans le cadre de cette évolution, l'art dramatique allemand trouve une reconnaissance par rapport au théâtre de cour. Le théâtre lui-même s'est profondément transformé car il est maintenant une institution au sein de la cité. Pour conclure sur le travail des deux directeurs, on peut donc évoquer le contexte social dans lequel il se place. Iffland avait d'abord cherché à réhabiliter le statut du comédien et à redonner une dignité à l'art dramatique. Brühl poursuit le même chemin, en voulant faire du théâtre une institution artistique. Pour réussir dans cet objectif, les deux directeurs avaient compris qu'il était nécessaire de soigner les aspects "extérieurs du spectacle" que sont la scénographie et les effets scéniques. Dans cette perspective, on peut comprendre encore le soin accordé à la vérité historique comme un moyen de donner de l'éclat aux représentations, mais en choisissant une autre esthétique que celle du baroque.

Le soin accordé à l'extérieur, au visible, qui transparaît beaucoup à côté de l'exigence d'un jeu de qualité, nous semble encore lié à l'aspiration à un théâtre allemand, c'est-à-dire à un théâtre national ; une aspiration apparue au XVIIIe siècle que nous évoquions dans les premières pages de cette étude. Cette aspiration est exprimée aussi dans les écrits du comte Brühl. La grandeur du théâtre allemand doit se manifester aussi par la qualité de l'ensemble de la représentation, donc par la qualité de la scénographie.

Notes
227.

U. Harten, Karl Friedrich Schinkel . Die Bühnenentwürfe, München […], Deutscher Kunstverlag, 2000.

228.

"[…] damit wurden dem Zuschauer gleichsam Bühnenbilder ohne Handlung in einer geregelten Abfolge vorgeführt." Harten, K. F. Schinkel . Die Bühnenentwürfe, op. cit., p. 12.

229.

Cité par U. Harten, op. cit., p. 24.

230.

Nous pouvons émettre l'hypothèse que Brühl, au service de la cour royale a vu ces représentations qui l'ont conforté dans son désir de voir paraître une autre esthétique sur la scène.

231.

Harten, op. cit., pp. 56-60 et 67-70.

232.

Cf. Louis Catel, "Über die Dekorationen in der Zauberflöte" in : Berlinische privilegierte Zeitung, 10.02.1816 ; Anonyme [Hoffmann ?], "Über Dekorationen der Bühne überhaupt und über die neuen Dekorationen zur Oper Die Zauberflöte […]", in : Dramaturgische Blätter […], 17.02. 1816.

233.

"Besonderer Wert wird auf den historischen und landschaftlichen Rahmen der Inszenierung gelegt." ibid., p. 58.

234.

Catel, "Über die Zauberflöte", op. cit. ; article sur Ondine du 8.08.1816 in : Berlinische privileg. Zeitung.

235.

Harten, op. cit. "eine symmetrische, zentralperspectivische Komposition", "geometrische Grundformen", "reduziert auf das Wesentliche", p. 57. "Der Betrachter findet sich nun tatsächlich vor der Bühne. Er wird durch ihre Gestaltung nicht ins geschehen mit einbezogen." […] Teilnahme [wird] durch Anschauung ersetzt […]." p. 60.

236.

ibid., p. 434.

237.

Plus rare encore que le recueil de décors de Schinkel, l'exemplaire de Berlin ne se trouve pas à la Kunstbibliothek, mais au Märkisches Museum.