1. 3. 2. Les participants au débat et la constitution des fronts.

Au cours du débat sur la scénographie, plusieurs fronts se sont constitués que nous voulons maintenant définir. Il faut rappeler le rôle très important joué par les architectes qui demandent depuis la fin du XVIIIe siècle une réforme du système de décoration et de l'architecture des théâtres, et on peut les considérer comme constituant un groupe à part. Nous avons vu que leur intervention contribue à lancer le débat. Un artiste comme Karl F. Schinkel, architecte de formation, est leur héritier et développe leurs prises de position. Un front se dégage nettement, celui des Romantiques et de ceux qui leur sont proches. Confrontés aux critiques des Romantiques, les deux directeurs de théâtre se défendent, constituant un parti opposé. Ils sont soutenus par des amis ou des collaborateurs. Leurs réalisations trouvent l'accord d'une partie du public dépassée par les querelles esthétiques, ou choquée par les prises de position radicales des Romantiques. Ensuite, il faut distinguer les intervenants qui ne se trouvent ni du côté des Romantiques, ni du côté des directions. C'est le cas de l'écrivain et critique Adolf Müllner. 251 Il nous faut expliquer également le cas des journaux berlinois. Lors de la direction d'Iffland, les critiques des deux journaux les plus importants Berlinische Nachrichten (Spenersche Zeitung) et Berlinische privilegierte Zeitung (Vossische Zeitung) soutiennent globalement Iffland. 252 Lors des premières années de l'administration Brühl, une opposition apparaît entre le critique dramatique de la Spenersche Zeitung qui attaque les réalisations de Brühl et se dit proche des Romantiques, et les critiques de la Vossische Zeitung qui prennent fait et cause pour Brühl. C'est cette période que nous avons plus particulièrement étudiée. Après 1820, on constate un éclatement des fronts au sein de l'ensemble de la presse berlinoise. 253 Des critiques négatives sur les théâtres royaux berlinois paraissent dans plusieurs journaux, notamment Der Gesellschafter, édité par F. W. Gubitz. Comme nous l'avons déjà dit en introduction, elles mériteraient une étude plus approfondie, qui permettrait de compléter celle que nous avons effectuée dans le cadre de ce travail.

Nous avons donc choisi la classification suivante pour notre présentation des différents intervenants du débat : nous reviendrons d'abord rapidement le point de vue particulier d'un artiste et architecte de formation qu'est K. F. Schinkel. Puis nous présenterons plus longuement le groupe des écrivains romantiques. Un troisième sous-chapitre est consacré aux interventions supplémentaires que nous avons retenues. On y trouvera l'écrivain A. Müllner, ainsi que les deux principaux journaux berlinois que nous avons voulu traiter à part, les auteurs étant souvent anonymes.

D'une façon générale, nous avons choisi un ordre chronologique pour classer les différentes interventions. Dans les pages qui suivent, nous présentons les textes retenus et le contexte de leur rédaction lorsque cela apporte un éclairage sur le débat. Des éléments biographiques doivent nous permettre d'apporter des preuves factuelles de l'intervention des auteurs. Cependant il ne sera pas question ici du débat lui-même, des questions de fond et des arguments des différents auteurs, qui seront analysés de façon détaillée dans la deuxième partie de cette étude.

Notes
251.

C'est aussi le cas de Johann Wolfgang Goethe qui a suivi le débat de loin à Weimar et qui a émis un avis sur certains points à travers un essai paru dans Kunst und Alterthum. Les contraintes temporelles m'empêchent de développer ce point, mais j'aimerais le faire ultérieurement.

252.

Cf. le scandale initié par Kleist par le biais des Berliner Abendblätter au sujet des gratifications qu'Iffland aurait accordées aux deux grands journaux pour obtenir des critiques louangeuses. Les accusations de Kleist nous paraissent fausses, même s'il est vrai que les critiques restaient à la surface sans aborder les problèmes de fond. Elles témoignent du fait qu'Iffland n'a pas rencontré d'adversité de la part des journaux berlinois.

253.

Je me réfère ici aux nombreux extraits d'articles de journaux que livre U. Harten dans sa recension des réactions aux décors de Schinkel, qui donnent, à mon sens, un aperçu représentatif de la critique théâtrale durant les années 1820 à 1828.