Dans les propositions de réforme 411 de la scénographie adressées en 1813 à August Wilhelm Iffland à la suite de la mort du décorateur Bartolomeo Verona, Karl Friedrich Schinkel n'évoque pas nommément la question de la richesse des décors. Toutefois, les propositions qu'il fait vont bien dans le sens d'une simplification, 412 d'une réduction de la place occupée par la décoration, tant sur le plan technique que sur le plan esthétique. On remarque que le verbe ou le substantif "simplifier", "simplification" (vereinfachen, Vereinfachung) apparaît trois fois dans l'introduction du premier texte (texte incomplet), plusieurs fois dans le deuxième texte (complet). Cette simplification devient même une sorte de principe régissant le traitement de l'art en général :
‘Dans les Beaux-Arts comme partout, la plus grande simplification possible dans le traitement est du plus grand intérêt, par cela et cela seul, il devient possible d'atteindre le but facilement et sûrement à la fois. 413 ’Certes, un doute subsiste sur le fait de savoir si cette insistance n'a pas pour but de convaincre Iffland, de l'acquérir à la cause de l'architecte, puisque ce dernier avait invoqué des raisons économiques pour rejeter sa première demande. Néanmoins, l'ensemble des réformes proposées repose sur ce principe de la simplification.
Rappelons donc brièvement l'essentiel des réformes demandées par Schinkel. Il souhaite principalement l'abolition des châssis et des décorations latérales (Kulissen), l'abolition des frises (soffites, Soffiten) et l'installation d'une toile de fond unique, ce qui inclut une réduction des dépenses de toile et de bois (aspect économique), la réduction de la main d'œuvre nécessaire, de la place occupée par le décor, de sa complexité (aspect technique). D'un point de vue esthétique, les modifications auront alors pour conséquence que "l'image scénique" (das Bild der Szene) "ne se mette pas en vedette avec ostentation" (sich nicht prahlend vordrängt). 414 Par cette formule, Schinkel se range du côté de ceux qui condamnent le luxe, le faste de la décoration. Justement, au moment où la plupart de nos auteurs romantiques déplorent une situation absurde, un "monde à l'envers", les réformes de Schinkel semblent vouloir amener un renversement dans l'autre sens, un recentrage sur l'essentiel, comme le montre la citation suivante, où Schinkel évoque l'importance, à ses yeux, du proscénium sur lequel doit se dérouler l'action. Sur le dessin que Schinkel envoya à Iffland, le proscenium est délimité, encadré de chaque côté par quatre colonnes corinthiennes :
‘Si la Scène doit acquérir un caractère supérieur, ce proscénium doit plutôt prendre l'aspect de la scène fixe des Anciens et former un cadre pour l'image que constitue le spectacle théâtral dans son entier, cadre dans lequel l'action mobile, sortant de la scène, surgit comme un point focal projeté vers l'extérieur, et devient ainsi le point le plus lumineux de l'apparition dans son entier. 415 ’C'est l'action dramatique, en mouvement, c. à. d. l'essentiel, qui resplendira (et non plus le décor…) ; c'est l'action dramatique sur laquelle le regard, l'attention du spectateur se focalisera. En cela l'exigence de Schinkel rejoint tout à fait celle des Romantiques. Son statut de praticien, sa formation d'architecte lui font trouver des propositions concrètes pour la réalisation de cet objectif.
La position de Schinkel sur les décors diverge cependant de celle de plusieurs écrivains romantiques, en ce sens qu'il ne méprise pas, qu'il ne désire pas supprimer la décoration théâtrale, bien au contraire. Le décor, d'abord qualifié "d'élément secondaire" (Nebenteil) est réévalué, remis en valeur à la fin du premier texte :
‘Dans une grande œuvre d'art, la perfection de tous les éléments [est] nécessaire. 416 ’L'importance accordée à tous les éléments d'une représentation doit être soulignée. Dans le second texte, Schinkel franchit un pas de plus en utilisant la formule significative de "l'élément secondaire qui participe à l'action" (mitwirkender Nebenteil) pour caractériser le décor. 417 Cette formulation est essentielle, car elle signifie que les décors font partie intégrante de la représentation, font l'objet d'une réflexion en lien avec l'œuvre dramatique. Nous avons vu que Schinkel réalisera ensuite ce principe, en créant plusieurs décors symboliques qui se mettaient au service de l'action. Par cette conception du décor, il prépare déjà en partie ce que sera le travail de mise en scène au XXe siècle.
Rappelons ici que les lettres et textes avec propositions de réformes sont reproduits dans U. Harten, Karl Friedrich Schinkel , Die Bühnenentwürfe, überarbeitet von Helmut Boersch-Supan und Gottfried Riemann, München Berlin, Deutscher Kunstverlag 2000.
Ce que Klaus Lazarowicz signale déjà à propos de l'ensemble de la réforme du théâtre voulue par Schinkel, dans sa courte introduction au texte de Schinkel, in Texte zur Theorie des Theaters, RUB 8736.
"Wie überall so auch in den schönen Künsten ist die möglichste Vereinfachung in der Behandlung vom höchsten Nutzen, es wird hierdurch die leichteste und zugleich sicherste Erreichung des Zweckes allein möglich." in Harten, K. F. Schinkel […], op. cit., p. 34 (Premier texte (incomplet), Introduction)
ibid., p. 37 (Deuxième texte (complet), partie I)
"Soll die Szene einen höheren Charakter gewinnen, so muß dieses Proszenium mehr das Wesen der festen Szene der Alten gewinnen und ein Abschlussrahmen sein für das Bild der ganzen Theatererscheinung, in welchen aus der Szene heraus die bewegliche Handlung tritt wie ein herausgeworfener Fokus und so den leuchtensten Punkt der ganzen Erscheinung bildet." ibid.
"in einem großen Kunstwerk [ist] die Vollendung aller Teile nötig" ibid., Premier texte, p. 34.
ibid., Deuxième texte, p. 37.