2. 2. 3. 2. Karl von Brühl

Nous avons déjà pu observer, en analysant les réponses du comte Brühl à ceux qui critiquent l'éclat donné à la scénographie, qu'il reprend des arguments avancés par ses adversaires et les retourne pour défendre son propre point de vue. Alors que certains des Romantiques avaient, de façon plus générale, posé le théâtre grec comme modèle d'une scénographie sobre qui ne détourne pas le regard du spectateur, Brühl répondit que le théâtre des Grecs possédait, à sa manière une forme d'éclat dans sa scénographie. Il a utilisé le même argument pour défendre le principe du respect de la vérité historique.

‘[…] nous savons également avec certitude que leurs [i.e. les Anciens] costumes de théâtre avaient un grand éclat et même qu'ils imitaient rigoureusement ceux d'autres nations qu'ils présentaient sur la scène. 551

Pour justifier la richesse de la scénographie, Brühl s'était référé à l'ouvrage de l'architecte Hans Christian Genelli, Le théâtre à Athènes (Das Theater zu Athen, 1818). Sans doute se fonde-t-il encore sur la même étude, mais la formulation de Brühl laisse un doute sur la source de son information. Il se trouve ici en contradiction avec les indications livrées par A. W. Schlegel sur les pratiques scéniques des Grecs. Schlegel affirmait au contraire que les Grecs avaient surtout deux costumes différents, leur propre costume et le costume phrygien qui devait signifier tous les peuples étrangers, sans distinction. Brühl était attentif à toute découverte nouvelle, trop heureux de trouver dans l'ouvrage de Genelli des arguments pour poursuivre sur la voie empruntée. Mais il est possible qu'il ait interprété (sans intention malhonnête) les propos de Genelli dans le sens qui l'intéressait. On peut voir ici encore le désir de couper court à l'argumentation érudite des adversaires.

L'un des reproches adressés aux efforts du comte Brühl en matière de costume historique est celui du manque de beauté des nouveaux costumes qu'il fait réaliser. Cette critique est formulée explicitement dans l'un des articles de la Spenersche Zeitung. Elle est formulée implicitement par l'écrivain et critique de théâtre Adolf Müllner 552 qui exprime sa compréhension pour les caprices des actrices (parfois réticentes à la réforme des costumes). Brühl répond à ce reproche :

‘Si bien des vêtements d'époques anciennes ou de régions éloignées ne plaisent pas à notre regard et sont décriées comme indignes de la scène (untheatralisch), ils n'en sont pas plus laids que d'autres pour autant, et seul le manque d'habitude est très souvent responsable de la conception du beau et de la laideur ! 553

Brühl évoque ici la question de l'habitude du regard, et propose un argument intéressant, celui de la relativité du jugement de goût. Le beau et le goût sont dissociés. L'affirmation de Brühl signifie une prise de distance par rapport aux canons de beauté classique, au profit d'une objectivité scientifique et du plaisir de la découverte. Encore une fois nous voyons que le directeur reste sur ses positions. En 1825, Tieck a repris encore une fois l'argument du manque de beauté des costumes historiques. Aucun des partis n'a véritablement fait de pas vers l'autre.

Notes
551.

"[…] wir wissen gewiß, daß ihre Theaterkleidungen sehr glänzend waren, ja daß sie die Kostüme anderer Nationen, welche sie auf dir Bühne darstellten, gleichfalls streng nachahmten." Neue Kostüme, préface, 4ème page.

552.

Cf. l'article de Müllner sur le costume paru dans le Dramaturgisches Wochenblatt […], le 6 janvier 1816.

553.

"Wenn so manche Kleidung alter Zeit, oder entfernter Länder, unseren Augen nicht wohl gefällt, und für untheatralisch ausgeschrien wird, so ist sie deshalb nicht häßlicher als manche andere, und nur die Ungewohnheit ist sehr häufig schuld an dem Begriffe von schön und hässlich !"