Les pôles de la contextualisation décisionnelle

Dans le prolongement de cette direction conceptuelle, l’examen de la décision du recours à la SCI, en tant que finalisation d’un projet immobilier patrimonial, nous incite à prêter attention aux déterminations (historiques, économiques, juridiques, culturelles et sociales) et aux contraintes pouvant l’influencer 82 [Cf. Figure 2]. Dans son essence, le projet dénie toute improvisation au profit d’une programmation ou d’une planification des objectifs à atteindre. En outre, son élaboration implique une connaissance plus ou moins lucide de sa situation (biographique), à partir de laquelle elle s’amorce, des résultats possibles et des moyens employés pour sa matérialisation.

Figure 2 – Les quatre pôles de la contextualisation décisionnelle

Précisément, si l’on suit les analyses de Denis Kessler et André Masson 83 , on remarque que la décision d’investissement répond à la conjugaison de quatre séries paramétriques : la nature des objectifs poursuivis en fonction des goûts, préférences, habitudes et besoins (aversion pour le risque, sécurité, précaution, retraite, transmission) ; les dispositifs et les ressources mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés (aptitudes, revenus, héritages, ressources réticulaires, etc.) ; les caractéristiques de chaque actif (liquidité, durabilité, rentabilité, risque, etc.) et les données de l’environnement fiscal, juridique et institutionnel ; le fonctionnement et l’évolution des marchés inhérents à chaque actif (importance de l’offre, imperfections de l’information, etc.).

Ainsi, la décision de constitution sociétaire peut être inaugurée par un ou plusieurs motifs. Deux types d’explications surviennent à ce propos : une explication moniste et une explication pluri-factorielle. Si l’on regarde le cas d’un montage de SCI professionnelle, comme nous l’avons déjà exprimé, l’exigence de séparation des patrimoines privé et professionnel prédomine. Elle soutient même le constat fait par des économistes du patrimoine sur la consubstantialité des trajectoires patrimoniales et professionnelles 84 . Un chef d’entreprise va essentiellement opter pour un recours sociétaire connexe dans la mesure où son activité peut mal supporter les soubresauts d'une conjoncture économique et voir poindre un dépôt de bilan ou une faillite. Néanmoins, ce motif peut tout aussi bien venir se superposer ou se juxtaposer à d’autres motifs. En reprenant notre exemple, le chef d’entreprise peut avoir dans l’idée de fragmenter ses patrimoines et d’autofinancer son opération immobilière mais également de préparer sa succession (faire jouer son altruisme et en même temps bénéficier d’une fiscalité avantageuse), de protéger sa conjointe (législation défavorable fiscalement parlant), ou encore, de se ménager une plage de revenus pour la retraite – à plus forte raison quand on sait que la protection sociale des indépendants est plus précaire, toutes choses égales, que celle des salariés. De ce fait, les motifs professionnels rejoignent des motifs familiaux, conjugaux et de prévoyance individuelle ou collective. D’aucuns vont accorder une importance similaire à tous ces motifs (juxtaposition ou recouvrement causal) tandis que d’autres vont les hiérarchiser, leur attribuer une importance différentielle (superposition causale).

Dans un cas comme dans l’autre, il nous paraît pertinent de conjecturer la présence d’un système de motifs comportementaux où prévaut leur interconnexion. Deux manières de capter l’imputation causale sont donc à retenir : la photographie à l’instant t, justiciable de la situation présente, et une approche plus longitudinale, invitant à prendre en considération des processus plus larges. Dans le premier cas de figure, un seul motif est actif tandis que dans le second d’autres motifs surgissent en fonction des événements ou des conjonctures socio-historiques et des occurrences des calendriers individuels et familiaux (décès, naissances, divorces, évolution sociale de la progéniture, mobilité). Soit de nouveaux motifs viennent se greffer sur le premier, soit il les remplacent purement et simplement. Les changements apportés à la grille des motifs (érosion, substitution, renforcement, rajouts stratégiques ou incrémentation) nous inclinent à observer les mouvements de la rationalité in temporis. On ne monte pas a priori une SCI de la même façon en 1980 qu’en 1990 ou 1998. Nous forgeons alors l’hypothèse que les logiques d’action – ainsi que les attitudes, les projets, les motifs et les représentations qui leurs sont accolés – ne sont pas immuables ; elles peuvent être affectées par une certaine labilité et expliquées non seulement par un complexus d’événements et de situations qui balisent la vie des porteurs de parts, mais aussi par l’évolution des critères, des perceptions et des modes de faire propres aux praticiens.

Notes
82.

Cf. Article « Action » in Raymond BOUDON et François BOURRICAUD (dir.), Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, PUF, « Quadrige », 2000 (1982), p. 1-8. Pour eux, les préférences et les moyens dont dispose l’acteur social sont affectées par les structures sociales. Ils ajoutent : « D’une façon générale, le sociologue admet que l’acteur social est animé par un souci d’optimisation ou, plus simplement, d’adaptation à son environnement et qu’il agit dans le cadre de contraintes déterminées par les effets de la socialisation et la structure de la situation ».

83.

Cf. Denis KESSLER et André MASSON, « Le patrimoine des Français : faits et controverses », Données sociales, INSEE, 1990, p. 156-166

84.

Cf. Stefan LOLLIVIER et Daniel VERGER, « Patrimoine des ménages : déterminants et disparités », Economie et statistique, n° 296-297, 1996, 6/7, p. 13-31.