Comme nous l’avons entrevu dans l’introduction et dans le premier chapitre, nous désirons mettre au jour l’interaction entre normes et valeurs juridico-financières et normes et valeurs sociales. Si l’on emploie un autre vocabulaire, il s’agit de cerner les tournures que prennent la rationalité juridique et les normes en vigueur dans des configurations amicales, familiales et partenariales, l’une par rapport aux autres. Nous le devinons, la difficulté de traitement de cette interaction n’est pas des moindres. Chaque groupe interpersonnel et les membres qui les composent développent des systèmes axiologiques, représentationnels et normatifs spécifiques, produits par une histoire et des trajectoires singulières. Partant, on pourrait presque dire qu’il existe autant de valeurs et de normes que de groupes interpersonnels.
Afin de pouvoir dégager des régularités ou des analogies comportementales de groupe à groupe, il faudrait postuler une certaine homogénéité sociale. Si nous travaillons sur des groupes, individus et catégories sociales dont le point commun est de posséder argent et patrimoine, les degrés dans la possession paraissent rédhibitoires. En sus de la capacité projective et du rapprochement situationnel, l’homogénéité se situe aussi du côté des normes juridiques (objectives et exogènes). En effet, un système objectif unique vaut pour de multiples individus (porteurs de parts) et groupes sociaux. Chacun jette un regard personnel sur ce système et met en application des pratiques différentes. Concrètement, le couple dialectique normes juridiques objectives/normes sociales particulières offre diverses combinaisons et adaptations possibles.
Plusieurs questions naissent donc au sujet de l’interférence normative et axiologique, qu’elles soient spéculatives, intuitives ou empiriques :
Parmi les travaux produits à ce sujet, nous citerons Jean-Guy BELLEY, « L’Etat et la régulation juridique des sociétés globales. Pour une problématique du pluralisme juridique », Sociologies et sociétés, XVIII, n° 1, avril 1986, p. 11-32. Jacques COMMAILLE, « Normes juridiques et régulation sociale. Retour à la sociologie générale », in François CHAZEL et Jacques COMMAILLE (dir.), Normes sociales et régulation juridique, op. cit., 1991, p. 13-22. Jean CARBONNIER, Sociologie juridique, Paris, PUF, « Quadrige », 1994 (1978), p. 356 sq.
Cf. Article « Socialisation » in Raymond BOUDON et François BOURRICAUD, Dictionnaire critique de la sociologie, op. cit., p. 527-534 : « […] Face à une situation nouvelle, l’individu est guidé par ses ressources cognitives et par les attitudes normatives résultant du processus de socialisation auquel il a été exposé. Mais, la situation nouvelle l’amènera éventuellement à enrichir ses ressources cognitives et à modifier ses attentes normatives ».
Nous empruntons ces deux concepts à Chantal KOURILSKY-AUGEVEN, « Socialisation juridique et modèle culturel », in Chantal KOURILSKY-AUGEVEN (dir.), Socialisation juridique et conscience du droit. Attitudes individuelles, modèles culturels et changement social. Paris, LGDJ/MSH, « Droit et société », Recherches et travaux n° 2, 1997, p. 11-31.
Cf. Jean CARBONNIER, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris, LGDJ, 9ème édition, 1998 (1969), p. 143.
Cf. Antoine JEAMMAUD, « Les règles juridiques de l’action », Recueil Dalloz Sirey, 29ème cahier, 1993, p. 207-212. Pierre LASCOUMES et Evelyne SERVERIN, Le droit comme activité sociale : pour une approche wébérienne des activités juridiques » in Pierre LASCOUMES (dir.), Actualité de Max Weber pour la sociologie du droit, Paris, LGDJ, « Droit et société » , n° 14, 1995, p. 155-177.