De l’efficacité relative des groupes restreints

Selon le concept socio-juridique d’intuitu personae en vigueur dans les sociétés de personnes en général, et les SCI en particulier, la limitation numérique des associés et l’efficacité seraient corrélatives. Mais qu’en est-il vraiment ? La limitation garantit-elle une efficacité gestionnaire ?

En nous appropriant une nouvelle fois une partie des réflexions de Mancur Olson, nous nous apercevons que la pression sociale et les motifs sociaux demeureraient avant tout opérants dans des groupes de faible dimension 119 . Au sein de groupes plus importants, les motifs économiques prendraient alors le relais. Néanmoins, les SCI familiales et amicales mettent en jeu une imbrication de ces ordres de motifs à la faveur de leur connotation patrimoniale. Nous pourrions même penser que les enfants sont sensibles aux jugements et opinions de leurs parents, tout comme d’autres personnes sont attentives aux avis de leurs amis, a plus forte raison quand derrière des enjeux purement patrimoniaux figurent des enjeux identitaires et relationnels : reconnaissance, estime, responsabilisation, soutien, confiance, etc.

Les praticiens et les ouvrages spécialisés le soulignent : les SCI s’articulent, dans leur grande majorité, autour du couple ou de la parenté restreinte 120 , à savoir le couple ou l’un des deux parents et un ou plusieurs enfants. Si nous ne remettons pas en cause les riches analyses démographiques et sociologiques témoignant de la vivacité de la parenté élargie et de la « famille-entourage » 121  – il peut d’ailleurs arriver que des SCI regroupent deux ou trois générations – nous nous bornerons à l’observation des groupes restreints et aux raisons qui poussent justement à ne pas élargir la sphère des participants à autrui.

Par-delà une analyse démographique reliant la baisse de la fécondité avec la diminution de la taille des familles et d’une analyse sociologique attestant d’un processus de conjugalisation 122 , nous supposons que cette dynamique centripète est aussi le fruit des pratiques et des représentations des praticiens dont parmi eux les notaires, gardiens d’une idéologie familiale basée sur l’unité et la permanence. Ils retranscrivent les desiderata patrimoniaux du couple, insistent sur l’efficacité de la SCI à partir du moment où le montage introduit peu de personnes, évaluent et finalisent le projet en bâtissant une structure hermétique. Les parents vont pouvoir contrôler les entrées/sorties grâce aux statuts et aux clauses d’agrément qui renforcent leurs pouvoirs.

Aussi, dans la foulée des exhortations simméliennes à pointer les séquences de rigidité et d’élasticité affectant les formes sociales 123 , on peut se demander s’il s’agit d’une herméticité ne varietur. Qu’est-ce qui enfreindrait une possible règle d’homéostasie ? Qu’est-ce qui engendrerait une certaine porosité ou des fissures dans l’édifice ? Mutatis mutandis, ces questions valent aussi pour les SCI amicales et professionnelles où, là, les associés sont liés par des intérêts plus économiques et commerciaux. Les SCI familiales sont-elles frappées d’immobilisme et de conservatisme ? Ses membres peuvent-ils faire preuve d’originalité, d’esprit d’ouverture ou d’un sens de l’adaptation ? Dans le cas des SCI professionnelles, nous conjecturons que l’ouverture est fonction des conjonctures traversées par la société d’exploitation qui la chapeaute. Des problèmes financiers ou des changements de stratégie d’entreprise peuvent conduire à des ouvertures de capital et, du coup, à une redéfinition des stratégies patrimoniales privées des associés. Par contre, dans le cas des SCI familiales, l’herméticité l’emporte dans le dessein de conserver la valeur symbolique des biens immobiliers gérés, d’entériner la force des stratégies patrimoniales verticales (enfants) et horizontales (couple), de se prémunir contre les occurrences des calendriers individuels (divorce, séparation, concubinage, remariage) et de contrecarrer les tactiques subversives de certains membres de la famille par alliance ou recomposée (bru, gendre, beaux-parents, enfants naturels et de plusieurs lits).

Notes
119.

Cf. Mancur OLSON, Logique de l’action collective, op. cit.., p. 84.

120.

Sur l’activité importante des relations entre parents en enfants, cf. Emmanuelle CRENNER, « La parenté : un réseau de sociabilité actif mais concentré », INSEE Première, n° 600, juillet 1998.

121.

Cf. Hervé LE BRAS, Catherine BONVALET et Dominique MAISON, « Proches et parents », Population, 1, 48ème année, janvier-février 1993, p. 83-109. Ou encore Catherine BONVALET et Dominique MAISON, « Proches et parents dans la ville » in Denise PUMAIN et Marie-Françoise MATTEI (dir.), Données urbaines 2, Paris, Economica/Anthropos, INSEE/ PIR Villes, 1998, p. 207-216, pour une définition de la famille-entourage locale et dispersée.

122.

Cf. François DE SINGLY, Sociologie de la famille contemporaine, Paris, Nathan Université, « 128 », 1993, p. 50 sq.

123.

Cf. Georg SIMMEL, « Comment les formes sociales se maintiennent » in Sociologie et épistémologie op. cit.., p. 171-206 et Sociologie. Etude sur les formes de la socialisation, Paris, PUF, « Sociologies », 1999 (1908, 1992), p. 563-564. : « Le groupe peut se maintenir soit en conservant le plus possible sa forme fixe et rigide, si bien qu’elle opposera une résistance substantielle aux dangers qui l’assaillent et que le rapport entre ses éléments persistera à travers tous les changements de circonstances extérieures ; soit par la labilité la plus forte possible de sa forme, en répondant aux changements des conditions extérieures par son propre changement, en se maintenant fluide pour pouvoir s’adapter à toute exigence de la situation ».