La SCI comme phénomène de mode

En souhaitant œuvrer à la constitution d’une sociologie des SCI, nous avons été amené dans le courant de la recherche à repérer sa diffusion dans des populations plus ou moins amples et hétéroclites. En collationnant ouvrages sur la question et entretiens de praticiens, nous nous sommes aperçu que la prolifération des SCI depuis plus de vingt pouvait s’expliquer par des besoins ou des motifs pratiques concrets – dont le contenu a été examiné supra – mais aussi par des raisons « extra-rationnelles » illustrées notamment par des processus et des comportements mimétiques, moutonniers ou contagieux.

C’est pourquoi, nous nous sommes dirigé vers des auteurs qui ont conçu des clés analytiques susceptibles de nous aider à traiter cette question et plus globalement à ouvrir les portes des processus de diffusion des innovations, techniques, informations, opinions, rumeurs ou attitudes dans des populations données.

Si l’on emboîte le pas aux représentants de l’individualisme méthodologique que sont Raymond Boudon et François Bourricaud, un processus de diffusion peut être envisagé de deux façons. Tout d’abord, l’identité comportementale observable serait la résultante de la structure du système d’interdépendance liant les individus et des stratégies que celle-ci leur inclinerait à mobiliser. Ensuite, dans d’autres circonstances, la similitude des comportements serait le produit de l’identité de la situation ou des intérêts 127 . Dans un cas comme dans l’autre, le processus de diffusion du recours sociétaire, considéré dans son allure collective globale, se présenterait comme l’effet agrégé d’une multitude d’actions individuelles. Celles-ci dépendant des champs d’action des individus, qui sont déterminés par diverses données structurelles et conjoncturelles.

Pour ce qui concerne notre objet, nous remarquons que les deux hypothèses peuvent se rejoindre dans la mesure où la propagation des SCI serait le produit de l’agrégation des recours instrumentaux individuels, motivés par une pression fiscale n’épargnant pas les porteurs de parts et ce, quelle que soit leur position socioprofessionnelle, leur volume de patrimoine et leur tranche d’imposition. L’optimisation fiscale, les sentiers stratégiques qu’elles empruntent et les degrés qui la caractérisent, semble alors une donnée partagée. En affinant le raisonnement, tout en dissociant les destinations des montages, la fragmentation des patrimoines et la crainte des effets d’un dépôt de bilan seraient le cadre structurel et conjoncturel conduisant à une prolifération des SCI professionnelles tandis que la pérennisation d’un patrimoine hérité modèlerait celui des SCI familiales d’habitation.

Vu sous un autre aspect, la vision individualiste du phénomène SCI peut être agrémentée d’une approche plus anthropologique des représentations culturelles 128 . Il s’agit de se demander pourquoi certaines représentations sont plus contagieuses que d’autres et trouvent plus d’écho dans telles ou telles populations. A cet effet, il devient intéressant de considérer la distribution représentationnelle en mettant en perspective modes, traditions mais aussi bonnes raisons ou croyances personnelles habitant les individus. L’étude de l’effet d’agrégation des comportements individuels évoqué se double donc d’une « épidémiologie des représentations », c’est-à-dire d’une étude de la distribution des représentations dans une population, dont la finalité est l’explication causale des macro-phénomènes culturels dans l’enchaînement des micro-phénomènes de la cognition et de la communication.

La SCI serait par conséquent largement diffusée dans les milieux d’affaires, les catégories sociales aisées et certaines cultures de l’argent attirées par la technicité. A ce titre, son utilisation pourrait être considérée comme cause et conséquence de représentations socio-culturelles plus larges – notamment sur la fiscalité ou des avantages putatifs – dont les praticiens et les médias seraient, dans leur travail de vulgarisation de la connaissance sociétaire, des relais ad hoc 129 .

Notes
127.

Cf. Article « Diffusion » in Raymond BOUDON et François BOURRICAUD, Dictionnaire critique de la sociologie, op. cit., p. 180-186.

128.

Cf. Dan SPERBER, « L’étude anthropologique des représentations : problèmes et perspectives », in Denise JODELET (dir.), Les représentations sociales, op. cit.., p. 133-148.

129.

Pour une discussion sur le positionnement des praticiens vis-à-vis du phénomène de mode et des systèmes de pratiques et de représentations interprofessionnelles en dérivant, cf. infra chapitres 8 et 9.