Avant d’achever ce chapitre, nous voudrions exposer une dernière hypothèse relative aux formes et effets de la diffusion de la connaissance sociétaire. Elle nous aidera de plus à appuyer notre problématisation de la question de l’internormativité.
En étant fidèle à un dessein transculturel cher à beaucoup d’anthropologues, Jack Goody montre dans l’un de ses travaux majeurs que les sociétés occidentales certifient le règne de l’écriture 145 . En revanche, elles n’excluent pas de leurs sphères sociales une dimension plus orale ou verbale. L’interrogation du phénomène SCI et de la diffusion des normes, connaissances et informations juridico-financières qui s’y rapportent nous autorise à agréer cette grille d’analyse anthropologique. En effet, les statuts de la SCI, contribuent à expliciter l’implicite et portent témoignage d’une forte hétéronomie aux supports écrits dans un but d’authenticité et d’homologation des conduites patrimoniales. Cette légitimation semble d’ailleurs plus forte lorsque les statuts sont notariés, c’est-à-dire rédigés par des professionnels de l’écrit juridique dont la mission est publique. Si nous nous référons derechef aux rapports de force entre praticiens, la nature authentique et institutionnalisée des écrits notariaux peut éventuellement entraîner de la part de conseillers patrimoniaux concurrents des critiques acérées et des pratiques d’accommodation avec cette espèce de norme sociale 146 .
Nonobstant la prédominance de l’écriture, nous misons davantage sur une interdépendance des deux modes où l’oralité (juridique) est loin de tenir une place négligeable. Précisément, elle surviendrait à deux moments :
En définitive, si l’oralité marque « la valorisation de l’individualisation des rapports sociaux » 148 ou le partage d’un champ décisionnel commun, l’écriture œuvrerait quant à elle à une maîtrise du temps ou à ce que Jack Goody conçoit comme l’instauration d’une « fixité » avantageuse pour des relations contractuelles diverses. Elle favoriserait l’abstraction et, paradoxalement, une perte de contrôle des objets juridiques par les individus. Si la seconde idée nous paraît valide, dans la mesure où elle justifierait le passage par des praticiens rompus à l’exercice du décryptage, la première peut être mise à l’épreuve à l’aune de la liberté statutaire et du mécanisme des cessions de parts propre aux SCI. Ou quand la flexibilité s’immisce dans les interstices de la fixité contractuelle.
Cf. Jack GOODY, Logique de l’écriture, op. cit., p. 173 sq. Pour Louis ASSIER-ANDRIEU, la raison écrite est une manifestation de la tradition juridique occidentale. Il écrit : « Mode de désignation et de classement des objets sociaux, la droit tire des seules propriétés de la forme écrire le moyen de traiter ces objets, comme s'ils ne devaient leur achèvement social qu'au sceau de la reconnaissance juridique. C'est là une manœuvre bien abstraite, mais elle caractérise le nébuleux interface entre légalité et société, où tout à la fois se construisent l'identité et la force du droit. », cf. Le droit dans les sociétés humaines, op. cit., p. 47.
Cf. infra, chapitre 8, § 8.3.
Cf. Norbert ROULAND, Anthropologie juridique, op. cit., p. 203 sq.