Un double exercice de déconstruction/reconstruction

Etant donné que nous avons circonscrit notre objet d’étude aux SCI de gestion patrimoniale ou de location et aux SCI d’attribution, nous avons demandé au responsable du RCS de nous éditer un listing complet de ces sociétés répertoriées entre 1978 et 1998 159 . A ce stade, il convient de souligner que le RCS use de cotes classificatrices types selon la nature juridique de l’activité : la lettre A pour les commerçants en nom propre, la lettre B pour les sociétés commerciales et la lettre D pour les sociétés civiles dans leur ensemble. Si l’on s’arrête sur la cote qui nous préoccupe, D, on constate que des sous-cotes administratives lui sont adjointes : CIV pour les SCI de gestion/location et d’attribution, ICO pour les sociétés civiles de construction-vente, CIA pour les sociétés faisant appel à l’épargne, CMO pour les sociétés civiles de moyens, etc. Au total, les sociétés du type D se subdivisent en 36 sous-cotes particulières.

Dans le premier chapitre, nous avons vu que le droit et l’Administration fiscale dressaient des typologies et des taxinomies sociétaires sur la base de nombreux critères différenciateurs. Le RCS n’échappe pas à cette règle rationalisatrice dans la mesure où il construit ses propres classifications tout en se nourrissant de catégories créées par des institutions partenaires. A cet égard, il emploie tout particulièrement la codification des catégories juridiques forgée par l’INSEE en 1973 au travers du Répertoire national d’identification des entreprises et de leurs établissements ou répertoire SIRENE 160 , qui procure aux entreprises deux identifiants numériques dénommés SIREN (unité légale) et SIRET (unité légale locale). Ce fichier prend aussi appui sur la Nomenclature des Activités Françaises (NAF), créée en 1993, et sur son code central : le code APE (Activité Principale Exercée).

En règle générale, l’INSEE retourne au RCS, pour transmission aux sociétés nouvellement immatriculées, une fiche sur laquelle figurent les trois identifiants administratifs. Ce document, associé à l’extrait k-bis, aide parfois une société et ses dirigeants à ouvrir un compte bancaire ou à débloquer les fonds nécessaires à un investissement. Il sert de garantie administrative à un établissement bancaire ou financier résolu à prêter de l’argent à des sociétés ayant rempli leurs obligations légales 161 .

Les catégories traitées par l’INSEE, par l’intermédiaire du répertoire SIRENE et de la NAF, se réfèrent aux formes juridiques adoptées par les entreprises et se répartissent en deux grands ensembles dont les libellés sont : « personne physique » et « personne morale ». Le premier est très succinct puisqu’il décline des groupements de droit privé non dotés de la personnalité morale comme les indivisions, les sociétés créées de fait et les sociétés en participation. Le second par contre est beaucoup plus dense puisqu’il prend en considération les personnes morales de droit étranger, les personnes morales de droit public soumises au droit commercial, les sociétés commerciales (SA, SARL, SNC), les autres personnes morales immatriculées au RCS (sociétés civiles, coopératives et mutualistes), les personnes morales soumises au droit administratif (syndicats, comités d’entreprise, mutuelle, ordres professionnels) et les groupements de droit privé (syndicats de copropriété, associations, fondations).

En gardant à l’esprit ces conditions générales de classement sociétaire, nous avons scrupuleusement étudié le listing édité en fonction du croisement des cotes D et CIV et comprenant toutes les SCI vivantes et radiées enregistrées depuis 1978. Nous avons choisi de considérer les SCI dans leur intégralité, y compris les radiées qui ont eu une existence spatio-temporelle et sur laquelle une approche historique ne peut faire l’impasse. Le listing inclut également les SCI « en sommeil », à savoir sans réelle activité mais toujours immatriculées au RCS 162 . Nous avons du coup recensé l’immatriculation de 18 228 SCI au RCS de Lyon en 20 ans.

Fort de ce premier résultat, nous avons malgré tout décidé d’affiner le listing. En effet, tout travail de classement institutionnel implique une part d’arbitraire qui interpelle le sociologue et le pousse presque naturellement à un « redressement » des données 163 . De surcroît, le travail de saisie des données issues des déclarations peut parfois donner lieu à des hésitations ou à des interprétations subjectives de la part des agents contrôleurs. C’est la raison pour laquelle, nous avons décidé de faire défiler chacune des 18 228 « fiches sommaires » correspondantes et de voir si des erreurs ne s’y étaient pas glissées. L’exercice de reconstruction a été effectué en mobilisant des codes APE élaborés par l’INSEE.

Les codes que nous avons retenus sont les suivants : 70.2A (location de logement), 70.2B (location de terrains), 70.2C (location d’autres biens immobiliers), 70.3C (administration d’immeubles résidentiels), 70.3D (administration d’autres biens immobiliers) et 70.3E (supports juridiques de gestion de patrimoine).

En raison du cantonnement de l’objet aux SCI de gestion/location et d’attribution, nous avons parallèlement exclu, quand nous en rencontrions, les sociétés assimilées à la double cote D/CIV et portant les codes APE suivants : 70.1A (promotion immobilière de logements), 70.2B (promotion immobilière de bureaux), 70.1C (promotion immobilière d’infrastructures), 70.1D (supports juridiques de programmes ou SCI de construction-vente) et 70.1F (marchands de biens). Logiquement, celles-ci auraient dû être classées sous D/ICO. De même, nous avons « expulsé » les sociétés répondant à des codes APE relatifs à des activités aussi diverses que les activités bancaires, d’épargne et de placements, les activités mutualistes et d’assurances, les activités de gestion d’actifs financiers, les activités de conception et maintenance informatique, les activités juridiques, comptables et de conseil pour les affaires et la gestion, les activités professionnelles d’architecte, de géomètre et d’ingénieur d’études, des activités médicales et hospitalières, des activités agricoles et d’élevage.

Le classement inopportun de sociétés civiles professionnelles et/ou à statut particulier (holdings, sociétés civiles de moyens, sociétés civiles agricoles, sociétés civiles d’appel à l’épargne) sous CIV, alors qu’elles possèdent leurs propres cotes RCS, constitue un biais qui gauchit le listing originel. Le relevé de ces erreurs admet deux explications combinées : en premier lieu, un remplissage lacunaire des déclarations de la part des requérants qui entraîne, en second lieu, des hésitations et des interprétations subjectives de la part des agents de contrôle du RCS. En proie à des définitions d’objets sociaux plus ou moins floues, ils auraient tendance à les positionner par défaut sous CIV, catégorie ratissant assez large. Si l’attribution du code APE par l’INSEE ne souffre pratiquement d’aucune contestation – au vu des 696 codes existants – leur utilisation par d’autres institutions peut quelquefois être moins maîtrisée.

La collation des objets de chacun des 18 228 items lors du déroulement des « fiches sommaires » a en définitive revêtu un caractère très important pour la reconstruction du listing. Nous avons abouti à un nouveau résultat pour le moins surprenant : 15 184 items, soit 3 044 en moins par rapport à la première édition [cf. Tableaux 3 et 4].

Le nouveau résultat obtenu à la suite de la correction se rapproche très sensiblement de ceux émis par l’INSEE. Tout en nous concentrant sur les données du RCS, nous avions commandé à l’INSEE Rhône-Alpes un dénombrement des SCI immatriculées dans la région à partir du répertoire SIRENE. A notre grand étonnement, seules 156 SCI furent extraites alors que simultanément le RCS en comptabilisait plus de 18 000 (la commande fut passée avant la reconstruction du listing RCS). En en discutant avec le responsable du RCS d’un côté et avec un chef de service de l’INSEE de l’autre, nous avons compris que l’INSEE s’était contenté, faute de précisions de notre part, d’interroger le répertoire SIRENE en croisant simplement deux variables : la forme juridique, codée 6540 pour les SCI de location et 6542 pour les SCI d’attribution, et le statut de diffusion, c’est-à-dire les informations légalement diffusables par l’Administration.

Tableau 3 – Les SCI immatriculées au RCS de Lyon de 1978 à 1998
ANNEE N SCI GLOBAL N SCI « VIVANTES » 165
[1978-1980 [ 578 466
[1981-1983 [ 785 664
[1984-1986 [ 1 354 1 180
[1987-1989 [ 3 279 2 996
[1990-1992 [ 3 473 3 271
[1993-1995 [ 2 609 2 527
[1996-1998 ] 3 106 3 083
TOTAL 15 184 14 187

Source :Listing RCS corrigé, 1999

Tableau 4 – Les SCI « étrangères » et radiées sur le listing D/CIV
ANNEE N SCI ETRANGERES N SCI RADIEES
[1978-1980 [ 198 112
[1981-1983 [ 256 122
[1984-1986 [ 312 173
[1987-1989 [ 677 282
[1990-1992 [ 648 259
[1993-1995 [ 481 84
[1996-1998 ] 472 25
TOTAL 3 044 1 057

Source :Listing RCS corrigé, 1999

C’est donc en déterminant plus en détail ce que nous recherchions qu’une seconde commande a été passée. D’autres variables ont alors été combinées avec les deux déjà mobilisées : l’une appelée singularité de l’établissement (SINGT) et l’autre appelée statut. L’une comme l’autre s’articulent respectivement autour deux codes spécifiques : 70 (activité de location à titre accessoire) et 80 (gestion immobilière de biens propres) pour la première, 10 (siège productif) et 11 (siège auxiliaire) pour la seconde. Il a résulté de cette nouvelle demande un dénombrement proche de celui que nous avions établi après reconstruction du listing RCS : 15 073 contre 15 184. Nous pouvons supposer là encore que l’écart de 111 items entre leur dénombrement et le nôtre résulte d’appréciations différentes dans la codification et/ou d’omissions de notre part.

Notes
159.

Le Greffe produit des statistiques à usage interne mais qui sont surtout utilisées lors de la rentrée annuelle du Tribunal de Commerce (audience solennelle). Elles synthétisent tout ce qui a trait au contentieux, aux créations, défaillances et disparitions d’entreprises, au nombre et à la nature des jugements ouverts. Elles font aussi état des immatriculations, modifications et radiations de personnes physiques et morales sur une année. Au sujet des sociétés civiles, ses statistiques sont génériques, les spécificités de chacune d’entre elles n’étant pas reprises et chiffrées. C’est ce qui nous a conduit à exploiter un listing plus fin lié à notre objet.

160.

Cf. Catherine BERNARD, « Le répertoire SIRENE », Courrier des statistiques, INSEE, n° 75-76, décembre 1995, p. 7-15. Le répertoire est conçu à la fois un outil administratif et une source statistique.

161.

Comme l’indique Pierre BEZARD, à compter de la loi de 1978, les banques se sont montrées un catalyseur essentiel de l'immatriculation d'anciennes SCI, condition sine qua non d’obtention des crédits. Cf. Sociétés civiles, op. cit., p. 9. Aujourd’hui encore, les banques hésitent à accorder des crédits tant que l’extrait k-bis n’est pas établi et mis à leur disposition.

162.

Aux dires de Monsieur Gaillard, responsable du RCS, leur nombre ne serait pas négligeable quoique difficile à quantifier. En outre, leur radiation du fichier n’intervient légalement qu’au cours de la troisième année suivant leur inscription, ce qui peut constituer un biais méthodologique dans une approche statistique. Si elles sont déclarées sans activité, les SCI en sommeil n’en n’ont pas moins une localisation géographique légale, i.e. un siège social.

163.

L’« arbitraire » dont nous affublons le classement officiel ne doit pas être perçu comme une critique. Notre travail de correction l’est tout autant, du fait des modalités arrêtées.

164.

L’analyse de ces résultats sera abordée dans le détail dans le chapitre 4.

165.

Moins les SCI radiées pour cause de dissolution anticipée et clôture de la liquidation, cessation d’activité et procédure collective (liquidation judiciaire).