Principes de construction de la base de données « BDSCI.XLS »

Afin d’exploiter plus en profondeur l’échantillon de 1 521 SCI, nous avons d’abord entrepris de retenir quelques unes des variables présentes dans le deuxième et le troisième groupe informationnel, puis de les regrouper dans une petite base de données de type EXCEL baptisée pour la circonstance « BDSCI.XLS ». S’il existe des logiciels de traitement de données plus performants, nous avons préféré un tableur plus simple et plus maniable au regard des besoins cantonnés de l’exploitation. En effet, notre enquête se fonde moins sur une méthode quantitative assistée par informatique que sur une méthode qualitative alimentée par des entretiens, considérés comme des leviers ad hoc pour sonder des logiques d’action.

L’exploitation informatique menée a surtout visé à fournir quelques éléments de cadrage relatifs à quelques unes des propriétés objectives des SCI locales et de leurs gérants et aux dynamiques spatiales les caractérisant. Elle a principalement débouché sur des tris à plat, des représentations graphiques et cartographiques, et a été mobilisée, autant que nécessaire, comme un appoint analytique des entretiens.

D’un point de vue pratique, les variables choisies parmi les deux groupes informationnels de départ ont été : date de création, durée, adresse du siège social, adresse résidentielle, date et lieu de naissance, âge des gérants, type de gérance (unipersonnelle ou collégiale), montant de capital, date et nature des éventuels dépôts d’actes. Nous avons confectionné deux sous-variables dans le but de faire varier les échelles descriptives :

  1. « DestinationHAB » relative aux SCI montées pour acheter et gérer des biens immobiliers d’habitation, « Destination ICP » relative aux SCI montées pour acheter et gérer des biens immobiliers industriels, commerciaux et professionnels. En règle générale, celles-ci figurent dans les libellés d’objets ou d’activité.
  2. « Commune/localisation/genre » pour spécifier les adresses des sièges sociaux et des résidences des gérantsNotre étude ne prend pas en compte la mobilité résidentielle des gérants, à tout le moins dans sa partie macroscopique, du fait même que les « fiches sommaires » ne fournissent aucun élément à ce propos. De plus, nombre de gérants négligeraient de signaler leurs changements de domicile au RCS, a contrario des transferts de siège social qui eux sont impératifs. L’idéal aurait été, une fois encore, de dépouiller l’ensemble des documents sociétaires déposés au RCS concernant les 1 521 items. . Les lieux ont alors été différenciés en termes de communes, de points cardinaux (Nord, Sud, Est, Ouest, etc.) et d’« aires urbaines ». Pour ce dernier cas, nous avons classé les communes afférentes en nous aidant des nouvelles catégories géographiques produites par l’INSEE en remplacement des Zones de Peuplement Industriel et Urbain (ZPIU) : Pôle Urbain de Lyon ou PUL (Lyon comme ville-centre et Aire Urbaine de Lyon pour qualifier les communes de banlieues), couronnes périurbaines (parties urbaines et rurales), espace rural Cf. INSEE, Nomenclatures et codes. Composition communale du zonage en aires urbaines. Population et délimitation 1990, Paris, INSEE, 1997. Cf. aussi Thomas LE JEANNIC, « 30 ans de périurbanisation : extension et dilution de villes », Economie et statistique, n° 307, 1997-7, p. 21-41..

L’étude proposée porte donc essentiellement sur un périmètre comprenant les 55 communes de la COURLY, auxquelles nous avons associé quelques communes limitrophes mais dotées d’un nombre significatif de sièges sociaux. : Brignais, Chaponost, Genas, Pusignan et Saint-Symphorien-d’Ozon. Ce choix vient d’une certaine façon éclairer ce que nous entendons par « région lyonnaise ». En outre, nous avons voulu affiner les analyses territoriales en nous penchant sur le cas de Lyon et de ses 9 arrondissements. Dans cette perspective, nous avons utilisé le découpage de l’espace lyonnais, élaboré par l’INSEE lors du recensement général de la population de 1990, en 63 quartiers 173 .

Qu’elle s’adosse au premier ou au second découpage administratif, l’exploitation des données RCS a cherché à représenter de manière quantitative et cartographique, grâce à la juxtaposition des variables sélectionnées et créées, la distribution spatiale des sièges sociaux des SCI de type « HAB » et « ICP » (croisement des « destinations » et des « communes, localisations et genres » notamment) et des lieux de résidence des gérants.

Parallèlement, les résultats obtenus ont été évalués à l’aune de catégories issues de certaines enquêtes socioéconomiques locales se centrant sur l’analyse de la répartition spatiale des populations et des activités économiques 174 . L’objectif de la comparaison a surtout consisté à rendre raison des disparités œuvrant à la définition d’une division sociale et économique de l’espace lyonnais par quartier, commune et secteur urbain et/ou périurbain, et donc de préciser la formulation de notre hypothèse sur la présence d’inégalités territoriales. De même, toujours sur un plan large, nous avons souhaité croiser les adresses des sièges sociaux et les adresses des domiciles des gérants afin de repérer d’éventuelles forces d’attraction spatiale ou de possibles jeux de distances/proximité entre espaces résidentiels, de gestion et/ou de travail.

A travers cette présentation, le lecteur aura pris acte de notre volonté première de décrire et d’analyser la SCI comme un macro-phénomène spatial. Néanmoins, la prise en compte d’autres registres d’observation macroscopique, simplifiés ou croisés, peut s’avérer très importante pour non seulement déterminer des caractéristiques sociétaires objectives, mais aussi, dans la foulée, proposer des hypothèses dont le contenu théorique a été posé dans le chapitre précédent. Nous avons de ce fait avons construit huit registres :

  1. Le croisement « destination », « commune/localisation/genre » et « date de création ». Tout en raisonnant sur des stocks de données, il est loisible, comme le montrent les résultats présentés dans le Tableau 3, d’analyser des flux d’immatriculations, année par année ou tranche par tranche. Certaines peuvent être plus propices que d’autres à des inscriptions en vertu de facteurs conjoncturels à définir. S’il est donc intéressant de la sorte de concevoir le recours sociétaire comme le fruit d’un effet de période, nous pouvons aussi associer à des fins explicatives les flux numériques temporels à la « destination » de la SCI : voir s’il y a plus de montage de SCI « HAB » ou « ICP » à telle ou telle époque, et à ses ancrages spatiaux : voir selon les périodes dans quels endroits s’implantent les sièges sociaux de SCI « HAB » et « ICP ».
  2. La structure des âges des gérants. En agrégeant les âges de tous les gérants présents sur « BDSCI.XLS », on peut dégager un âge moyen qui dans une certaine mesure peut être comparé à l’âge moyen des propriétaires-bailleurs classiques. Du coup, l’examen structurel doit nous permettre de juger de la validité d’un éventuel effet d’âge et/ou de génération – à côté des motifs objectifs, subjectifs et des normes sociales – dans l’explication causale des pratiques et des représentations sociétaires et patrimoniales.
  3. Le croisement « destination » et « âge du gérant ». Pour une étude plus assurée, la structure des âges totaux doit être scindée en deux catégories : les âges des gérants des SCI « HAB » et les âges des gérants des SCI « ICP ». En distinguant plusieurs classes d’âges, il est alors permis de leur attribuer des comportements patrimoniaux, professionnels, d’investissement plus ou moins typiques.
  4. Les formes de gérance. Deux formes ressortent : gérance unipersonnelle et gérance collégiale. Si dans la première, il peut être intéressant de mettre en évidence la part des gérants et des gérantes déclarés – dans le but par exemple de déceler des différences sexuelles dans les pratiques de gestion –, la seconde donne à voir plusieurs combinaisons : partenaires professionnels ou amis, couple, parents/enfants, fratries, concubins, grands-parents/petits enfants. A vrai dire, les situations collégiales, quand bien même elles nous aideraient à dévoiler certains processus, restent marginales. Ce constat nous a aussi autorisé à échafauder un corps d’hypothèses relatif à l’initiative individuelle du montage sociétaire, la présence d’un leader, l’illusion contractuelle et l’inaction collective.
  5. Le « montant du capital ». A la différence des obligations qu’elle édicte pour les sociétés commerciales, la loi n’impose pas de capital minimum aux SCI. Ainsi, nous avons classé les différents montants rencontrés par tranche capitalistique avec pour ambition de montrer que, au-delà d’avantages juridiques, leur détermination peut répondre à des motifs contextualisés et reposer sur des logiques gestionnaires significativesPour des illustrations de cette assertion, cf.infra, chapitre 6, § 6.2.. L’analyse qui en a découlé a servi à éclaircir l’hypothèse des usages personnalisés des normes juridiques objectives.
  6. Le croisement « destination » et « montant de capital ». Dans le prolongement de la catégorisation précédente, nous avons convenu de relier plus finement les montants de capital aux SCI de type « HAB » et « ICP », dans l’espoir de pointer des spécificités gestionnaires respectives. L’argent serait, par hypothèse, employé différemment selon les stratégies patrimoniales et d’investissement fixées et selon le profil des associés recrutés ou la nature des rapports les unissant.
  7. Les « mouvements sociétaires ». Ont été subsumés sous cette catégorie tous les changements notables pouvant survenir dans la vie d’une SCI. Ils correspondent sur un plan administratif à des formalités de modification statutaire dont le RCS doit être légalement averti. Il s’agit des cessions ou donations de parts (CP), des transferts de sièges sociaux (TRA SS), des changements de dirigeants (DIR), des augmentations de capital (AUG K), des nantissements de parts (NANT), des dissolutions (DIS) et liquidations (LIQ). L’émergence de l’un ou l’autre de ces changements, voire de leurs combinaisons, nous a permis de mettre en relief des propensions au « dynamisme » ou à l’« inertie ». En établissant leur fréquence et leur survenance temporelle (apparition des premières modifications par rapport à la date de création), nous avons pu procéder à un recadrage historique de l’analyse phénoménale. De même, l’analyse des transferts de sièges sociaux nous a permis de donner une autre dimension à l’analyse de la distribution spatiale des SCI.
  8. Le croisement « destination » et « mouvements sociétaires ». Comme pour les « âges » et les « montants de capital », nous avons entrepris de confronter les changements sociétaires aux « destinations ». L’idée qui a prévalu est que, malgré l’accomplissement similaire des formalités administratives, les changements ne présentent pas la même signification pour une SCI « HAB » et pour une SCI « ICP ». Par exemple, l’augmentation de capital aurait plus de sens dans une SCI « ICP », réunissant des partenaires d’affaires, dont la fréquence des investissements immobiliers implique des apports d’argent frais. Une hypothèse similaire peut être proposée à propos de cessions de parts ou des transferts de sièges sociaux : le siège de la SCI correspond souvent au siège de la société d’exploitation locataire et en cas de transfert du second le premier suit.

Pour conclure sur ce bref exposé, il nous faut admettre que l’analyse des données souffre de trois insuffisances fondamentales imputables au laconisme des « fiches sommaires » :

  1. En premier lieu, elles n’indiquent jamais le nombre de porteurs de parts associés dans une SCI. L’examen fouillé des 1 521 statuts nous aurait permis de pallier ce biais et de corroborer les affirmations des juristes et des ouvrages spécialisés quant à la petite taille de ces entités. Si bien que nos assertions à ce sujet s’appuieront pour une partie, de manière présomptive, sur les discours des praticiens interrogés, et pour une autre sur les quelques entretiens effectués auprès de porteurs de parts, suivis de la consultation des documents de leurs SCI.
  2. En second lieu, elles n’offrent presque jamais, sauf rares exceptions, de renseignements sur la spécificité des biens immobiliers acquis et gérés. En dépit de libellés assez clairs sur la « destination » du montage, nous ne savons pas vraiment si une SCI contient un ou plusieurs appartements, un ou plusieurs immeubles, un ou plusieurs locaux ou bâtiments professionnels, ou encore un mélange de biens aux usages différents. Lors de la rédaction de la case « objet social » dans le formulaire d’immatriculation, les mandataires de la SCI ne sont pas obligés de mentionner la spécificité et se contentent d’un évasif « acquisition, administration et gestion de biens immobiliers ». A condition qu’ils soient bien rédigés, sur le modèle des actes notariés très descriptifs, les statuts peuvent éventuellement nous apporter les éléments d’information recherchés. Comme pour les localisations réelles, la discrétion sur le contenu patrimonial des SCI est bien souvent de mise.
  3. En troisième et dernier lieu, elles ne dévoilent jamais la nature notariée ou sous seing privé des actes déposés au RCS. Pour notre propos, la distinction est moins épiphénoménale qu’il n’y paraît puisque si elle avait été signalée nous aurions pu, sur le plan macroscopique, étayer nos hypothèses sur les stratégies procuratives et les relations de confiance entre porteurs de parts et praticiens – en effet, le choix d’une rédaction sous seing privé peut être motivé soit par des raisons marchandes (éviter des honoraires jugés prohibitifs), soit par des raisons psycho-sociales (s’affranchir du passage devant un représentant de l’autorité étatique, user de la liberté laissée par la loi). De plus, corrélée aux âges des gérants, l’exploitation de la partition nous aurait aidé à éprouver la force des effets d’âge et de génération dans l’interprétation des conduites procuratives. Par défaut, nous nous sommes reporté sur l’association microsociologique des discours et des archives pour faire état des préférences rédactionnelles et tester en conséquence nos hypothèses sur la confiance/défiance envers les conseils et sur l’équilibre pratique des dimensions orales/écrites.
Notes
173.

Au même titre que l’écoulement du temps et les habitudes de vie, la localisation des biens est un facteur qui influence la consistance du patrimoine, cf. André BABEAU, Le patrimoine aujourd’hui, Paris, Nathan, 1988, p. 137. En prenant les quartiers-INSEE comme échelles d’observation de la localisation des SCI et donc du patrimoine, il s’agit aussi d’analyser la distribution sociétaire dans des « micro-espaces » délimités et significatifs quant à leur composition sociale.

174.

Cf. principalement Nicole TABARD « Une représentation de la structure socio-économique de la région Rhône-Alpes », Revue de géographie de Lyon, vol. 65, n° 3, 1990, p. 193-208. Michèle MANSUY et Maryse MARPSAT, « La division sociale de l’espace dans les grandes villes françaises » in Jacques BRUN et Catherine RHEIN, (éds), La ségrégation dans la ville, Paris, L’Harmattan, « Habitat et sociétés », 1994, p. 195-227. INSEE RHONE-ALPES, « Villes et quartiers sensibles face à la montée de la précarité. 1993-1996 », Les Dossiers de l’INSEE Rhône-Alpes, n° 130, mai 1999.