Une diffusion hétérogène mais prévisible

En regardant attentivement la carte 1, il nous est facile de mettre en exergue les départements qui, depuis 1978, enregistrent le plus d’immatriculations de SCI en France. D’un point de vue strictement formel, nous remarquons que la distribution géographique de la technique sociétaire suit une logique polynucléaire et une dynamique à la fois centripète et centrifuge.

Carte 1 – Les immatriculations de SCI en France [1978-98]

Si une quinzaine de départements sortent du lot, faisant de ceux-ci des « noyaux » ou des « foyers » privilégiés, nous ne pouvons qu’être attentif – si nous mettons un instant entre parenthèses la sur-représentation parisienne – à un éloignement des immatriculations du centre au profit d’un rapprochement des extrémités hexagonales.

Par conséquent, l’objet SCI se diffuse bien à l’ensemble du territoire mais de manière très inégale. Certaines zones en sont délestées alors que d’autres très bien pourvues, créant par là une sorte de déséquilibre spatial assez patent. La connaissance ou l’information juridico-financière paraît donc être de prime abord mieux répandue dans des départements ou des secteurs à dominante urbaine, influents et attractifs d’un point de vue socioéconomique.

Avec 31 089 immatriculations en plus de vingt ans – soit un peu plus de 6% de l’ensemble – Paris s’affiche comme la ville-département la mieux nantie en sièges sociaux de SCI. Arrivant largement en tête du classement [cf. Tableau 5], Paris creuse un écart significatif avec ses départements-poursuivants que sont les Bouches-du-Rhône, le Nord et le Rhône, et dont les agglomérations de Marseille, Lille et Lyon sont les fers de lance : respectivement 12 475, 13 089 et 15 173 immatriculations de moins.

Tableau 5 – Les départements les mieux dotés en sièges sociaux de SCI [1978-98]
DEPARTEMENTS N SCI Rapport à
Σ SCI (%)
Paris 31 089 6,3
Bouches-du-Rhône 18 614 3,7
Nord 18 000 3,6
Rhône 15 376 3,1
Alpes-Maritimes 12 816 2,6
Gironde 12 089 2,5
Hauts-de-Seine 11 483 2,3
Var 11 294 2,2
Hérault 11 105 2,2
Isère 10 838 2,1
Haute-Garonne 9 582 1,9
Yvelines 9 342 1,8
Haute-Savoie 8 910 1,8
Val-de-Marne 8 792 1,7
Seine-et-Marne 8 568 1,7
TOTAL 197 898 40,1

Source : INPI, 1999

Derrière ce groupe de départements émargeant à plus de 15 000 immatriculations juridico-administratives chacun et concentrant près de 17% des sièges sociaux de SCI, nous trouvons un second groupe de départements et de villes prépondérants dans le système urbain français : Les Alpes-Maritimes (Nice), la Gironde (Bordeaux), les Hauts-de-Seine (Nanterre, La Défense), l’Hérault (Montpellier), l’Isère (Grenoble) et la Haute-Garonne (Toulouse). Ces 6 départements regroupent près de 16% des sièges sociaux de SCI. Enfin, un troisième et dernier groupe se dégage, dans lequel figurent des départements s’appuyant sur des villes moyennes et de moindre envergure mais tout aussi dynamiques : le Var, les Yvelines, la Haute-Savoie, le Val-de-Marne et la Seine-et-Marne, représentant 7% du total des sièges sociaux nationaux.

Pris dans leur ensemble, ces 15 départements captent 40,1% du total des immatriculations de SCI. Au regard des grandes agglomérations qui, pour 9 d’entre elles, participent à leur reconnaissance socioéconomique, il est à notre avis pertinent d’identifier le phénomène sociétaire à un phénomène presque exclusivement urbain, quand bien même la technique SCI est aussi employée dans le monde rural de façon plus marginale pour la gestion de domaines, châteaux et autres propriétés. L’association devient d’ailleurs d’autant plus éloquente si nous fusionnons les données statistiques départementales dans la perspective d’une hiérarchisation régionale [cf. Tableau 6].

Tableau 6 – Les régions les mieux dotées en sièges sociaux de SCI [1978-98]
REGION N SCI Rapport
à Σ SCI (%)
% cumulés
Ile-de-France 123 837 25,1 25,1
Rhône-Alpes 54 819 11,1 36,2
PACA 52 475 10,6 46,8
Languedoc-Roussillon 28 012 5,7 52,5
Nord-Pas-de-Calais 26 119 5,3 57,8
Bretagne 24 972 5,0 62,8
Pays de Loire 23 441 4,7 67,5
TOTAL 333 675 67,5  

Source : INPI, 1999

Avec ses 7 départements, dont 5 intègrent le classement départemental exposé supra, l’Ile-de-France concentre plus du quart des immatriculations nationales. L’écart avec les régions suivantes que sont Rhône-Alpes et PACA est même plus accusé, toutes choses égales, que dans la hiérarchie départementale. En cumulant les effectifs de ces trois régions à dominante urbaine, on arrive à presque la moitié du total des effectifs de sièges sociaux (46,8%).

L’écart se creuse également de manière assez marquée entre Rhône-Alpes et PACA d’un côté et un groupe de 4 régions de l’autre, composé du Languedoc-Roussillon et du Nord-Pas-de-Calais, régions déjà entrevues par ailleurs via leurs départements-phares : l’Hérault et le Nord. La présence dans ce groupe de la Bretagne et des Pays de Loire, mais aussi dans une certaine mesure du Languedoc-Roussillon, offre un contraste dans le sens où si ces régions comptent dans leurs rangs des villes de l’acabit de Rennes, Nantes ou Nîmes, elles demeurent moins focalisées que les autres autour de grandes métropoles.

D’après cette brève description du paysage sociétaire français – de l’attraction exercée par quelques départements et régions – la nature « urbaine » des sièges sociaux de SCI saute au yeux. Néanmoins, l’épithète accolé au phénomène sociétaire ne doit pas masquer l’existence de degrés inhérents à une telle qualification. Du fait de l’extension croissante des villes et de la recomposition des espaces métropolitains, l’« urbain » peut désigner aussi bien des zones centrales que des banlieues ou des zones périurbaines 212 . A ce titre, les données établies par l’INPI ne valent que parce qu’elles sont alimentées, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, par les différents RCS. Chacun enregistre des inscriptions de sociétés en fonction de la localisation de leur siège social dans un périmètre administratif relativement large, comportant des communes aux niveaux d’urbanisation variables. Ceci pour dire que la détermination d’un secteur comme « urbain » procède aussi du travail de catégorisation ou de découpage de l’espace en juridictions accompli par les pouvoirs publics.

Notes
212.

Pour François ASCHER, les métropoles sont aujourd’hui simultanément plus diluées et plus compactes, plus intégrées et plus discontinues. Corollairement, elles se présentent comme des lieux où les différenciations socio-spatiales sont plus marquées que dans les autres villes. Pour rendre compte du processus d’engendrement d’espaces hétérogènes par une métropole, il forge le concept de « métapole ». Tel qu’il le définit, le processus de métapolisation s’affirme comme le produit de l’interaction entre des dynamiques économiques et sociales, aboutissant à la formation de nouveaux espaces sociaux et à une transformation des modes de vie : accélération des mobilités, différenciation croissante des pratiques, renforcement de l’ancrage résidentiel et de la ségrégation, développement de nouvelles identités urbaines. Cf. Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Editions Odile Jacob, 1995, p. 34 et p. 117-151.