1993-1995 : un fléchissement relatif

Si durant quinze ans les immatriculations n’ont cessé de fleurir, jusqu’à atteindre leur point culminant en 1990-91, la période 1993-95 marque un tournant. Leur nombre chute et leur taux de croissance devient même négatif : -15,2%. Le phénomène est même plus accusé dans la région lyonnaise (-33%) que sur l’ensemble du territoire. Là encore, le poids des effets conjoncturels et structurels se fait ressentir et peut-être de manière plus vigoureuse dans la région lyonnaise. L’activité des entreprises faiblit, le chômage persiste, l’anxiété relative à l’avenir des retraites s’amplifie et le moral des ménages est éprouvé devant un tel sursaut d’instabilité. Simultanément, les marchés immobiliers traversent une grave crise générée par le dégonflement de la bulle spéculative apparue au milieu des années 80, en pleine période faste 228 .

La conjugaison de ces facteurs suscite par conséquent une frilosité vis-à-vis des placements immobiliers professionnels et d’habitation et par ricochet une utilisation retenue de l’outil SCI. Elle renforce des comportements de précaution (« risquophobie ») et un report corrélatif des pratiques sur des actifs financiers jugés plus rémunérateurs, notamment les contrats d’assurance-vie qui, en 1995, représentent près de 63% de l’épargne financière des ménages 229 . En définitive cette période ouvre la voie à une diversification des placements et des patrimoines. Si l’immobilier occupe encore une place de choix dans le système patrimonial des ménages, il n’est plus tout seul ; les gestionnaires de patrimoine font de la diversification des actifs aussi bien un argument commercial qu’une compétence légitimant leur métier.

Bien que la baisse des immatriculations de SCI soit loin d’être négligeable, les effectifs demeurent au-dessus de la barre des 100 000, si bien que nous pouvons qualifier le tassement de relatif. La SCI conserve son attractivité surtout pour des catégories indépendantes en proie à la modicité de leurs pensions de retraite et à des sorties de la vie active plus tardives. A une époque où la réforme des régimes général et complémentaires est abordée de front par le gouvernement Juppé – avec l’insuccès qu’elle a rencontré –, les chefs d’entreprise et les indépendants confortent et accentuent leurs stratégies alternatives de placement impulsées au début de la décennie 80. A côté de la loi Madelin, édictée en 1994 pour permettre aux travailleurs non-salariés de prendre en mains leur protection sociale en cotisant pour des contrats de prévoyance privés, ou de possibles fonds de pension, la SCI présente tous les attributs d’un instrument de capitalisation.

La question de l’arbitrage entre prévoyance collective et préparation privée de la retraite constitue un débat de fond 230 se traduisant par la reformulation de certains motifs individuels de recours sociétaire. La retraite après le « tout » fiscal et les répercussions patrimoniales de la mutation des structures familiales…

Notes
228.

Cf. Vincent RENARD, « Quelques caractéristiques des marchés fonciers et immobiliers », Economie et statistique, n° 294-295, 1996, 4/5, p. 89-97. Comme le souligne l’auteur, le cycle immobilier n’a atteint qu’une certaine partie du territoire mais a pris une ampleur considérable par son importance et son effet d’entraînement, creusant le fossé entre zones à croissance forte et zones en stagnation.

229.

Cf. Luc ARRONDEL et André MASSON, « Gestion du risque et comportements patrimoniaux », Economie et statistique, n° 296-297, 1996, 6/7, p. 63-89.

230.

Cf. Anne DUBOIS-LAMBERT, Les stratégies patrimoniales des travailleurs indépendants en vue de la retraite. Formalisation et test d’un modèle de retraite à partir de l’Enquête sur les Actifs Financiers de 1992, Thèse de doctorat en économie, Université de Montpellier 1/INRA, 1996.