Du poids de la ville-centre et des spécialisations de l’Aire Urbaine de Lyon

Malgré quelques vicissitudes conjoncturelles datées, l’augmentation régulière des immatriculations de SCI au RCS de Lyon s’imprime dans l’espace local selon des facteurs d’attractivité que nous retrouvons aussi au niveau spatial national. En d’autres termes, la distribution géographique locale des SCI ne s’opère pas de manière aléatoire [cf. Cartes 2 et 3] mais en fonction de la ventilation spatiale des activités économiques et financières et des populations autour desquelles elles s’organisent.

Sur la centaine de communes présentes dans le corpus de « BDSCI.XLS », 25 concentrent 75,4% des localisations de sièges sociaux de SCI « HAB » et « ICP » confondus : Brignais, Bron, Caluire, Champagne-au-Mont-d’Or, Chaponost, Chassieu, Craponne, Dardilly, Décines, Ecully, Genas, Limonest, Lyon, Meyzieu, Neuville-sur-Saône, Rillieux-la-Pape, Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, Saint-Didier-au-Mont-d’Or, Sainte-Foy-lès-Lyon, Saint-Genis-Laval, Saint-Priest, Tassin-la-Demi-Lune, Vaulx-en-Velin, Vénissieux et Villeurbanne. Hormis Brignais, Chaponost et Genas, toutes ces communes font partie de la proche banlieue de Lyon, et sont membres de la COURLY 234 .

A elle seule, Lyon polarise 37,9% des sièges sociaux (576/1 521), ce qui la positionne largement en tête du classement. Si nous cumulons ses effectifs à ceux de Villeurbanne, seconde commune la mieux dotée en sièges sociaux (107/1 521), nous aboutissons à une concentration sociétaire de près de 45% dans la ville-centre – les 23 communes citées focalisant chacune entre 0,66 et 2,7% des localisations de SCI.

Les résultats exposés dans les Tableaux 10 et 11 viennent confirmer non seulement la tendance des SCI à la polarisation métropolitaine (Lyon et PUL), mais aussi leur implantation préférentielle dans certains secteurs de l’agglomération lyonnaise.

Tableau 10 – La « Localisation » des SCI dans l’espace lyonnais [1978-98]
« LOCALISATION » N SCI HAB % N SCI ICP % TOTAL
Lyon 288 41,0 288 35,2 576
Nord 117 16,7 69 8,4 186
Sud 48 6,8 87 10,6 135
Est 93 13,2 170 20,8 263
Ouest 76 10,8 60 7,3 136
Nord-Est 1 0,1 0 0,0 1
Nord-Ouest 23 3,3 32 3,9 55
Sud-Est 12 1,7 57 6,9 69
Sud-Ouest 22 3,2 38 4,6 60
Autres 22 3,2 18 2,2 40
TOTAL 702 100 819 100 1521

Source : « BDSCI.XLS »

Pour les SCI « HAB », le secteur Ouest/Nord/Nord-Ouest/Sud-Ouest se détache nettement [cf. Carte 2] avec 34% de sièges sociaux. Nous y retrouvons des communes comme Caluire, Dardilly, Ecully, Sainte-Foy-lès-Lyon, Tassin-la-Demi-Lune, Chaponost, Craponne ou encore l’ensemble des communes des Monts-d’Or. Selon quelques études socioéconomiques locales, ces communes se présentent comme des espaces plutôt aisés, investis par des cadres et dirigeants d’entreprises et des professions libérales, et dont l’habitat s’est développé ces dix dernières années 235 . La distribution spatiale des SCI « HAB » semble donc aller de pair avec la distribution spatiale de ces catégories socioprofessionnelles. Soit une partie de celles-ci satisfait ses exigences résidentielles d’acquisition (occupation personnelle) au moyen d’une SCI, soit des investisseurs achètent par le même truchement des biens immobiliers à louer ou revendre dans des communes sur lesquelles pèse une importante demande immobilière et un effet de « griffe spatiale » 236 .

Tableau 11 – La « Localisation » des SCI dans l’espaces lyonnais selon le « Genre » spatial 1978-98]
« GENRE » N SCI HAB % N SCI ICP % TOTAL
Lyon 288 41,0 288 35,1 576
PUL 357 50,8 426 52,0 783
CP partie urbaine 28 4,0 48 5,9 76
CP partie rurale 21 3,0 34 4,1 55
Espace rural 8 1,1 23 2,8 31
TOTAL 702 100 819 100 1521

Source : « BDSCI.XLS »

A l’inverse, l’Est lyonnais regroupe 13,2% des SCI « HAB ». Cette proportion non négligeable tient d’une part au poids de Chassieu et de Genas et de l’autre à celui de Villeurbanne et de Décines. De manière générale, les communes de ce secteur renferment une population ouvrière et/ou atteinte par la précarité et affichent un faible dynamisme de la construction. Chassieu et Genas apparaissent comme deux enclaves dans un secteur très typé du point de vue économique et sociologique. Elles figurent parmi les communes aisées et recherchées de l’agglomération lyonnaise dans lesquelles entrepreneurs, cadres et ingénieurs cohabitent dans des lotissements ou des maisons individuelles, à proximité de leur lieu de travail 237 .

Carte 2 – Les sièges sociaux de SCI « HAB » dans l’agglomération lyonnaise

En ce qui concerne les SCI « ICP », la localisation spatiale des sièges sociaux paraît plus diffuse quoique toujours rythmée par le même clivage sectoriel [cf. Carte 3]. La sur-représentation sociétaire à l’Est, au Sud et au Sud-Est lyonnais – 60% des sièges de SCI « ICP » environ – doit beaucoup à la polarisation des PME/PMI locales dans les très nombreuses zones industrielles ou d’activités périphériques du secteur [cf. Tableau 12]. Afin de désenclaver certaines communes, et de réduire l’opposition centre/périphérie, les collectivités locales ont au début des années 80 engagé une politique de développement économique et urbain visant à attirer des firmes autant intéressées par les subventions publiques offertes que par la réunion géographique de paramètres fonctionnels générateurs d’avantages comparatifs : main d’œuvre qualifiée, services d’étude et de conseil, équipements collectifs, accessibilité aux infrastructures de transport 238 . La stratégie des collectivités se poursuit aujourd’hui et donne l’occasion aux dirigeants d’entreprises de formuler des logiques foncières et immobilières à l’intersection du professionnel et du privé.

Carte 3 – Les sièges sociaux de SCI « ICP » dans l’agglomération lyonnaise
Tableau 12 – La localisation de la demande placée en locaux industriels et locaux d’activité dans la région lyonnaise en 1998
LOCALISATION %
Lyon/Villeurbanne 14
Nord 3
Est et Sud-Est proche 58
Est et Sud-Est 2ème couronne 16
Ouest et Nord-Ouest 2
Sud-Ouest 7
TOTAL 100

Source : Bourdais, 2000

En revanche, le positionnement de SCI « ICP » dans le secteur Nord/Ouest/Nord-Ouest/Sud-Ouest – soit 24,4% du total local de ces SCI – dévoile la présence d’entreprises dont les dirigeants sont animés par la même problématique patrimoniale de segmentation et de précaution, mais qui évoluent dans des domaines différents.

Si des zones industrielles et d’activités commerciales et artisanales y émergent, notamment dans le Sud-Ouest lyonnais autour de communes comme Brignais, Chaponost ou Saint-Genis-Laval, leur importance est toute relative à l’aune des activités de haute-technologie ou de services aux entreprises, moins consommatrices d’espaces que les activités industrielles, regroupées dans des parcs technologiques ou technopoles. Progressivement, le secteur se spécialise (contexte de mono-activité). Entre 1989 et 1996, les sociétés informatiques, juridiques, comptables, d’études de marché, d’ingénierie et de conseil en affaires et gestion n’ont cessé de se déployer, surtout dans des communes aisées comme Tassin, Charbonnières, Limonest, Francheville, Ecully, Dardilly, Sainte-Foy-lès-Lyon et les communes des Mont-d’Or 239 . Leur implantation locale répond en partie à une double norme allotopique ou systémique puisque primo elles interviennent souvent comme sous-traitantes des entreprises industrielles de toute la région lyonnaise, quel que soit leur secteur, et, secundo, calent leurs stratégies de localisation sur les choix résidentiels périphériques de leurs propres salariés (cadres, ingénieurs, techniciens, etc.) 240 .

A l’Est, seule Villeurbanne, et dans une moindre mesure Bron et Décines, soutiennent la comparaison. Sans altérer la spécialisation industrielle du secteur, ces trois communes le rendent tout de même plus ouvert à l’immixtion des sociétés de services marchands aux entreprises, tendant ainsi à réduire une inégalité territoriale historique. Villeurbanne n’endosse plus désormais le statut de banlieue industrielle de Lyon, sa forte concentration en sociétés de services redorant son image de marque (+26% d’installations entre 1989 et 1996). Combinée à Lyon, elle permet de rétablir un certain équilibre entre un pôle Ouest porté par une dynamique du « haut-de-gamme » et un pôle Est industriel sous-équipé en activités de services.

Notes
234.

Pour le détail des données par commune, cf. Annexe IV.

235.

Cf.INSEE RHONE-ALPES, « Villes et quartiers sensibles face à la montée de la précarité. 1993-1996 », op. cit. Cette étude se propose de saisir les disparités intercommunales de la région Rhône-Alpes en compulsant 18 indicateurs relatifs à trois domaines : l’habitat, les structures familiales et la situation socio-économique. Dans la région lyonnaise, le clivage Est/Ouest est tenace et se renforce dans le temps.

236.

Nous empruntons l’expression à Michel PINCON et Monique PINCON-CHARLOT, Quartiers bourgeois, quartiers d’affaires, Paris, Payot, « Documents Payot », 1992, p. 30 sq.

237.

Chassieu, Décines et Genas constituent un secteur très attractif à forte demande. Les prix immobiliers pratiqués y sont proches de ceux de l’Ouest lyonnais.

238.

Le regroupement d’entreprises dans des zones spécifiques induit des économies d’agglomération : l’attraction exercée par celle-ci multiplie les spécialisations qui sont une combinaison du sectoriel et du spatial. Pour le traitement de cette question, cf. Jean REMY, La ville, phénomène économique, op. cit., p. 183. Dans la même lignée, cf. Robert BENARD, Hubert JAYET et Daniel RAJAONARISON, « L’environnement souhaité par les entreprises », Economie et statistique, n° 326-327, 1999, 6/7, p. 177-187, et André FISCHER, « Contribution à l’étude des nouvelles relations de l’entreprise industrielle à l’espace géographique », in Georges B. BENKO (dir.), La dynamique spatiale de l’économie contemporaine, Paris, Editions de l’Espace Européen, 1990, p. 105-121.

239.

Cf. Les Dossiers de l’INSEE Rhône-Alpes, « Les services aux entreprises à Lyon en 1998 », n° 129, décembre 1998.

240.

Cf. Antoine BAILLY et William COFFEY, « Localisation des services à la production et restructurations économiques. Une analyse théorique », L’Espace géographique, n° 1, 1994, p. 224-230.