L’attraction des quartiers d’affaires et des « beaux » quartiers du centre-ville

Le triple jeu des interventions politiques, de l’offre des promoteurs (privés et publics) et des choix et stratégies immobiliers et fonciers individuels des porteurs de parts conduit donc à une spécialisation fonctionnelle plus ou moins voulue du pôle urbain de Lyon (PUL) et de ses couronnes périurbaines (parties urbaines et rurales). Les logiques de localisation des SCI se superposent aux logiques de localisation sectorielle des activités économiques et des populations. Fruit d’une réflexion juridico-patrimoniale, le choix du recours à la SCI est subordonné à des enjeux socio-spatiaux plus larges (résidentiel, d’investissement, de commodité, symboliques) alimentant les attitudes et les préférences des porteurs de parts. De fait, le phénomène identifiable à l’échelle de la région s’observe aussi à l’échelle de la Ville de Lyon et de sa partition administrative.

Tableau 13 – La répartition des sièges sociaux de SCI à Lyon par arrondissement [1978-98]
ARRONDISSEMENT N Ratio
Σ SS SCI (%)
Dont%
SCI HAB
Dont%
SCI ICP
Lyon 1 46 7,9 56,5 43,5
Lyon 2 68 11,8 51,5 48,5
Lyon 3 98 17,0 40,8 59,2
Lyon 4 45 7,8 53,3 46,7
Lyon 5 51 8,9 62,7 37,3
Lyon 6 123 21,3 58,5 41,5
Lyon 7 71 12,3 43,7 56,3
Lyon 8 33 5,7 39,4 60,6
Lyon 9 41 7,1 36,6 63,4
TOTAL 576 100 50,0 50,0

Source : « BDSCI.XLS »

A la lecture du Tableau 13, les 6ème et 3ème arrondissements ressortent du lot et regroupent à eux deux 38,3% du total des sièges sociaux lyonnais. Les 8ème et 9ème arrondissements ferment la marche. Néanmoins, ces données doivent être éprouvées à l’aune de la proportion respective de chaque arrondissement en sièges de SCI « HAB » et « ICP » [cf. Graphique 3]. Aussi, les 5ème, 6ème et 1er apparaissent-ils comme les trois arrondissements où le parc de sièges sociaux de SCI « HAB » est le plus dense (62,7%, 58,5% et 56,5%). Parents pauvres de la hiérarchie générale, les 9ème et 8ème arrondissements possèdent eux la plus grande proportion de sièges sociaux de SCI « ICP », talonnés de près par le 3ème arrondissement (59,2%).

Graphique 3 – Répartition des sièges sociaux de SCI à Lyon [1978-98]

Comme le font ressortir les Tableaux 14 et 15 et leurs supports cartographiques [cf. Cartes 4 et 5], la localisation des sièges sociaux est caractérisée par une dynamique centripète, plus forte peut-être pour ce qui concerne les SCI « HAB » que « ICP ». En effet, les sièges sociaux de SCI « ICP » se diffusent davantage, selon un modèle concentrique, aux confins de la rive droite et de la rive gauche, à proximité de banlieues spécialisées dans les services ou l’industrie, alors que ceux des SCI « HAB » demeurent accrochés à l’épicentre de la ville : la Presqu’île et ses abords.

Tableau 14 – Classement décroissant des arrondissements lyonnais les mieux dotés en sièges sociaux de SCI « HAB » [1978-98]
ARRONDISSEMENT N % % cumulés
Lyon 6 71 25,0 25,0
Lyon 3 40 13,9 38,9
Lyon 2 35 12,2 51,1
Lyon 5 32 11,1 62,2
Lyon 7 31 10,8 73,3
Lyon 1 27 9,0 82,0
Lyon 4 24 8,3 90,3
Lyon 9 15 5,2 95,5
Lyon 8 13 4,5 100
TOTAL 288 100  

Source : « BDSCI.XLS »

Plus précisément, les 3ème et 6ème arrondissements font office de dénominateur commun puisque avec le 2ème et le 7ème ils focalisent respectivement 51,1% et 51,7% des sièges sociaux de SCI « HAB » et « ICP » de la ville.

Tableau 15 – Classement décroissant des arrondissements lyonnais les mieux dotés en sièges sociaux de SCI « ICP » [1978-98]
ARRONDISSEMENT N % % cumulés
Lyon 3 58 20,1 20,1
Lyon 6 51 17,7 37,8
Lyon 7 40 13,9 51,7
Lyon 2 33 11,5 63,2
Lyon 9 26 9,0 72,2
Lyon 4 21 7,3 79,5
Lyon 1 20 6,9 86,4
Lyon 8 20 6,9 93,3
Lyon 5 19 6,6 100
TOTAL 288 100  

Source : « BDSCI.XLS »

L’importance de ces arrondissements n’est pas fortuite dans le sens où ils sont devenus en l’espace de vingt ans des secteurs géographiques d’implantation très prisés par des sociétés locales, nationales et internationales de services, de conseil et de gestion. Le centre des affaires s’est peu à peu déplacé de la Presqu’île à la rive gauche, notamment autour du quartier de la Part-Dieu, véritable pôle d’attraction bien desservi par toute une série d’équipements commerciaux et d’infrastructures de transports comme la gare éponyme. Ce faisant, beaucoup de dirigeants d’entreprises, de professionnels libéraux et de commerçants ont monté des SCI pour acquérir des bureaux et des locaux dans un secteur certes rentable sur le plan des retombées commerciales et d’une éventuelle revente – emplacement rimant avec placement en quelque sorte – mais surtout « griffé », c’est-à-dire paré d’un prestige social ou d’un capital symbolique également susceptible de valoriser les immobilisations.

Dans la lignée de leur statut de pôle économique et financier, ces deux arrondissements se distinguent non seulement par des marchés immobiliers dont la demande est souvent supérieure à l’offre, mais aussi par une composition sociale relativement homogène 241 . La bourgeoisie d’entreprise, les professions libérales (médicales surtout), les retraités non-ouvriers ainsi que les classes moyennes supérieures y sont majoritaires. Dans le reste de la ville, seuls quelques quartiers peuvent se targuer d’une telle représentativité sociologique où les propriétaires dominent assez largement.

L’examen de la distribution des sièges sociaux de SCI dans les quartiers-INSEE de la ville de Lyon [cf. Tableau 16] permet d’homologuer le jeu des préférences sectorielles individuelles et collectives et de confirmer la présence locale de marchés segmentés et hiérarchisés, ou de micro-marchés plus attractifs que d’autres en matière d’investissement immobilier professionnel ou d’habitation 242 .

Tableau 16 – Classement décroissant des quartiers-INSEE lyonnais les mieux dotés en sièges sociaux de SCI « HAB » et « ICP » confondus [1978-98]
QUARTIERS-INSEE N N/257 (%)
Préfecture (3e) 33 12,8
Cordeliers-Jacobins (2e) 28 10,9
Terreaux-Tolozan (1er) 23 8,9
Vieux-Lyon (5e) 22 8,6
Vitton-Astoria (6e) 21 8,2
Helvétie (6e) 20 7,8
Mairie (6e) 20 7,8
Grande rue/Hôpital (4e) 18 7,0
Guillotière (7e) 16 6,2
Saint-Pothin (6e) 16 6,2
Charité-Carnot (2e) 14 5,4
Ainay (2e) 13 5,0
Vaise (9e) 13 5,0
TOTAL 257  

Source : « BDSCI.XLS »

Carte 4 – Les sièges sociaux de SCI « HAB » à Lyon par arrondissement et quartier

Ainsi, un groupe de 13 quartiers-INSEE polarise 44,6% des sièges sociaux de SCI de Lyon et 16,8% des sièges sociaux du périmètre d’étude. Si le quartier Préfecture du 3ème arrondissement figure en haut du classement, on voit apparaître dans ce classement 4 quartiers du 6ème (Vitton-Astoria, Helvétie, Mairie et Saint-Pothin) et 3 quartiers du 2ème (Cordeliers-Jacobins, Charité-Carnot et Ainay), offrant tous les attributs de quartiers commerçants et d’affaires au milieu desquels résident principalement des cadres, des entrepreneurs, des professionnels libéraux et des retraités. Bien que plus diffus, le reste de la représentation affiche des propriétés socioéconomiques quasi similaires : regroupement de catégories sociales supérieures, davantage propriétaires, un marché immobilier tendu du fait d’emplacements recherchés et valorisés et de nombreuses potentialités économiques (services, commerces, etc.).

L’agrégation des principaux quartiers-INSEE éclaire cette logique discriminante de localisation sociétaire tout en démontrant le rôle fondamental joué par des micro-espaces limitrophes et presque interdépendants ou réticulés d’un point de vue socioéconomique [cf. Tableau 17]. Quatre groupes se détachent par conséquent, regroupant 38,5% des sièges sociaux de la ville et 14,6% du total des localisations juridico-administratives de la région lyonnaise.

Tableau 17 – Classement décroissant des quartiers-INSEE lyonnais agrégés les mieux dotés en sièges sociaux de SCI (HAB et ICP) [1978-1998]
QUARTIERS-INSEE AGREGES N N/390 (%)
Vitton-Astoria/Saint-Pothin/Mairie (6e) 57 14,6
Préfecture/Villeroy/Part-Dieu (3e) 56 14,4
Cordeliers-Jacobins/Charité-Carnot/Ainay (2e) 55 14,1
Guillotière/Faculté/J. Macé/Berthelot/Sergent Blandan (7e) 54 13,8
Helvétie/Parc Tête-d’Or (6e) 36 9,2
Terreaux-Tolozan/Boulevard Chartreux (1er) 33 8,5
Vieux-Lyon/Saint-Just (5e) 31 7,9
Grande rue-Hôpital/Croix-Rousse Mairie (4e) 26 6,7
Vaise/Gorge de Loup/Observance (9e) 23 5,9
Marius Berliet/Lumière/Monplaisir/Laennec/Bataille (8e) 19 4,9
TOTAL 390  

Source : « BDSCI.XLS »

A y regarder de plus près, la structuration de ce réseau spatial découle de la co-influence d’un facteur économique et d’un facteur psychosociologique : le fonctionnement des marchés immobiliers et du travail et les représentations collectives. Au contraire de ce qui se passe dans certains espaces périphériques, l’intervention publique est beaucoup moins présente et l’offre presque atone. Ce sont les volontés individuelles créatrices de la demande qui, agrégées, nourrissent le processus de ségrégation ou de singularisation sociale et économique des espaces intra muros. Les traductions financières et patrimoniales des investissements dans des emplacements centraux – prix, rendement, plus-values –, ainsi que l’image sociale dont ils jouissent – le label d’un quartier (immeubles haussmanniens) et les convoitises qu’ils attisent –, aiguillonnent cette dynamique centripète. Elles suggèrent de comparer la demande à un « club » dont les membres sont socioéconomiquement proches et animés par des intentions à bien des égards communes 243 .

Carte 5 – Les sièges sociaux de SCI « ICP » à Lyon par arrondissement et par quartier
Notes
241.

Cf. Nicole TABARD, « Une représentation de la structure socio-économique de la région Rhône-Alpes », op. cit.

242.

En suivant certaines analyses, nous constatons que les prix et les loyers sont l’expression d’une recherche de différenciation par les offreurs alors que les demandeurs pratiquent la surenchère et constituent des espaces socioéconomiques homogènes à l’origine de la ségrégation. Cf. Michel MOUILLART, « L’analyse économique du bien logement » in Marion SEGAUD, Catherine BONVALET, Jacques BRUN (dir.), Logement et habitat, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, « Textes à l’appui », 1998, p. 167-176. Ces remarques relatives à l’immobilier d’habitation valent aussi à notre avis, mutatis mutandis, pour l’immobilier professionnel (bureaux et locaux commerciaux) du centre-ville.

243.

Au sujet de cette métaphore, conçue pour illustrer la discrimination des clientèles comme cause et conséquence de la ségrégation, cf. Michel MOUILLART, ibid. supra : « Confrontée au risque, la demande (ou certaines de ses composantes) est donc prête à supporter un prix d’achat ou d’usage élevé pour se protéger. Pour protéger l’espace choisi, elle va constituer des « clubs », en s’efforçant de regrouper des « adhérents » aux caractéristiques les plus proches et les plus homogènes. La segmentation du marché, résultat de la structure monopolistique, se trouve ainsi renforcée et pérennisée par la stratégie même des composantes de la demande. En acceptant de payer un prix élevé, donc en cherchant à s’(auto) assurer, les agents vont accéder à un segment de marché de meilleure qualité : les mécanismes de sélection des clientèles opèrent alors, se renforcent et réduisent la probabilité d’une évolution défavorable de la valeur des biens ».