« Un problème de nécessité et de besoin » plus qu’un phénomène de mode

Mais si l’offre professionnelle peut-être conçue comme un moteur de création sociétaire, il arrive souvent que les praticiens soient confrontés aux représentations de leurs clients, à leurs expériences indirectes et à maintes prénotions (cf. infra, chapitre 9, § 9.1). Dans cette perspective, la demande et les concrétisations de projets qui s’ensuivent découlent du processus de démocratisation de l’outil SCI et des modalités de diffusion/réception des idées.

‘« La SCI depuis une quinzaine d’années, par toutes sortes de journaux de vulgarisation, elle est de plus en plus connue. Alors je dirai qu’on la suggère mais souvent les clients nous disent « Ah mais si je faisais une SCI ? Mon voisin en a fait une ; mon fils qui vient d’acheter son cabinet médical avec des médecins associés, eh bien ils ont constitué une SCI ». Société civile, c’est comme n’importe quel type de société, ça s’aménage. On fera peut-être une SCI mais ça ne sera pas forcément la même que celle du voisin ou que celle du fils […] »
« Pour moi, ce n’est pas un phénomène de mode. C’est quelque chose qui se développe mais ce n’est pas dû à une mode. Vous pouvez raisonner avec des voitures : en 1900 ce n’était sûrement pas la mode. Celui qui en avait une, c’était un grand luxe. Aujourd’hui, tout le monde en a, est-ce que c’est un phénomène de mode ? C’est un problème de nécessité et de besoin, c’est tout »
[Avocat d’affaires, PRAT 10]’

Ce que nous pourrions ici concevoir comme l’effet d’un phénomène de mode est réfuté par des praticiens qui, tout en identifiant la SCI à un produit de consommation, brandissent des arguments raisonnables et rationnels 254 . Précisément, tous les motifs et les comportements sociétaires qui sortent des sentiers battus de la rationalité instrumentale (mimétisme, réflexe, effet de démonstration) sont, en dépit d’une conscience de leur existence et de leur efficience, accueillis avec réserve. Le besoin n’est alors pas jugé réaliste et répondant à un pragmatisme de situation. Nous pouvons en outre convenir que ces déterminants causaux viennent défier les conduites et les représentations des praticiens (et des porteurs de parts) convaincus par la rigueur des principes juridico-financiers objectifs. Négation de leur pratique, tout se passe comme si la référence à des motifs extra-rationnels viciait leur légitimité professionnelle et leur statut d’expert.

Notes
254.

La distinction entre ce qui est raisonnable et ce qui est rationnel revient à Alfred SCHÜTZ et à sa théorie phénoménologique du social. Ainsi, il qualifie une conduite primo de raisonnable lorsque celle-ci dérive d’un choix judicieux entre plusieurs lignes d’action possibles, secundo de rationnelle lorsque l’acteur impliqué possède une connaissance des fins, des moyens et des effets secondaires de son action. Cf. Le chercheur et le quotidien, op. cit., p. 34-35.